Voyages initiatiques dans l’Ailleurs

D’un stage à l’autre on avance dans le métier

En choisissant ce thème d’étude notre loge a voulu porter son attention sur le fait de savoir si le voyage en général peut revêtir un caractère initiatique, hors du temple nôtre et de son cadre rituel. De manière unanime nous a paru s’imposer la réponse affirmative.

La Vraie Union, Nyon (Revue maçonnique suisse: août/septembre 2006)

Nous pensons que le franc-maçon, de par la cérémonie de sa réception en loge puis de son assiduité, acquiert le pouvoir de reconnaître l’éventuel caractère initiatique de tout voyage entrepris sans se limiter à des buts exclusivement utilitaires sur le seul plan matériel.

Les premiers déplacements de nos plus lointains aïeux de la préhistoire répondaient aussi pour l’essentiel à des objectifs physiologiques, que ce soit la recherche du gibier ou la contrainte des changements climatiques. Il en va d’ailleurs toujours de même s’agissant des pendulaires qui, pour assurer leur gagne-pain, sillonnent les routes ou s’entassent dans les trains.

Un voyage, pour s’élever au niveau initiatique, nécessite donc, plus ou moins consciemment, une quête spirituelle visant l’expansion et l’exaltation intime pour que s’éveille en nous la flottante attention avec l’espoir de la «divine surprise» et de sa lumineuse émergence. Au sortir de la gorge y conduisant, Petra se dévoile juste quand le soleil est au sommet des rochers. À l’inverse, au Labrador, l’astre s’élève mais sans se faire voir, renfermé dans son aurore boréale. Des adeptes de la plongée sous-marine (notre loge en compte deux) disent avoir perçu l’infini dans le bleu immobile aux endroits désertés par les poissons. Dans la jungle, ce fut un arbre abattu avec un étrange cri. Les pyramides égyptiennes, Olympie aussi, firent percevoir mystérieusement les voix qui résonnaient en ces lieux au temps de leur antique animation.

On peut connaître le voyage accompli une fois seulement dans sa vie comme on peut se faire pèlerin envoûté retournant inlassablement contempler les marques gravées des anciens tailleurs de pierre, à Samoëns, sous l’égide savoyarde des Quatre Couronnés. Fervent de l’Occitanie, l’un des nôtres a contemplé plus de cinquante fois l’abbatiale romane de Cruas avec son adorable lanterne byzantine. Et chaque retrouvaille, à travers les approfondissements successifs, peut dégager une nouvelle perception initiatique.

À la charnière du voyage unique et du pélerinage répétitif se situe le Tour de France des Compagnons. En principe, on ne l’accomplit qu’une fois mais entrecoupé de longues haltes.

Recours au mythe vivifiant

Chaque étape constitue un voyage en soi avec un but identique: accroître sa connaissance de l’outil et de la matière pour les conjuguer toujours mieux dans l’éclosion d’une forme parfaite. Tous ces vécus rapportés se qualifient d’initiatiques pour autant qu’ils prolongent vraiment les voyages rituels accomplis dans le temple de la loge. Homère en offre un exemple significatif avec son Ulysse, nu et dépouillé de tout, jeté par le flot sur le rivage des Phéaciens. C’est là pourtant que va s’enclencher la reconquête de sa royauté sur Ithaque.

Partir, changer d’horizon, c’est bien ce que pressent le néophyte ni nu ni vêtu dont on bande les yeux avant de l’extraire du cabinet de réflexion. Quittant notre domicile, nous ne savons pas non plus où la surprise initiatique se dévoilera pour libérer le regard élargi sur le monde et sur soi-même. Oui, il existe un art (royal) de voyager à la surface du globe, apanage du francmaçon habité par l’initiation intime, celle qui, en chaque circonstance, fait rayonner la lumière bâtisseuse! Et le monde nous la renvoie, en lieux nouveaux et familiers, par éclairs sur le bouclier flamboyant d’Athéna.