Isis, la fondatrice de l’Art royal

L’action du mythe se déroule en un temps lointain, où le dieu Rê vivait encore sur terre auprès des divinités et des humains qui ne formaient alors qu’un seul et même peuple. Pour comprendre cette action mythique qui relève de la mythologie égyptienne, il est temps de remonter… le temps.

Par le F∴ J.-C. v. L., Loge Fidélité et Prudence à l’O∴ de Genève

Après le Big-Bang d’il y a 13,7 milliards d’années, l’homme prenait son temps. D’ailleurs, les premiers hominidés ne datent que de sept millions d’années… Le titre de plus ancien hominidé revient à Sahelanthropus tchadensis qui vivait dans le Tchad actuel; son surnom de Toumaï fut bien trouvé, car il signifie « Espoir de vie » dans un dialecte tchadien. Quant à l’Homo sapiens, ses premiers pas sur Terre remonteraient à environ 200’000 ans (315’000 ans au Maroc selon une récente découverte). Depuis lors, des espèces d’hominidés ont disparu comme Néandertal, Homo floresiensis ou l’« homme de Déisova ». Nous sommes désormais les seuls représentants de l’espèce humaine sur Terre. Il faudrait en être digne et ne pas continuer à saccager la faune, la flore, le climat, le soussol et tout simplement la Terre ellemême! A cette époque, la Terre était plate (Galilée n’était pas né), mais elle était « décorée » par deux astres, le Soleil et la Lune, déjà considérés comme deux grandes Lumières. Avec elles, sont nés les mythes de la création…

Le mythe de la création héliopolitaine a pour origine la ville d’Héliopolis (nom donné par les Grecs à la ville antique de Onou, ville solaire de l’Ancien Empire dans le delta du Nil). La grande diversité du culte de l’Égypte antique se retrouve également

dans les mythes de la création. Issu du Noun, l’océan primordial, émerge le dieu créateur qui apparaît sous trois formes : Rê le soleil à son zénith, Képri le soleil levant, ou encore Atoum le soleil couchant, l’être achevé. Le Dieu créateur mit au monde Shou le sec, et sa soeur Tefnout l’humide. De ce couple en émergea un autre, Nout le Ciel et Geb la Terre. Viennent ensuite Osiris et Isis, ainsi que Seth (personnifiant le mal) et Nephtys.

Osiris, le dieu ressuscité

Osiris, époux et frère d’Isis, fils de Geb et de Nout, est représenté comme un homme momifié portant la couronne atef formée de deux hautes plumes latérales. Il serre sur sa poitrine le sceptre héqa en forme de crosse et le flagellum. La recension la plus complète du mythe d’Osiris est celle de Plutarque dans son De Iside et Osiride. On connaît le stratagème utilisé par Seth et ses comparses, de même que la manière dont les conjurés, ayant enfermé Osiris par ruse dans un coffre exactement à sa mesure, le jetèrent à la mer, un épisode que seul Plutarque rapporta. Alors commencèrent le deuil et la quête d’Isis qui se rendit jusqu’à Byblos pour chercher le coffre renfermant le corps de son époux.

Après maintes péripéties, la déesse put enfin récupérer le corps, l’embrasser et le pleurer, puis elle déposa le coffre dans un lieu retiré du Delta. C’est là que Seth le trouva et le coupa en 14, 16 ou 42 morceaux qu’il dispersa dans les marais. Isis et sa soeur Nephtys entreprirent alors une nouvelle quête et retrouvèrent un à un les morceaux du corps d’Osiris (dont la tête à Abydos), à l’exception du pénis qui avait été mangé par un poisson oxyrhynchus. C’est ainsi qu’Isis réalisa la première momie avec l’aide d’Anubis et conçut son fils Horus. Grâce à Thot, Osiris ressuscita, mais cette fois-ci dans un autre monde. Puisqu’il ne pouvait plus régner sur le monde terrestre, il régnerait dans l’au-delà et devint le seigneur de l’autre monde, le dieu des morts. Osiris jouissait d’une grande popularité en Égypte, car il était le dieu ressuscité et apportait l’espoir d’une vie éternelle aux êtres humains. Pharaon, (né Horus le premier titre que porte tous les Pharaons), fut identifié à Osiris lorsqu’il mourut et devint Osiris lui-même. Son lieu de culte principal se situait à Abdjou (aujoud’hui Abydos) en MoyenneÉgypte. Abdjou était le dernier des trois voyages que devait accomplir le récipiendaire pour recevoir le titre de Pharaon, le premier étant Memphis à l’entrée du Delta (fondée par Ménès vers -3000 ans), le second Ouaset, soit Thèbes (aujourd’hui Louxor), puis enfin Abdjou, où se situe également la nécropole royale d’Oumm el-Qaab, qui reçut notamment le sanctuaire d’Osiris accolé au grand temple de Séti 1er.

Isis protectrice et magicienne

Isis est représentée avec la tête surmontée du trône royal, qui est aussi le hiéroglyphe servant à écrire son nom. Isis fut sans conteste la figure la plus adulée du panthéon égyptien. Épouse et mère modèle, elle était la protectrice des femmes. Ayant participé à la résurrection de son mari Osiris, elle devint une des déesses protectrices du défunt dans l’au-delà. Cette double appartenance, à la fois terrestre et souterraine, lui conféra une immense popularité non seulement dans la famille royale, mais aussi dans tout le peuple d’Égypte.

Isis fut une excellente magicienne. Maligne, elle parvint par un stratagème astucieux à découvrir le nom secret de Rê pour avoir les pleins pouvoirs sur la divinité. En observant les voyages de la barque solaire et les ennemis qui jonchaient son chemin, Isis s’aperçut que Rê était si vieux qu’il bavait. Elle prit un peu de cette salive qui était tombée et la mélangea avec de la terre, afin de concevoir un serpent qu’elle manipulerait à sa guise. Comme chaque matin, Rê fit renaître le soleil, mais durant son voyage, il fut confronté à ce serpent qui parvint à le mordre. Son mal était si puissant qu’il appela tous les magiciens du royaume. Isis, la merveilleuse magicienne, lui avoua que la seule manière de guérir de son mal était de révéler son nom secret, car seul un homme appelé par son nom est appelé à revivre. Rê fut contraint de lui révéler son nom et Isis, fière, pu guérir sa blessure.

L’emblème d’Isis était le noeud magique ank qui signifiait la vie, une amulette en forme de croix dont les deux branches retombaient. Elle conféra à quiconque la portait la protection de la déesse. Isis jouit d’un culte au-delà des frontières de l’Égypte et fut une des figures divines des romains. Son temple principal se trouvait à Philae en HauteÉgypte, la perle et le dernier bastion de l’Égypte ancienne.

Ses liens avec la Franc-maçonnerie

Se demander si l’Égypte a influencé la Maçonnerie n’est peut-être pas la question la plus pertinente. Celle à se poser concernerait plutôt la manière dont l’Égypte l’a influencée. Le thème central de toute initiation demeure directement ou indirectement celui de la mort et le destin posthume de l’âme humaine. L’homme a toujours cherché à répondre à la question de son existence. Face au vertige qui nous saisit à l’idée de notre propre extinction, il ne saurait y avoir de différence fondamentale entre les hommes de quelques époques ou cultures qu’ils soient. Nous sommes face à l’indéfinitude de l’existence. Il fallait donc répondre par des approches relevant elles-mêmes des fonctions archaïques du psychisme humain, afin de les solliciter d’une manière telle que l’homme puisse trouver quelque chose en lui de différent et convoquer une aptitude à la spiritualité que les mots ne peuvent saisir, et dont les concepts ne peuvent rendre compte. Les vérités métaphysiques, extirpées depuis des siècles par ceux ayant connu le difficile sentier de l’initiation, ont été parfois rapportées dans des textes obscurs comme ceux du Corpus Hermeticum (célèbre livre d’occultisme attribué à Hermès Trismégiste) et transmis par des cérémonies étranges dont les hommes ont parfois « perdu les clés ». La Franc-maçonnerie, qui n’impose aucun dogme, en découle, en invitant l’initié à abandonner le vieil homme en lui pour renaître d’une manière différente au Réel, ce qui ne renvoie plus au destin posthume de l’âme humaine, mais à « l’art de mourir à soi-même ici par l’introspection continue ». Aussi, parmi toutes les connaissances transmises depuis l’Égypte, celles sur ce rapport à la mort et au divin avaient plus de chance de passer les épreuves du temps et de l’histoire. C’est bien ce qui s’est passé.

Si nous, Francs-maçons, portons le titre symbolique d’« enfants de la Veuve », c’est en raison d’une tradition primordiale, celle des mystères d’Isis, la Veuve par excellence, qui parvint à rassembler les parties dispersées du corps d’Osiris, son époux assassiné (modèle d’Hiram) et à le ressusciter. Nous nous attachons ainsi à mettre en lumière la tradition isiaque, c’est-à-dire le récit mythique de la Quête d’Isis refusant le désespoir, sa victoire sur la mort, les « outils » qu’elle utilisa et sa manière de ranimer le corps du Maître. Dame de l’Acacia, fondatrice de l’Art royal, Isis apparaît comme la mère des initiés et des bâtisseurs de temples. En évoquant son action symbolique et rituelle, c’est un aspect fondamental de la Franc-maçonnerie initiatique que tente d’éclairer ce texte, en s’intéressant à deux points essentiels: la recherche du coffre dans lequel le corps d’Osiris fut enfermé par Seth avant d’être jeté dans le Nil, et celle des membres dispersés d’Osiris découpé par Seth en 14, 16 ou 42 morceaux. La Veuve est celle sans qui le dieu Osiris demeure cadavre. Elle est le vecteur de la résurrection, un vecteur permanent de tradition en tradition jusque dans le mythe d’Hiram.

Il faut voir dans l’expression les « Enfants de la Veuve » un rappel à l’indispensable polarité féminine. Dans le mythe, la « mort » est « inertie, isolement, lassitude et dispersion » soit une perte d’axialité. La Veuve connaît «ce qui n’est pas encore venu à l’existence, c’est-àdire l’Énergie qui demeure une potentialité, elle sait faire apparaître cette Énergie en lui donnant forme ; elle possède le moyen de maintenir la vie en la régénérant ». Isis, guerrière et magicienne, symbolise aussi l’alternative nomade, le voyage initiatique qui lui permet « de rassembler les membres dispersés de son époux et lui rendre son intégrité ; en faisant cela, elle relie les villes entre elles et reconstitue le corps symbolique du dieu ». Rassembler « ce qui est épars », réunir, réanimer sont les trois temps de l’oeuvre isiaque. Ce lien entre la tradition isiaque et la tradition maçonnique nous oriente vers une interrogation enrichie des symboles maçonniques, eux aussi trop souvent inertes dans le Temple. A nous de les rendre plus vivants encore par l’action de la Dame de l’Acacia.

La Veuve dans les mythes et légendes

Le statut d’«enfants de la Veuve» acquiert une dimension ésotérique du fait de la filiation avec la Veuve. C’est une partie de son pouvoir qui est transmis à l’initié. Du seul fait de l’Initiation suivie de l’Augmentation de salaire au 2e degré et de l’Elévation à la Maîtrise, le nouvel initié se retrouve ainsi projeté dans une autre dimension avec deux challenges: premièrement, il doit assumer la «succession» d’Hiram dans cette fonction d’architecte du Temple de Salomon, avec des interprétations variables des mots en fonction de la «liberté de conscience»; deuxièmement, il doit assumer d’être l’«enfant de la Veuve» d’Hiram, c’est-à-dire être dépositaire de la transmission du contenu ésotérique de la «puissance » de la Veuve! Finalement, pourrait-on dire que le nouveau Maître se retrouve, sans explications préalables, dans l’obligation inconsciente d’assumer un «héritage» qui se présente aussi comme une obligation morale, un sur-moi? Le mythe d’Isis est la légende fondatrice d’un engagement moral. Isis est l’appel permanent de la Création qui naît à chaque instant. Elle demande fécondation de ce qui peut être principe d’alimentation de la vie. Elle est Isis qui rassemble les morceaux (la multiplicité) et permet la création de l’Homme nouveau. Ce processus serait-il la clef de toutes les formes de naissance à soi-même?

Les croyances égyptiennes offrent l’image d’un ailleurs, où le charme et la morale n’étaient pas encore en conflit. Aujourd’hui, au XXIe siècle, la question se pose de la capacité de se détacher de cette légende, voire même de nos religions guerrières, pour assumer un autre rôle qui n’est nulle part réellement explicité: la Spiritualité dans les voyages de l’Energie.