Tout commence par la paix de l’esprit

La paix dans la vie de chacun signifie beaucoup plus que le conflit zéro. Elle est le socle d’une véritable philosophie sur lequel tout le reste repose, une manière d’être qui assure notre quiétude d’esprit au même titre que l’harmonie dans nos entourages : famille, milieu professionnel, environnement social, écologie et… loge maçonnique.

Lorsqu’on évoque la paix on a, semble-t-il, tendance à confondre celle qui existe ou devrait exister entre les Etats du monde, soit la paix civile, comprise dans le sens politique du terme. Or, il en est une autre qui est de nature individuelle, la paix intérieure. Celle- là est un mode de vie en soi et, dirions-nous, une spiritualité à part entière, même si ses pratiquants ne se réclament d’aucune dénomination religieuse particulière, puisque pareille attitude relie les hommes dans un sentiment de concorde, prélude à la fraternité, au lieu de les diviser. Ceux et celles qui s’efforcent de concrétiser les principes de base qui assurent un climat de pondération entre les êtres, ceux-là croient obligatoirement, peut-être à leur insu, en une destinée supérieure de l’humanité. Agissant chacun dans son univers quotidien, ils veillent à se comporter en conformité avec leurs convictions. Ces personnes sont relativement rares, pour cela d’autant plus précieuses à la bonne marche de la société. Ils font écho à la phrase du philosophe néerlandais Baruch Spinoza qui dans son oeuvre Ethique écrit : « La paix n’est pas l’absence de guerre, c’est une vertu qui ne peut naître que de la vie intérieure. » D’où la nécessaire déontologie qui en découle.

L’éducation à la paix doit commencer très tôt

Il revient à dire que logiquement parlant si chaque individu cultivait d’heureuses dispositions au dedans de lui, si son intelligence était suffisamment éveillée au bien commun, alors il n’y aurait plus de conflits d’intérêt ou armés. L’inconvénient est que tout le monde désire la paix, mais à sa manière, selon ses règles personnelles qui trop souvent diffèrent de celles de son voisin et ainsi naissent les confrontations. Il n’empêche, accomplir l’effort de conciliation au plus intime de son coeur dans sa sphère privée est la condition pour espérer atteindre un objectif plus vaste. Il n’est pas d’alternative à cette exigence.

L’état d’esprit dont nous parlons n’étant visiblement pas inné, des institutions se sont créées à travers le monde afin de le promouvoir dès le plus jeune âge par une instruction suivie et consensuelle mettant en valeur les droits humains. L’une des expériences parmi les plus réussies dans ce domaine est l’organisation non gouvernementale « L’ Ecole instrument de paix » créée en 1967 par Jacques Mühlethaler dans la Genève internationale. Il importe de commencer ce type d’éducation très tôt. Citons à ce propos les quatre derniers vers d’un poème de l’écrivain israélien Yehuda Amichaï : « Mon fils a un parfum de paix/le ventre de sa mer/lui a promis ce/que Dieu ne peut nous promettre. »

Bâtir sans cesse de nouveaux liens

Nombreux sont les écrivains francs-maçons qui ont abordé ce thème, non par de fastidieux essais didactiques mais avec leur talent de créateur. L’un d’entre eux est l’Hindou Rabindranath Tagore, prix Nobel de littérature en 1914, initié dans sa jeunesse à une date qui nous demeure incertaine. En 1924, le Suprême Conseil d’Angleterre lui décerna un diplôme d’honneur. Sa poésie, ses nouvelles et romans sont empreints d’une sagesse jamais séparée de la vie réelle et de ses manifestations les plus tangibles, ils en font au contraire partie jusqu’à en refléter les moindres mouvements. Dans La Corbeille de fruits nous lisons : « Envoiemoi l’amour qui retient le coeur dans une plénitude de paix. » Ou encore, dans L’Offrande lyrique cet exhortation à tonalité mystique : « Quand l’oeuvre de tumulte élève de toute part son vacarme, m’excluant d’au-delà, viens à moi, Seigneur du silence, avec la paix et ton repos. » Résonne chez lui une religiosité qui est joie dans l’action. Car le pacifiste véritable se situe aux antipodes d’une attitude passive, voire résignée, il s’engage au contraire à bâtir sans cesse de nouveaux liens entre les vivants, et quelquefois s’inspire d’exemples de vaillants disparus pour stimuler son ardeur à la tâche. Se couper des réalités concrètes, ne serait-ce pas une fuite aveugle en avant, ou en arrière ?

Des hommes et des mouvements endiguent la folie de la destruction

Feu André Chédel, de la loge locloise « Les Vrais Frères Unis », a rendu à Tagore plusieurs vibrants hommages dans ses chroniques littéraires. Luimême a beaucoup écrit sur le thème de la paix dans l’homme et dans le monde. Parfois la désillusion côtoie l’optimisme : « Il est évident que l’on peut douter parfois de l’amélioration de l’humanité lorsque tant d’événements destructeurs battent en brèche l’édifice. Il faut cependant tenir compte de certains faits positifs tout au long de l’histoire des sociétés, de sorte que l’humanité pourrait être pire qu’elle n’est actuellement s’il n’y avait pas eu des hommes ou des mouvements pour endiguer la folie de la destruction. »

Il faut cultiver son jardin

Etre un partisan résolu de la nonviolence dans sa vie personnelle et ses rapports avec autrui représente un défi majeur. Tant de bruits, de contrariétés autour de nous menace chaque jour d’anéantir nos meilleures intentions. Nous sommes à des degrés divers soumis à des pressions tous azimuts qui mettent à mal notre sérénité, d’où précisément le besoin de construction en soi d’une forme de résistance active aux agressions du dehors. C’est pourquoi s’astreindre à la tranquillité intérieure où l’âme respire enfin, cultiver son jardin comme le préconisait notre Frère Voltaire, permet de préserver son intégrité morale en toute circonstance. Il s’agit, autrement dit, de rendre indéfectible notre volonté de vaincre les tensions multiples qui nous assaillent. L’essentiel consiste à nourrir nos attaches affectives parallèlement à l’activité assurant notre subsistance. Concluons par l’impératif de l’entente dans la loge, parce que s’il est un lieu associatif où la paix doit prévaloir, c’est bien celui-là. J.T.