Sur l’appartenance maçonnique des magistrats

Motion récemment discutée au sein du Grand Conseil valaisan

Dans l’après-midi du 5 juin dernier le Parlement cantonal valaisan a débattu d’une motion déposée en mars par le député Oskar Freysinger, de l’Union Démocratique du Centre (UDCV) demandant aux représentants de la magistrature de déclarer leur appartenance à la francmaçonnerie. La motion a été rejetée lors du vote, mais sans majorité confortable et avec un taux d’abstentions relativement élevé. Par ailleurs, plusieurs formations politiques se sont exprimées en ordre dispersé. L’opposition parlementaire à cette initiative était emmenée par le groupe du Parti Radical Démocratique (PRDV) dont le député Gilbert Tornare, non-maçon, a exposé quatre raisons fondamentales pour lesquelles la motion devait être repoussée. Nous donnons ci-après les points essentiels de son intervention (Réd.)

1. Elle est inopérante sans la mise en place d’un système de fichage de l’ensemble de la population. En effet, s’il s’agit de prévenir la partialité d’un Juge, par exemple, encore faut-il connaître l’appartenance ou non à une loge maçonnique de l’ensemble des justiciables. Les motionnaires ne souhaitent pas qu’un Juge franc-maçon tranche dans une cause où un autre franc-maçon serait partie. Or, pour savoir si l’on est dans une telle hypothèse il faut être renseigné sur l’appartenance des parties ou non à la franc-maçonnerie. Comme on le voit, un tel système est totalement impraticable, sans parler de son aspect délirant et inutile, vu les dispositions légales existantes en matière de récusation des magistrats.

2. Elle est contraire au droit fédéral, et donc sans effets juridiques. Car la Constitution fédérale prohibe toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, philosophiques ou politiques. Enfin, une loi cantonale ne saurait violer la garantie fédérale du droit d’association, de la liberté de conscience et de croyance. La motion est d’autant plus contraire au droit fédéral que la question a été posée au souverain, et que ce dernier a voté de manière catégorique.

En rejetant, en 1937, l’initiative des fascistes et des frontistes, le peuple suisse a montré, selon l’historien Roland Ruffieux, professeur aux Universités de Fribourg et Lausanne, son refus de mettre en cause le droit d’association et, de manière plus générale, «l’ordre constitutionnel libéral». «L’éventualité d’une interdiction de la franc-maçonnerie touchait directement le droit d’association, c’est-à-dire une des libertés qui avait le plus contribué à l’édification de la Suisse moderne» (La Suisse de l’entre-deuxguerres, Payot, Lausanne, 1974, page 313, ss.). En exigeant des magistrats une déclaration formelle d’appartenance à la francmaçonnerie, cela entraînerait l’interdiction d’exercer leur mandat pour incompatibilité.

3. La motion contredit les valeurs les plus élevées, et les mieux partagées de notre démocratie valaisanne. Démocratie en construction, qui postule le respect de la loi, des libertés et du pluralisme. Depuis quelques années, le mouvement s’est accéléré en faveur d’un Etat moins partisan, d’une conception moins rigide des relations entre les partis, d’un respect accru des différences. La motion du député Freysinger casse cet élan, brise les efforts entrepris de bonne foi par la plupart des formations et des courants politiques.

4. Finalement, cette motion placerait notre Canton dans une position pour le moins inconfortable, et le mettrait sur le banc de l’infamie. Dans un passé récent, les seuls régimes qui ont interdit la franc-maçonnerie, ou exclu de la magistrature et de la fonction publique les francsmaçons ou d’autres catégories de population, ce sont les régimes autoritaires et totalitaires de Hitler, Staline, Mussolini, Franco, Pétain, Salazar. J’allais oublier! le Front National de Jean-Marie Le Pen, qui a réclamé la même mesure en 1997! Notre Grand Conseil valaisan veut-il imiter ces dictateurs et ces tyrans, étrangers à notre histoire, à nos conceptions de la démocratie et du droit? Mêmes soupçons, mêmes rumeurs, même volonté d’exclusion, d’épuration, sous le prétexte de la transparence et de la rénovation des institutions! Elle est étrange, mais instructive la pérennité des schémas de pensée et d’action. Le principe qui dit que les mêmes causes produisent les mêmes effets trouve une nouvelle justification. Au nom du groupe radical, qui se reconnaît pleinement dans la défense des libertés publiques et privées et de la tolérance, je vous demande, chers Collègues, de vous opposer massivement à cette motion».