À l’écoute du message des pierres

L’évocation du Grand Architecte de l’Univers, les morceaux d’architecture que sont les travaux écrits présentés en loge, et d’autres références encore, sont autant de réalités qui se rapportent à l’art de bâtir. Une fois de plus notre dossier du mois est en phase directe avec l’identité maçonnique, consistant à se bâtir dans l’harmonie.

L’architecture dite sacrée permet bien des interprétations. Les cloisonnements religieux font qu’elle sera qualifiée ainsi par les pratiquants d’une certaine confession et pas forcément par ceux qui suivent une autre voie spirituelle, ou n’en suivent aucune. On rencontre de nos jours encore des croyants prêts à relativiser voire à nier le caractère sacré d’une croyance autre que la leur. Le mal vient précisément de là, depuis que les religions existent, seul le dogme que l’on professe vaudrait d’être vécu. Hors de son credo à soi, pas de salut. De même les anti-maçons contestent toute forme de spiritualité dans ce que nous sommes. Passons sur les islamistes les plus fanatiques voués à l’annihilation des monuments et des personnes jugés impies.

Les définitions divisent plus qu’elles ne rallient, alors pour aller au plus simple disons qu’une architecture ou enceinte sacrée est le lieu par excellence où une communauté d’humains se met en rapport avec une entité qui la dépasse. Les pyramides, les temples bouddhistes, les minarets ou encore les cercles de pierres levées du type Stonehenge sont parmi les innombrables emplacements destinés à la pratique cultuelle. Ils répondent à un besoin de recueillement vieux comme le monde.

Des rituels et des prières sur des sites façonnés par Dame nature

Les sociétés primitives rendaient hommage aux divinités sur des sites non construits qui par leurs configurations naturelles, parfois retouchées ou ornées de la main de l’homme, servaient leurs objectifs. Ainsi parle-t-on de grottes, de montagnes, de forêts, de lacs sacrés. Ils ont été choisis en fonction d’un certain « génie du lieu » où des forces telluriques jointes à celles du cosmos exerçaient leurs influences. Sous la plume de Paul Devereux, notre confrère anglais, le magazine Freemasonry today donne des exemples : « Des chamans du paléolithique s’adonnaient à leurs rituels dans des cavernes considérées propices à la vénération. Telle était également la coutume des anciens Mayas qui y voyaient l’entrée d’un royaume sous la terre. Au Mexique on trouve des cénotes, puits profonds, qui auraient été l’habitat de déités divinatoires. Dans le pourtour méditerranéen, dès le 4e millénaire avant notre ère, apparaissent des structures un rien élaborées, et bien après des constructions plus abouties. »

Science et pouvoir visionnaire

Les francs-maçons s’inscrivent dans la continuité des bâtisseurs chrétiens. Les oeuvres de pierre évoluaient au rythme de l’élargissement de la communauté des pratiquants et du pouvoir du clergé. Ouvert aux vents, le modèle du temple gréco-romain s’avérant trop exigu on adopta le plan basilical en carré long qui permettait d’abriter davantage de fidèles. La croix devenue omniprésente imprimait également son caractère à la forme des édifices, d’abord avec un transept, ensuite, initiative plus ambitieuse, avec un double transept. Les chapelles étaient destinées à la prière « en formation réduite », les collégiales abritaient une communauté de chanoines, et les cathédrales la demeure d’un évêque. L’architecture romane précéda celle du gothique si riche en innovations et prouesses techniques parmi lesquelles les arcs-boutants et la voûte d’ogive. La cathédrale de Notre- Dame de Paris et l’abbaye de Westminster en sont deux incontournables fleurons.

Les connaissances de leurs concepteurs, aujourd’hui en partie perdues, ne cessent de susciter l’admiration : mathématiques, géométrie, physique, ils semblent maîtriser tous les savoirs requis. Surtout, ils possédaient ce supplément d’âme duquel jaillissaient les géniales intuitions qui font l’harmonieuse beauté des cathédrales. Pensons à Villard de Honnecourt dont les fameux carnets de croquis ont pu parvenir jusqu’à nous, presque miraculeusement, dit-on. Ou à Christopher Wren, franc-maçon du Métier qui fit reconstruire d’après ses plans la majeure partie de Londres ravagée par les flammes en 1666. Avant eux tous il y eut le Romain Vitruve ( 90-20 av. J.-C. ), maître incontesté de l’Antiquité classique, le plus ancien des architectes connus en Occident.

Les cathédrales ! Combien d’entre les francs-maçons n’en auraient probablement rien su sans les Frères « plancheurs » qui ont exposé le sujet dans les ateliers ? Les livres spécialisés ne manquent pas non plus. En pays romand, l’un d’eux s’intitule Notre-Dame de Lausanne, cathédrale bourguignonne publié en son temps par les soins de Jean- Pierre Laubscher d’« Espérance et Cordialité » et directeur des Editions du Grand-Pont. Il évoquait le sculpteur Matila Ghyka, affilié de « Quatuor Coronati », qui l’avait introduit « à la belle histoire d’une aventure à l’analyse des symboles de nos vraies cathédrales gothiques, sinon alchimiques, hermétiques, ou isiaques, au gré du regard éclairant. »

Expériences sur le terrain

La basilique de Vézelay dans le département français de l’Yonne présente un cas de figure intéressant. Le visiteur y découvre une réalisation architecturale où la pensée de ses initiants est particulièrement sensible et montre les résultats insoupçonnés que l’on peut obtenir d’une règle et d’un compas dans la conception d’un bâtiment. « On y perçoit les tracés régulateurs propres à l’enseignement des anciens en matière de géométrie et de calcul », nous disait un familier des lieux. Quant au monastère cistercien de Sénanque dans le Vaucluse il renferme un livre des plus intrigants : L’Art des bâtisseurs romans. Il s’agit d’un cahier du XIIe siècle dévoilant les arcanes de la profession, ordonnance, proportions, nombre d’or, etc. Béotiens s’abstenir.

Dans son dernier livre sorti ces jours-ci L’initiation des Francs-Maçons de la pierre franche, Christian Jacq s’interroge devant un portique de la cathédrale de Metz. S’y trouvent trente-trois étranges représentations : « Nos ancêtres avaient bel et bien l’intention par l’intermédiaire des édifices et des figures, de nous transmettre un message relatif au divin, au sacré, à la finalité de l’homme, à une spiritualité joyeuse et profonde. » Les Compagnons étaient véritablement des garants de savoirs secrets.

L’âge d’or

Thème inépuisable, l’architecture sacrée pose plus de questions qu’elle n’en résout. L’âge d’or de la construction des cathédrales va du XIe au XIIIe siècles, puis s’estompe. Le phénomène a été expliqué par au moins trois hypothèses : 1) l’Eglise avait assis son pouvoir temporel ; 2) la crainte que le poids condensé des cathédrales ne fende à terme la croûte terrestre ; 3) la corporation des bâtisseurs aurait acquis plus de connaissances sur le divin que le clergé luimême et devenait une concurrence indésirable.

La construction reste au coeur de la démarche du franc-maçon puisqu’elle suppose un état de réalisation intérieure qui tend vers la perfection. Il faut prendre le temps de regarder et d’écouter les signes du passé. Les Anciens étaient dotés d’une patience tranquille, d’une étonnante capacité de concentration et de persévérance. La construction marquée au sceau du spirituel emprunte des voies multiples pour affirmer ses mystères. J.T.