Qu’est-ce que la vérité ?

Tel est le thème qui a préoccupé l’humanité depuis deuxmille cinq cents ans et sur lequel la quasi-totalité des chercheurs, penseurs, philosophes et hommes d’Eglise se sont penchés, laissant derrière eux une telle quantité d’ouvrages que le recensement en est impossible. Et pourtant… Existe-t-il une notion plus simple, plus évidente que celle de la vérité ?

P. V. – Tradition, Lausanne

Il s’agit là en réalité d’un invariant de la pensée, complètement étranger à l’idée même d’une définition, aussi évident que «deux plus deux font quatre», quasiment une loi de la nature, une entité qui se suffit à elle-même, que vouloir la définir, lui ajouter ou lui enlever un élément, aussi infime soit-il, constitue un véritable sacrilège : la vérité est la vérité dans toute sa beauté et, sans cela, elle n’a même pas d’existence. Songeons au formel des tribunaux (américains en particulier) qui exigent d’un citoyen appelé à témoigner dans un procès la déclaration : «Jurez de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité». Je pense que tout ce qui peut être dit au sujet de la vérité, de son intangibilité et de sa prédestination à former un tout est contenu dans cette déclaration.

Dès que l’on se met à détailler la vérité, à la découper en tranches suivant les doctrines, la philosophie ou la religion que l’on pratique, cela ne constitue rien d’autre que la négation même de la vérité ! Cela fait furieusement penser à ce coureur cycliste que l’on interrogeait au sujet de son dopage éventuel et qui répondit : «J’ai été drogué à l’insu de mon plein gré». Non, il est indispensable et urgent de revenir à une vision plus simple – et plus réaliste – de la vérité, ne serait-ce que pour faire comprendre à tout un chacun l’importance et la valeur de la vérité pour lui en particulier. Pour situer cette valeur, il est indispensable de rappeler le lien indissoluble de la vérité avec la réalité : ces deux notions – ces deux faits en réalité – . La vérité se doit d’être la photocopie parfaite de la réalité, sans quoi elle n’existe tout simplement pas. Et comme rappelé ci-dessus, la vérité ne peut pas être découpée en tranches, des tranches qui ne s’appliqueraient qu’à un domaine particulier de l’activité et de la pensée humaine. Bien sûr, ce principe est trop souvent mis à mal dans la réalité : en définitive, on peut même affirmer que seules des sciences telles que les mathématiques et la géométrie le respectent intégralement, cela parce que ces sciences échappent totalement à l’influence humaine : la circonférence d’un cercle sera toujours égale à son diamètre multiplié par π, le théorème de Pythagore conservera toujours son exactitude et son enseignement, quelle que soit la langue ou le système de notation utilisés pour l’exprimer. Mais attention ! Dès que l’esprit de l’homme intervient dans un raisonnement, ceci même dans le domaine des sciences, le mensonge, c’est-à dire le contraire de la vérité, fait son entrée en scène. Songeons à ce savant effectuant des recherches dans un domaine quelconque de la science et maquillant le résultat de ses expériences pour les faire correspondre à la thèse qu’il cherche à prouver, ce qui, en cas de réussite, lui ouvrirait toutes grandes les portes du professorat dans une prestigieuse université américaine. À part ces sciences mathématiques on peut affirmer sans crainte de se tromper que le mensonge règne partout et que la vérité n’exerce qu’une influence insignifiante sur la vie de l’homme.

Des exemples ? On en trouvera dans tous les domaines de l’activité humaine : songez simplement aux mondes des affaires, politique, religieux, judiciaire, artistique, médiatique, militaire.

Le reflet exact de la réalité

Il y a heureusement quelques exceptions à cet usage immodéré du mensonge. Citons à titre d’exemple Winston Churchill (le Frère Churchill) qui, après la victoire britannique dans la Bataille d’Angleterre, répondit à quelqu’un lui affirmant que cet événement marquait la fin proche de la guerre : «Non, ce n’est pas le début de la fin, mais la fin du début». Et d’ajouter: «Je vous promets encore du sang, de la sueur et des larmes».La vérité est quelque chose d’extrêmement simple, en définitive. Elle consiste à se conformer toujours et partout à la réalité, qui est finalement la pierre de touche de toute attitude se voulant honnête et, en ce qui nous concerne directement, conforme à nos principes maçonniques. La vérité se situe donc sur deux plans : 1) le plan mathématique et géométrique, grand invariant de l’Univers et pour lequel il n’y a pas à tergiverser un seul instant – la vérité y est également un invariant; 2) le plan humain au sens restrictif du terme, c’est-à-dire celui sur lequel se situent les relations entre deux ou plusieurs individus, qui sont en principe d’une honnêteté totale. Sur ce plan, la vérité est ou n’est pas. Elle ne supporte aucune érosion, aucune interprétation, aucune limitation. Ce qui est dit est et doit rester le reflet exact de la réalité, et rien ne peut l’altérer (j’allais ajouter «dans ce séjour»). En dehors des deux plans évoqués ci-dessus, la vérité ne semble jouer aucun rôle important dans les relations humaines ou sociétales, comme mentionné plus haut, et toutes les dérives semblent permises dans ce contexte à tout un chacun sans que cela ne soulève un émoi ou une répulsion particuliers.

Tâchons de rester simples, humains en un mot. Si la vérité est une notion particulièrement difficile à définir – si ce n’est à décrire – il s’agit malgré tout d’un fondamental essentiel dont tout individu a assurément une idée et une compréhension parfaitement justes, et tout aussi justes assurément que le débordement littéraire et plus ou moins philosophique qu’elle traîne derrière elle depuis des siècles.

Universelle dans son essence

Il n’y a pas lieu de rechercher les critères et les modalités de la vérité car, comme j’ai tenté de le démontrer, cette vérité est une et indivisible, la même pour tous et sans modalités particulières à un individu ou à un groupe d’individus donné. Nous ne devrions pas être en quête d’une certaine vérité, puisque celle-ci est universelle dans son essence ; et arrivés à l’âge adulte et bénéficiant de la lumière de la maçonnerie, nous possédons cette vérité et la comprenons pleinement ! Il n’y a pas davantage lieu de chercher à en fournir une définition, car celle-ci ne pourrait être qu’une redite à peine améliorée de tout ce qui a été écrit sur les millions de pages consacrées à son sujet. Non plus de chercher à s’en approcher le plus près possible, ce qui serait pour nous maçons une mission impossible car, comme je l’ai déjà dit, tout homme de bonnes moeurs et de bonne réputation ne peut plus vivre sans la vérité, cette vérité qui se présente à nous comme un bloc immuable avec lequel il est impossible de transiger.

Finalement, pour prouver – si cela était encore nécessaire – la réalité de cette vérité, son immutabilité existentielle, je pense que nous devrions agir comme Zénon d’Élée face à une foule d’auditeurs sceptiques quant à sa théorie du passage à la limite (les Grecs de l’époque ne pouvaient admettre que quelque chose d’existant puisse subitement disparaître), se borna à se lever et à faire trois pas (en référence au dilemme d’Achille et de la tortue). Imitons Zénon d’Élée et prouvons l’existence de la vérité une et indivisible en l’appliquant nous-mêmes partout et en toute circonstance.