La justice sociale sous l’angle de l’égalité entre femmes et hommes

La justice sociale est fondée sur l’égalité des droits entre tous les êtres humains dans la perspective d’atteindre une paix universelle et durable. En Suisse, l’égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans la Constitution fédérale depuis quarante ans et des progrès significatifs ont été réalisés durant les dernières décennies. Ces évolutions sociétales interrogent le positionnement de la Franc-maçonnerie régulière, qui reste fidèle à des principes datant de plus de trois siècles.

Les Nations Unies considèrent que la justice sociale est fondée sur l’égalité des droits pour tous les peuples et la possibilité pour tous les êtres humains sans discrimination de bénéficier du progrès économique et social partout dans le monde. La justice sociale serait une condition fondamentale de la coexistence pacifique et prospère des hommes et des femmes au sein des nations et entre les nations elles-mêmes.

La promotion de la justice sociale passe par la correction des inégalités dans les domaines du revenu, des actifs, de l’accès à la connaissance, des services de santé, des opportunités de travail, ainsi que de la participation civique et politique. Or, ces inégalités affectent différemment les membres d’une société selon leurs appartenance groupale. C’est pourquoi, la justice sociale progresse particulièrement lorsque les obstacles liés au sexe, à l’âge, à l’appartenance ethnique, à la religion, à la culture, au handicap ou à l’orientation sexuelle sont levés. Tout le monde peut contribuer à promouvoir la justice sociale en défendant l’égalité des droits, des opportunités, ainsi que l’équité des conditions de vie des personnes et des groupes qui composent la société.

L’égalité entre les sexes, une question de justice sociale

L’égalité entre les sexes est un droit fondamental qui fait partie intégrante de la justice sociale et des droits humains internationaux. En 1981, le principe selon lequel l’homme et la femme sont égaux en droit fut inscrit dans la Constitution. Avant cela, il était permis de traiter les femmes de façon inégale vis-à-vis des hommes puisque presque toute la législation était fondée sur l’idée selon laquelle les deux sexes étaient par essence différents, et dès lors avaient des droits et des devoirs différents.

Dès les premières années qui suivirent son entrée en vigueur, l’article constitutionnel sur l’égalité entre les sexes a contribué à la réalisation de progrès considérables dans l’élimination des inégalités de droit. Pour ne citer que quelques exemples, en 1982, le Tribunal fédéral estime qu’il est illégal de pratiquer des barèmes différents entre filles et garçons pour l’admission dans le degré secondaire supérieur. En 1988, lors de la révision du droit matrimonial, la disposition selon laquelle l’homme est le chef de famille et la femme responsable des tâches ménagères disparaît. Dès lors, les femmes peuvent ouvrir un compte bancaire ou exercer une activité lucrative sans l’accord de leurs époux. En 1990, le Tribunal fédéral contraint le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures au droit de vote et d’éligibilité des femmes alors que ce droit avait été acquis en 1971 au niveau fédéral. En 1992, le nouveau droit sur la nationalité permet aux Suissesses qui épousent un étranger de conserver leur nationalité. En 1996, la loi sur l’égalité entre femmes et hommes interdit de discriminer notamment à l’embauche, à l’attribution des tâches, à la rémunération, à la formation, à la promotion, à la résiliation des rapports de travail (…).

La liste des avancées en matière d’égalité des droits depuis quarante ans est longue, et continuera à s’allonger afin de réaliser l’égalité dans les faits. Dans sa newsletter trimestrielle de janvier 2021, le Bureau fédéral de l’égalité ne recensait pas moins de vingt-cinq initiatives et interventions parlementaires nouvellement déposées en lien avec l’égalité entre les sexes.

Franc-maçonnerie régulière et justice sociale entre les sexes

La FM régulière est fidèle aux Constitutions d’Anderson de 1723 selon lesquelles : « les personnes admises comme membres d’une Loge doivent être des hommes bons et loyaux, nés libres, ayant l’âge de la maturité d’esprit et de la prudence, ni serfs ni femmes ni hommes immoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation ». Cette règle, qui refuse l’initiation aux femmes dans les Obédiences régulières et par conséquent la reconnaissance formelle des Obédiences féminines, contribue à perpétuer les inégalités dans la société. A ce titre, elle décrédibilise le cinquième principe de la GLSA selon lequel le Franc-maçon s’emploie à faire respecter les droits humains.

Le débat sur l’admission des femmes au sein des Obédiences régulières n’est pas nouveau, mais le contexte dans lequel il s’inscrit est différent sur le plan légal, scientifique et éthique. La pression se fait de plus en plus forte sur les derniers bastions masculins et des évolutions commencent à se faire sentir. A cet égard, la Maçonnerie masculine a davantage besoin de la féminine qu’inversement, car la seconde a été fondée, comme la plupart des organisations féminines, du fait de l’exclusion des femmes des cercles masculins et de leurs privilèges.

La Grande Loge Unie d’Angleterre s’est rapprochée de deux Grandes Loges féminines dont elle juge les pratiques maçonniques comme tout à fait régulières. Elle invite sur son site Internet les femmes intéressées par la FM à rejoindre une de ces GL féminines. De plus, la GLUA partage la table avec elles lors des Freshers’ Fairs sur les campus universitaires sous la bannière « Franc-maçonnerie », du fait des politiques égalitaires des Universités.

La GLSA avait pris position sur ses rapports avec la Maçonnerie féminine en « reconnaissant son existence » en 2009. L’argumentaire rappelait qu’aucune base légale empêche une association d’admettre uniquement des hommes et que le principal problème était celui de la régularité et de la reconnaissance au niveau international. Selon le rapport, « la majorité des Frères et des Loges de la GLSA considèrent avec sympathie un rapprochement avec la Maçonnerie féminine ». D’ailleurs, une enquête menée par l’Université de Lucerne en 2015 révélait que 487 Frères se disaient favorables et 273 défavorables à la création de Loges féminines à l’intérieur de la GLSA.

Il appartient à la FM régulière de faire face à son reflet dans le miroir en matière de justice sociale, et plus particulièrement d’égalité entre femmes et hommes. Justifier sa position vis-àvis des femmes par l’existence d’Obédiences féminines non reconnues revient à détourner le regard et à laisser passer une opportunité de s’améliorer. Les Francs-maçons travaillent sur leur pierre afin de l’insérer dans un Temple de l’humanité construit pour moitié avec des pierres de sexe opposé. Ignorer les implications de cette réalité en 2021 rend irréaliste l’idée que ce Temple puisse un jour être un chef d’oeuvre. S. B.