Usages et pratiques

R. E. L. (Revue maçonnique suisse: avril 2003)

Le rituel est un ensemble de rites qui définissent une cérémonie à caractère religieux. Si dans le sens commun, le mot rituel renvoie de fait à la logique des cérémonies de l’Eglise catholique, on l’évoque notamment pour toutes les cérémonies religieuses, de type mystique voire ésotérique. Et pour organiser ces cérémonies, le recueil qui contient toutes les références est appelé le «Rituel».

Depuis que l’homme a inventé l’écriture pour communiquer son savoir et les diverses obligations religieuses, le rituel est le livre des cérémonies. Pour l’imaginaire de chacun la première vision que le terme évoque est naturellement celle d’un gros bouquin dont la couverture serait faite dans un cuir ancien, et composé de pages à bords dorés sur la tranche. Et ce livre mentionne page après page la description des usages et de ces détails à observer pour le bon déroulement des cérémonies. Sortant tout droit des Eglises chrétiennes et autres lieux sacrés, les différents livres nous transmettent l’ensemble des règles qui régissent la pratique du rituel. Dès lors la notion de rituel va entrer dans le langage profane, étant utilisé parfois pour des raisons autres que la religion.

Pas un livre de chevet

Ce livre communique de façon souvent codée des messages, et principalement un état sacramentel qui doit être transmis par: soit des prières, soit une cérémonie faite de situations. C’est le livre dépositaire d’un savoir pour initiés. Dans la religion chrétienne, c’est la façon de recevoir un enseignement dont la portée religieuse est faite de croyances et de dogmes. Les rituels qui s’écartent de cet enseignement, donné par des obédiences religieuses dépositaires d’un message, dégagent obligatoirement pour celles-ci une odeur de soufre et prennent une connotation dans le sens sectaire. Face aux dogmes de l’Eglise catholique, la différence est toujours condamnée, le rituel issu d’un schisme est rejeté. L’anathème est lancé, la notion de sacré devient une source de savoir et d’explications. Le rituel initial va donc être sujet à modification dans les diverses religions monothéistes.

On mentionnera volontiers pêle-mêle en plus des rituels modifiés dans les religions réformées et autres, ceux touchant aux cérémonies magiques comme le vaudou, ainsi que des rituels dans les pratiques gastronomiques et des rituels ludiques dans l’élaboration de jeux de rôles à la mode actuellement, ces derniers faisant des emprunts considérables et mélangeant à souhait les divers ingrédients des rituels anciens et cultuels. Enfin, comment ne pas évoquer des rituels sataniques dans une certaine littérature accessible à beaucoup, créant une confusion dans les lectures de tous les jours. Certains d’entre eux, émis par ce que l’on relèvera comme des sectes, sont des ensembles de rites qui peuvent recouvrir toutes sortes d’égarements. Car volontairement ceux-ci sont faits pour assouvir la volonté de pseudo gourous aux dépens des autres membres. Ce point n’étant mentionné ici que comme exemple de livres prenant la dimension d’un rituel, selon la définition que lui donne l’être humain qui le consulte. Un rituel n’est pas destiné à devenir un livre de chevet. Il est le guide pour le déroulement d’une cérémonie, étant une somme de pratiques à caractère sacré. Mais dans le langage populaire, ces pratiques sont des usages qui peuvent tendre vers des habitudes. Notre quotidien est fait et même ponctué de ces dites habitudes que l’on peut qualifier de rituelles dans la langue profane.

On qualifie bien des actions de rituelles pour mentionner toute activité qui se répète, dans des occasions précises et qui sont dévolues à des occupations tant ludiques que journalières. Il n’est nul besoin de donner ici des exemples, drôles et cocasses, afin de détendre un peu l’attention du lecteur. Chacun aura en pensée des situations qui l’interpellent dans la vie courante. Une citation apporterait un côté trivial à notre réflexion. Laissons donc l’intérêt des rituels touchant la salle de bains ou la cuisine pour nous concentrer sur notre sujet. Notre propos ne tiendra compte que du côté initiatique d’un rituel, et pas n’importe lequel. Il s’agit de celui qui nous vient de la nuit des temps, celui qui doit transmettre les messages de sagesse, force et beauté, c’est-à-dire notre rituel maçonnique.

Après une longue gestation

Nous l’avons déjà mentionné, notre rituel est un ensemble de rites, fait de détails et d’usages, qui prescrivent le déroulement d’une cérémonie et dans le langage populaire un acte cultuel. Etant un ordre initiatique, la franc-maçonnerie occupe une place bien particulière dans les institutions à vocation spirituelle. Notre rituel a un sens de transmission.

Abordons le sens du rituel, soit la faculté d’éprouver des sensations d’un certain ordre. Ces sensations sont auditives et visuelles dans un premier temps, tactiles, olfactives et même gustatives selon la cérémonie. Le sens doit être

pris comme une valeur donnée au mot «rituel». La signification de la cérémonie est principalement les connotations visuelle et auditive dans le déroulement de celle-ci. Rappelons que nos cérémonies sont appelées «travaux», d’après notre définition, cela devant faire réfléchir et modifier l’état d’esprit de qui y participe. Nous venons en loge pour travailler. Notre rituel est donc l’organisation d’une journée de travail. Le sens de notre rituel nous demande d’être attentif au déroulement et aux ordres donnés. Par un langage approprié avec les mots et les phrases, accompagnés par la posture et les signes, l’usage symbolique participe à une mise en condition de l’esprit de chacun. Le fait d’occuper un poste ou un plateau exige du responsable une attention totale pour le bon déroulement du rituel. Et le frère qui se trouve sur les colonnes doit avoir l’intuition de se mettre dans un état d’esprit réceptif afin de transposer l’enseignement et vivre la cérémonie. La participation doit être active, jamais passive. C’est le concept de la réception et de la compréhension, et à cette fin les instructions de chaque atelier apportent une telle approche du rituel. Cela dans le but de pouvoir le transmettre à ceux qui nous rejoindront comme nous l’avons reçu de nos prédécesseurs.

Nos traditions symboliques sont des messages. Leurs interprétations par la structure conceptuelle de l’enseignement doivent permettre à chacun de comprendre la portée du rituel. Il est bon de rappeler que l’étude du déroulement est indispensable lors de répétitions dans nos loges. Et surtout la modification personnelle perçue par chacun selon sa volonté de pénétrer les arcanes de nos cérémonies. Dans ce cas le mot «sens» prend les notions de discernement et d’intuition qui fournissent les réponses aux nombreuses questions de chacun sur la portée du rituel. Comment ne pas voir que notre chantier symbolique est dans notre intérieur profond et que toute la cérémonie que nous vivons est un long apprentissage? Cela ne doit pas être pris au premier degré, mais bien dans le sens du perfectionnement qui n’aboutira qu’à notre ultime initiation.

Le sens du rituel n’est pas acquis le premier soir, il l’est après une longue gestation cérébrale et aussi par une participation active à nos travaux. La possibilité d’occuper un poste doit permettre à chacun de comprendre le rituel en le vivant par une présence qui demande une grande disponibilité.

Hors du temps

Ne voulant pas entrer dans les nombreux rituels maçonniques, notre propos se bornera à quelques exemples qui se retrouvent facilement dans tous ceux que l’on pratique. Premier exemple: la mise à l’ordre. Il n’y a pas seulement le fait d’être reconnu maçon, il s’agit aussi du rappel constant d’une promesse. Se mettre à l’ordre doit être un état d’esprit afin de débuter une cérémonie selon un rituel particulier. Il s’agit certes d’une habitude pour des initiés qui ont déjà parcouru un long chemin. Dans l’histoire de la franc-maçonnerie, outre le gardien extérieur qui veillait sur la loge avec son épée, l’usage était de vérifier si un intrus était sur nos rangs. Nos rituels ont conservé cette précaution.

Le signe dans le rituel est une reconnaissance obligatoire pour se placer dans un état de participation, de réceptivité et d’échange. Le langage des signes demanderait une explication bien captivante. Petit rappel de circonstance: depuis la nuit des temps l’être humain donne des signes pour indiquer sa disponibilité dans certaines occasions. Prenons le fait le tendre la main dans la vie quotidienne. À la base c’était un signe de paix, l’homme montre qu’il n’a pas d’arme. Il vient au devant de l’autre sans mauvaise intention. Il tend la main droite, celle qu’il peut porter à son épée. Autre signe qui relève de l’usage dans la même approche, les chevaliers des tournois du moyen âge relevaient la visière de leur casque pour arrêter le combat avec leur main droite. Le soldat aujourd’hui portant sa main au béret sait-il que ce signe d’ordre vient de cette tradition belliqueuse? On ne tendait pas la main à une dame mais on la lui baisait par déférence. Tout un programme qui se perd dans la nuit des temps, question de liberté et d’égalité, et de ne pas trop être considéré comme un homme dépassé par l’évolution des mœurs. De nos jours il s’agit d’un signe de politesse avec certains usages et coutumes.

Tendre la main entre frères induit un décryptage supplémentaire. Outre le grade, la poignée de main maçonnique permet une reconnaissance immédiate, secrète et presque intime. C’est déjà une sorte de rituel. C’est aussi un usage à portée ésotérique selon les différents degrés de notre ordre. L’attouchement maçonnique ne doit pas être donné sans savoir ce qu’il signifie, sinon le sens perd sa valeur tactile.

De plus, la cérémonie doit être une volonté d’entrer dans un monde sacré. Le sens ésotérique est une mise en condition, il ne s’agit pas d’être spectateur d’une cérémonie plus ou moins accessible pour celui qui cherche. A chaque moment l’ouvrier est un participant, le rituel le rappelant par des textes fort appropriés. Celui-ci est un enseignement qui permet à chacun d’évoluer au gré de découvertes personnelles. La cérémonie se déroule de manière à transmettre ce que l’initié peut et doit faire au cours de sa vie maçonnique. Tout prend un sens volontairement sacré. La lumière et les variations de son intensité, la musique et sa portée émotionnelle ainsi que le déroulement de la lecture des textes de notre cérémonie démontrent que notre rituel est une somme de données symboliques et ésotériques. Nos rituels rapportent aussi une dimension mystique, intemporelle en commençant nos travaux à Midi, lorsque le soleil a atteint son point culminant. Nous travaillons en pleine lumière. Le temps se trouvant suspendu, nos travaux se ferment à Minuit, lorsque l’ombre s’étend sur la terre, mais aussi à la fin ultime de la journée. La seule chose qui n’est pas d’une importance primordiale reste le lieu. Il s’agit d’un environnement organisé selon le rituel pour permettre le bon déroulement de la cérémonie. Le rituel peut être organisé en tout lieu, si possible secret, cela va de soi. Certains objets sont indispensables et confèrent un caractère architectural dans le sens de la durée. Mais l’ouverture des travaux consacre une situation intemporelle, qui ne finira qu’à la fermeture des travaux, selon le rituel.

Nous sommes hors du temps, comme décrit plus haut. Mais dans un lieu que notre rituel demande de consacrer. Cela a une portée ésotérique. La pièce dans laquelle nous nous trouvons ne prend sa dimension symbolique que pendant le rituel. Le temple est un endroit organisé pour simplifier la mise en pratique de nos cérémonies, mais c’est le texte choisi par chaque loge qui est l’enseignement de base. Et le frère visiteur en recevant le rituel d’une loge sœur voit son enseignement personnel enrichi d’une dimension que seule la maçonnerie peut donner.