Remplacer les contraintes par l’amour du prochain

Aimer, donner sans rien attendre en retour, pratiquer la fraternité universelle

Le thème des responsabilités du francmaçon est un sujet délicat, susceptible de soulever des passions et des controverses que notre ordre, selon les Constitutions d’Anderson, doit éviter.

Loge Post Tenebras Lux, Zurich (Revue maçonnique suisse: août/septembre 2007)

Dans ce cadre, les Constitutions maçonniques internes, les statuts, les idées de citoyenneté, de devoirs et d’obligations nous paraissent avoir une orientation particulière suivant la position de la loge dans le monde ou le pays où elle se situe. Et toute proposition basée sur ceux-ci devrait être écartée si nous voulons parler de notre institution sur le plan universel et de ce qui la différencie d’autres organisations.

Nous connaissons dans le monde profane plusieurs régimes de responsabilités. Citons les contractuelle, extracontractuelle, et pénale. Pour les deux premières responsabilités, le Code des Obligations part du principe général que quiconque commet une violation en la matière, par intention ou négligence, ou cause un dommage à autrui est tenu de le réparer. Le Code pénal stipule par contre que l’auteur d’un acte illicite est tenu pour responsable de l’infraction commise et devra lui-même subir les sanctions prévues par la loi.

Du point de vue maçonnique nous voyons dans le terme responsabilité un régime différent, faisant abstraction de toute référence à la responsabilité découlant des stipulations légales et aux obligations qu’elles imposent. En effet, le terme en question est aussi l’expression d’un sentiment, d’une émotion ou d’un appel à la conscience. Ne disons-nous pas «avoir le sens des responsabilités» ou «se sentir moralement responsable», comme on se sent responsable de ses décisions, actes et paroles? Dans notre contexte, il nous semble que seule cette approche devrait être retenue car elle émane de la conscience même de chacun d’entre nous. Elle est par ailleurs théoriquement indépendante de la sphère profane.

Trouver les réponses dans notre enseignement symbolique

On peut bien sûr se demander ce qu’est la conscience, qu’elle est son origine et comment elle se forme. Les spécialistes nous disent que sa formation a lieu en partie dans la petite enfance, par les interdits que l’enfant ne parvient pas à «rationaliser». Cela expliquerait que certaines personnes se sentent, par rapport aux mêmes faits, responsables, alors que d’autres n’y pensent même pas. Lors de l’initiation, la purification par les éléments naturels marque un écart par rapport aux connaissances que transmet le monde profane. Plus tard, au fur et à mesure de la progression du récipiendaire et de son travail en loge, la conscience profane sera peu à peu suppléée par une nouvelle conscience dont le fondement ne sera plus les interdits mais la sagesse, la force et la beauté, l’initiation étant la première manifestation de la recherche intérieure provoquée par un isolement méditatif vis-à-vis du monde extérieur.

Par définition, la maçonnerie spéculative n’est plus opérative dans le sens de «construire des cathédrales» mais dans celui où elle emprunte ses outils aux anciens bâtisseurs. Il s’agit donc d’une «démarche intellectuelle» d’accompagnement visant à développer l’être sensoriel intelligent et conscient. Les lois, principes et événements externes, ne devraient pas l’entraver ou avoir une emprise sur elle car, comme écrit plus haut, nous recherchons une autre approche que celle de la vie profane connue et appliquée selon ses dispositions légales, sans d’ailleurs nous y opposer ni émettre aucun jugement. En termes de philosophie on peut affirmer que la franc-maçonnerie n’est pas «contingente», elle est «nécessaire», c’est-à-dire qu’elle ne dépend pas d’événements du dehors ou ne se laisse pas diriger par eux pour une recherche personnelle. Elle se suffit ainsi à elle-même. Les expressions symboliques en sont par conséquent la couverture du temple et la loi du silence. Notre ordre étant nécessaire, les responsabilités profondes de son adepte le sont aussi, mais quelles sont-elles? La réponse ne se peut trouver que dans notre enseignement et sa symbolique. Il importe de respecter une distance philosophique de notre ordre par rapport au monde profane sinon notre recherche serait éventuellement faussée et irait peutêtre à l’encontre de l’esprit dont nous nous réclamons.

Tentons un essai dans ce contexte. La maçonnerie n’admet aucune limite aux libertés de conscience et de pensée. De par sa symbolique elle parle de valeurs humaines, de tolérance, de fraternité, d’union, de recherche, de perfectionnement, de développement personnel, de lumière, de rectitude, de précision, de justice et de beaucoup d’autres choses essentielles à une vie harmonieuse et intelligente tout en laissant à chacun le soin d’en comprendre le sens et la portée selon sa perception. Le maçon peut être considéré comme un chercheur sans concept prédéfini, et ne devant pas essayer d’en établir car, souvenons-nous, nous ne trouvons jamais la lumière, nous la cherchons en permanence. On pourrait penser que la morale et les lois doivent par exemple faire partie de notre mode spéculatif. Si cela peut s’avérer vrai sur un plan individuel, il faut être très prudent quant à vouloir définir, globaliser ou intégrer une «morale» et des «lois» parce qu’il faudrait alors dire ce qu’elles sont et de quelle manière les appliquer, auprès de qui, pour quelle raison et dans quelle circonstance ou dans quel cas. Il s’agirait de définir leurs limites et savoir comment sanctionner leur non-respect. Or, notre enseignement ne permet pas ce type de démarche pouvant être qualifié d’intégriste.

S’appliquer à la construction du temple en commençant par soi-même

Le maçon est un être qui se remet lui-même en question, analyse ses propres pensées et améliore sans cesse son comportement, son esprit, sa relation à lui-même et aux autres. Il accepte la critique et l’utilise à bon escient pour son propre développement, il s’applique à la construction du temple de l’humanité en commençant par lui-même au moyen du maillet et du ciseau, de l’équerre, du compas et du Volume de la loi sacrée. Nos rites et symboles nous permettent de conclure que la responsabilité du franc-maçon s’articule autour de deux axes: travailler à son développement personnel, et construire le temple précité.

Rappelons-le, des statuts et constitutions spécifiques ne peuvent faire partie de l’essence de la pensée maçonnique vu qu’ils définissent des propositions particulières construites selon des besoins opératifs et profanes du moment, et répondant à des considérations de lieu et de culture. Ils ne peuvent être considérés comme universels. Toutefois, si notre ordre est nécessaire et également une entité indépendante, intouchable et étanche, comment le maçon pourraitil construire le temple de l’humanité? La réponse est simple: par la transcendance. Si en raison de sa définition et de son système symbolique, l’esprit de la maçonnerie ne peut être transcendé par le monde profane, celle-ci peut en revanche transcender son esprit dans le monde profane. Et c’est bien là sa mission spéculative dans le cadre de la construction entreprise. Ainsi, de par son caractère de fraternité notre institution s’attend à ce que chacun de ses membres déploie les bienfaits de son évolution dans sa pratique quotidienne et que, de par son organisation, cette même institution s’occupe elle-même directement d’oeuvres de bienfaisance.

Un temple maçonnique parfait serait transcendé par l’esprit maçonnique dans lequel toute forme de contrainte aurait été remplacée par l’amour fraternel, la probité, les bonnes moeurs, les valeurs humaines, le partage et l’absence des métaux. Un espace dans lequel régneraient la sagesse, la force, la beauté et la lumière. Plus globalement, c’est le remplacement des contraintes par l’amour du prochain. Et nous avons trouvé ici l’une des premières et plus importantes responsabilités du franc-maçon: aimer, au-delà des obligations et des impératifs légaux.

Changer de comportement, rechercher sa voie intérieure

Y a-t-il une autre responsabilité importante? La pierre cubique nous renseigne. Elle nous dit par l’intermédiaire de son symbole que nous devons travailler sur nousmêmes et donc changer ou retourner à nos sources intérieures jusqu’à atteindre la perfection de la pierre parfaitement polie. Il est dit dans la Bible: «Repentez-vous!». Certains traducteurs l’ont transcrit ainsi; d’autres, plus avertis, ont opté pour: «Changez de comportement », ce qui rend le message beaucoup plus intelligible, également pour nous, et tellement plus percutant. En résumé et en considération du cadre de réflexion que nous nous sommes fixés, deux responsabilités essentielles à la démarche maçonnique surgissent: aimer autrui autant que soi-même, appliquer la pratique de la fraternité. Ensuite, changer de comportement, rechercher intérieurement sa vraie voie.

Ces deux responsabilités sont tout sauf banales si l’on se souvient qu’elles ont eu beaucoup de peine à s’imposer dans notre culture passée et actuelle de globalisation, considérée par les plus défavorisés comme déshumanisante et opposant les hommes entre eux, avec la stigmatisation du plus faible et l’exacerbation du plus fort. Chez les penseurs et les économistes modernes le contraire serait plutôt valable, la globalisation améliorant la situation et la condition humaine et conduisant à une élévation générale du niveau de vie. Ainsi l’interprétation et la compréhension de chaque chose provient bien souvent de ses propres intérêts particuliers.

Y aurait-il une autre responsabilité? Nous l’avons dit: transcender l’esprit et les valeurs maçonniques dans le monde profane, et participer à la construction du temple de l’humanité, ce qui, aujourd’hui encore, reste totalement utopique, mais dont le Grand Architecte de l’Univers a certainement les plans.