Des temps sombres – La lutte contre l’oubli

Des chicanes, des fermetures de loges, une propagande agressive. Le régime national-socialiste s’est attaqué à la Franc-Maçonnerie avec une dureté particulière. Et c’était plusieurs services de la burocratie de la terreur qui s’attaquaient simultanément aux Frères. Alors que certains de ces Frères se révoltèrent contre cet état de fait, la politique de certaines Grandes Loges était tout sauf digne d’éloges.

Le commandant des SS Heinrich Himmler s’est attaqué à la Franc-Maçonnerie d’une manière que l’on peut qualifier d’obsessionnelle. En 1937, il fit démolir le Temple de Hambourg pierre après pierre. Il supposait que le trésor des Templiers y était caché. Cet épisode met en évidence plusieurs des facettes de la manière dont les national-socialistes s’en sont pris aux Frères. On y trouve la bêtise la plus crasse, la mécanique de la mise en scène psychologique de l’ennemi à abattre et la force bestiale.

Les Francs-Maçons sont les valets du judaïsme

Avant 1933 déjà, les Francs-Maçons avaient été pris dans le collimateur de leurs adversaires. Karl Heise (1872-1939) se fit remarquer par ses écrits basés sur des théories ésotériques, racistes et de théories relatives aux complots. Son livre paru en 1919 portait le titre « La Franc-Maçonnerie d’entente ». Ce livre était basé sur la thèse suivante : les juifs, les francs-maçons et les théosophes auraient été responsables de la première Guerre mondiale. Pour le général Erich Ludendorff (1865- 1937) et son épouse, la lutte contre la Franc-Maçonnerie était la tâche de leur vie, leur conviction. Derrière la Maçonnerie, on trouvait le judaïsme. Entre elle et le christianisme, les rapports n’étaient que du camouflage. Les relations des Francs-Maçons frisaient la haute trahison.

La police d’Etat secrète (la Gestapo) mit au point et publia dès 1934 une politique à l’égard des Francs-Maçons et des émigrants

Le promoteur le plus acharné de cette politique était Alfred Rosenberg (1893-1946), qui devait devenir l’idéologue principal du régime nazi. Il puisa son inspiration dans les thèses de Heise et de Ludendorff, ainsi que dans l’ouvrage « Les Sages de Sion ». C’est en 1921 que paraît son ouvrage intitulé « Le crime de la Franc-Maçonnerie ». Il enchaîna en 1930 avec « Le mythe du XXème siècle », qui devint une des bases du credo de la pensée nazie. Hitler se laissa aller à l’encontre de la Franc-Maçonnerie dans son ouvrage « Mein Kampf ». Et l’on retrouve ici à nouveau la ligne de pensée de Ludendorff lorsqu’il écrit : « Le juif a trouvé dans une Maçonnerie  complètement décadente un instrument de premier choix pour combattre, mais également pour dissimuler ses buts. Il y ajouta l’exclusion des francs-maçons de la NSDAP (Parti national socialiste des travailleurs allemands). Et, très tôt déjà, des mouvements d’agitation populaire furent déclenchés. Dans sa « Lettre d’instruction aux dirigeants de mars 1931, il écrivait : « L’hostilité des paysans à l’égard des francs-maçons en tant que valets du judaïsme doit être stimulée jusqu’à l’élimination totale de ceux-ci.

Une campagne largement développée et soutenue

En Italie, e France, en Espagne, en Hongrie et au Portugal les francs-maçons furent poursuivis et persécutés. Mais l’idéologie nazie n’était pas une nouveauté. Par contre, un tel acharnement et une telle « banalisation du mal » (Hannah Arendt) ne se sont rencontrés que dans le Troisième Reich. À partir de 1933, le Service de sécurité de la SS, le SD, mit au point un « Exposé sur la question de la Franc-Maçonnerie », dans lequel de nombreux Frères furent répertoriés avec force renseignements. Par ailleurs, Rosenberg avait sous ses ordres, entre 1937 et 1942, « l’Office 7 » chargé des questions relatives aux juifs et aux francs-maçons. Dès 1935, Adolf Eichmann fut le chef de cette organisation, lui qui dut prendre à son compte la responsabilité de l’assassinat de six millions d’êtres humains. La police d’état (la Gestapo) établit elle aussi dès 1934 un « état des lieux » à l’encontre des juifs, des francs-maçons et des émigrants.

Des « loges » et des musées maçonniques furent établis sur des Temples maçonniques désaffectés

En 1933 déjà, la « Loi pour la rectification de la fonction de fonctionnaire » prévoyait le licenciement des Frères exerçant cette fonction. Le Ministre de l’intérieur du Reich décréta une interdiction générale de la Franc-Maçonnerie, la dissolution des loges et la confiscation de leurs biens. À l’heure actuelle, on estime à 150 le nombre de loges touchées par cette décision, et leur fortune à environ 100 millions d’Euros. On édifia sur les ruines des Temples désaffectés  des soi-disant « loges » ou « musées maçonniques ». Le ton général prévalant à cette époque était : « Le temps des hommes de l’obscurité et de leur sombre travail est maintenant passé. Nous ne vivons plus dans un monde de fiction, mais dans le Troisième Reich, le Reich des positions « pour ou contre ». Cette proclamation s’appliqua dès la mise sous tutelle de l’Autriche, en 1938, à tous les pays occupés.

Entre soumission et résistance

Après 1918, la Franc-Maçonnerie allemande était imprégnée d’un esprit pacifique et favorable à un rapprochement entre les peuples. Le Traumatisme induit par la guerre avait fait émerger de nombreux individus cherchant à mettre leur rêve en application. La classe moyenne, les soldats et les fonctionnaires fournissait l’essentiel des effectifs des loges. Au moment de la prise du pouvoir par Hitler, il existait en Allemagne neuf Grandes Loges. Les plus importantes de celles-ci  étaient la « Loge-mère nationale « Zu den Drei Weltkugeln » (Aux trois globes »), la « Grande Loge Nationale des maçons allemands » et la « Grande Loge du Royal Arch », l’ «Amitié ».

L’adaptation aux nouvelles conditions prit des allures grotesques

Ces grandes loges ne prirent d’aucune manière conscience de l’évolution de la situation. Certaines de ces grandes loges se distancèrent de ces évènements et prirent la décision de se dissoudre. C’est le cas de la Grande Loge Symbolique en 1930, ainsi que d’autres grandes loges à caractère humanitaire qui firent le pas en 1933. Malgré cela, de nombreux Frères estimèrent que l’adaptation aux nouvelles conditions était la meilleure solution. Bien que les déclarations nazies – avant 1933 déjà – fussent parfaitement claires, de nombreux Frères s’en tinrent à leur conviction d’être en sécurité du fait de leur condition de citoyen moyen, de vétéran de la Grande Guerre et même de membre du parti national-socialiste. Certains se bornèrent à modifier  le nom de leur loge. C’est ainsi que la Loge « Aux trois Globes »d prit le nom d’ « Ordre christique National ». On misa beaucoup – même si cela fut sans succès – sur Hjalmar Schacht, franc-maçon et Président de la Banque d’État, puis, ultérieurement, Ministre de l’économie du Reich. On s’en servit abondamment. La Grande Loge de Saxe adressa, en mars 1933, un télégramme identique à Hitler, au Président du Reich, Hindenburg, à Frick, et au ministre de la propagande, Goebbels : «La Grande Loge de Saxe salue …… la promotion du peuple et de la patrie allemands. Elle promet solennellement fidélité, dans un esprit de devoir christique et national, dans l’esprit de son Frère Frédéric le Grand, de travailler avec le gouvernement du Reich, ceci pour l’honneur, la grandeur, l’unité et la liberté de l’Allemagne ».

L’adaptation prit des tournures grotesques. C’est ainsi que la Grande Loge de Prusse, « la plus nationaliste des grandes loges allemandes » supprima les termes de « franc-maçon », de « loge » et de franc-maçonnerie » de son répertoire. Il y eut, bien sûr, malgré cela, des Frères qui résistèrent. Mais le régime réagit sans ménagement. Le décret « Nuit et brouillard » édicté par Hitler en décembre 1941 fut le début d’une déportation de nombreux citoyens, dont des francs-maçons. Il faut cependant relever que cette action avait également une autre motivation, politique celle-là. Mais les deux motifs n’en formaient souvent qu’un seul, vu que de nombreux politiciens opposés à la dictature étaient également francs-maçons.

Le martyre

Leo Müffelmann (1881-1934), cofondateur et Grand Maître de la « Grande Loge Symbolique d’Allemagne », succomba aux sévices subis pendant son internement en camp de concentration. Le même sort fut celui de Carl von Ossietzky (1889-1938), honoré par le Prix Nobel de la paix et, entre autres, éditeur de l’hebdomadaire de gauche « Die Weltbühne » (« La scène mondiale »). Lorsque le diplomate suisse C.J. Burckhardt eut l’occasion de le rencontrer en 1935 dans le camp de concentration d’Esterwegen, il relate qu’il a rencontré un être tremblant, une « chose » d’une pâleur comparable à celle d’un mort, qui semblait avoir perdu toute sensibilité, un œil enflé et des dents apparemment cassées.

Malgré tout, des Frères se retrouvaient pour se livrer à des travaux secrets – ceci dans des lieux non encore soupçonnés ou lors de promenades simulées. Leur signe de reconnaissance était un petit myosotis (en allemand « Vergissmeinnicht ») émaillé, que l’on fixait au revers de son veston. Dans les débuts, en 1926, il s’agissait d’un insigne d’une Grande Loge antérieure, que certains Frères continuèrent longtemps à porter .C’est en 1938 seulement qu’ils remarquèrent la ressemblance  de cet insigne avec celui d’une œuvre de charité pour des secours d’hiver. Dès lors, ils portèrent l’insigne de cette œuvre, une épingle de cravate, comme signe secret de reconnaissance.

Le chiffre du nombre de francs-maçons existant durant le Troisième Reich est difficile à estimer. Du nombre estimé de 80’000 pour ces Frères, 62 auraient été massacrés par les nazis, 238 expulsés, 53 internés dans un camp de concentration et 377 chassés de leur poste de fonctionnaire ou de l’entreprise qui les occupaient. Des 4’800 nouveaux Frères selon une estimation optimiste, 44 prirent une part active à la résistance. Comme cela se produit toujours, en passant cette période en revue, nous autres, les initiés d’une époque plus récente comprennent le message donné par la fleur accrochée au revers du veston de ces précurseurs : « Ne m’oubliez pas ! ». T.M./PhV.