Que l’action succède à la parole

Le monde maçonnique peut se révéler petit. Mozart était membre de la Loge « La Bienfai-sance » (« Zur Wohltätigkeit »). Dans le « Principes généraux » de la GLSA, on trouve sous « Pratique de la bienfaisance ». Comment celle-ci se manifeste-t-elle dans les faits ? Les bou-tiques de brocanteurs, les crèches, les écoles et l’aide aux pays en voie de développement : la liste des œuvres de bienfaisance maçonniques est sans fin. Une grande partie de celles-ci se réalise discrètement, le monde profane n’est pratiquement pas au courant de cet engagement. Une enquête effectuée au sein de Loges suisses allemandes choisies révèle une bonne image d’un contexte fédéraliste – et présente un bon profil.

Cette enquête avait pour but de faire apparaître les œuvres de bienfaisance à caractère  permanent, les moyens financiers mis en action en 2014 par ces Loges et leur projection pour 2015. Les noms des Loges ainsi que leurs particularités spécifiques ont bénéficié de l’anonymat, suite à la demande de certaines d’entre elles. Chaque Loge a sa propre stratégie et la comparaison de leurs budgets montre de grandes différences. La bienfaisance fait, elle  aussi, bien ressortir les problèmes profanes de chaque Frère et chaque Sœur. Et il y a lieu de tenir compte des traditions particulières propres à chaque Loge.

Loge A

La Loge A gère un fonds de bienfaisance depuis 1780. Dans ce cas, la gestion de la bienfai­sance est confiée à une fondation. Les moyens financiers qui lui sont propres proviennent de ses intérêts et de ses propres revenus. Les bénéficiaires de cette générosité sont des personnes d’âge adulte, en majorité d’origine suisse se trouvant dans une situation financière notoire­ment difficile ayant leur domicile dans le canton de la Loge, ou alors des enfants également en situation difficile. La fondation fait objet d’une surveillance cantonale et est exempte de tout impôt. Une telle fondation n’a pas pour but de venir en aide de la manière la plus facile qui soit, à savoir en subventionnant simplement des institutions, mais en s’occupant uniquement des cas dans lesquels une aide directe à la personne dans le besoin est possible.

La fondation en question a accordé ces dernières années des aides représentant un total compris entre Fr. 35’000 et Fr. 45’000 à des personnes dans le besoin, ceci sous forme des dons à caractère social ou éducatif. En 2014, le total s’est élevé à Fr. 39’000 seulement, et le montant prévu pour 2015 s’élève à Fr. 30’000.

A part cette aide, la bienfaisance de la dite Loge s’exerce par l’intermédiaire d’une associa­tion : celle-ci a offert à un village de montagne une cuisine moderne d’une valeur de Fr. 100’000. En outre, la dite association a soutenu par un montant de Fr. 60’000 un projet visant la promotion d’élèves des deux sexes motivés et dont le potentiel intellectuel avait été re­connu, mais dont la famille n’était pas en mesure de leur apporter une aide suffisante. L’association en question a versé en 2014  Fr. 41’500 pour de buts charitables, ce qui fait qu’au total, la fondation et l’association ont promis une aide de Fr. 80’500 pour 2014.

Loge B

Cette loge soutient la formation en Bolivie d’une institutrice par un montant annuel  de Fr. 250 ; par ailleurs, elle prend en charge l’abonnement à la revue « Alpina » pour une Loge en Albanie. De plus, elle remet à chaque Compagnon un montant de Fr. 200 prélevé sur la caisse aumônière, afin qu’il réalise une bonne action, guidé par sa seule inspiration.

De façon unanime, tous ces Compagnons ont affirmé avoir pris conscience qu’il ne s’agissait pas là d’une tâche des plus faciles. Vu que, dans cette Loge, une aumône n’est exi­gée des Frères que lors d’une Tenue au Temple, le montant collecté l’année dernière ne s’élevait qu’à Fr.700 environ. Ce montant a été réparti comme décrit ci-dessus.

Pour l’année en cours et abstraction faite à affectation fixe, aucune autre affectation n’a encore été définie.

Loge C

Cette Loge dispose d’une œuvre d’entraide disposant d’un fonds général d’aide et d’un fonds à buts culturels. Le fonds général d’entraide a, entre autres, pour but le soutien de personnes dans le besoin (cette catégorie comprenant également les Frères et les Sœurs), de familles, de communautés, etc., et même l’aide dans des situations de besoin extrême dus à des évène­ments naturels survenant dans le pays ou à l’étranger ainsi que le soutien et la promotion de la formation de base ou élémentaire de jeunes et finalement la promotion de l’intégration d’étrangers en Suisse. Les montants prévus à cet effet se montent à Fr. 30’000/40’000 environ. Ceci est également le montant prévu pour 2015.

Le fonds à buts culturels vise le soutien et la promotion de tâches culturelles d’intérêt géné­ral, en particulier la conservation d’œuvres architecturales inscrites au « Heimatschutz », et l’aide à des réalisateurs d’œuvres d’art. Les moyens du fonds à buts culturels sont liés à la société pour le financement du bâtiment de la Loge par l’intermédiaire de prêts. A part cela, des montants de moindre importance sont distribués à des artistes en faveur de leurs projets.

Ce sont les Frères qui ne sont plus à même de payer leurs cotisations qui causent de plus en plus de soucis.

Loge D

Cette loge répartit sa bienfaisance  entre l’aide interne (pour les Frères dans le besoin) et l’aide externe (organisations, personnes, familles dans le besoin, etc.) : deux fonds distincts sont à disposition pour ces besoins. Les montants versés varient en fonction du cas traité ; cette Loge vient pourtant de décider de limiter les versements à Fr. 10’000 par cas ou par per­sonne durant la même année dans le domaine de la bienfaisance. L’année dernière, une fa­mille tombée dans le besoin a été secourue grâce à un montant supérieur à Fr. 10’000, dont une partie cependant a été octroyée sous forme d’un prêt sans intérêt, alors qu’une mère éle­vant seule ses enfants et tombée dans le besoin était également aidée, sous forme d’une « aide à l’indépendance » et qu’un jeune homme rendu invalide à la suite d’une agression commise par de jeunes extrémistes de droite recevait un montant de Fr. 1’000. Par ailleurs, une associa­tion d’aide sociale pour handicapés a bénéficié d’un don de Fr. 10.000 en faveur de la cons­truction d’un nouveau bâtiment. Ce don était lié à la condition que cette aide soit mentionnée dans le rapport annuel de l’association.

Comme indiqué plus haut, ce sont les Frères qui ne sont plus à même de payer leurs cotisa­tions, ceci pour des raisons financières (chômage), parfois également pour des raisons person­nelles/familiales (suite à un divorce). Dans les cas de nécessité démontrée, c’est le fonds in­terne qui prend en charge ces cotisations et donc également la cotisation à la GLSA. En ce qui concerne l’année 2015, il n’existe actuellement aucun projet concret : on peut cependant esti­mer que l’aide à prévoir respectera le trend actuel.

Loge E

Le Frère Hospitalier peut compter sur des rentrées annuelles comprises entre Fr. 5’000 et 6’000. Il place ce montant auprès de personnes nécessiteuses et d’institutions. A ce jour, ce sont deux écoles en Inde et une au Népal qui sont soutenues. L’intention de la Loge est d’augmenter cette forme d’aide directe. Indépendamment des rentrées du Frère Élémosinaire, la Loge a encore pu créer une fondation sur la base du legs d’un Frère : celle-ci se concentre également sur l’aide à des projets bien définis à but précis. L’importance des dons annuels qui seront octroyés doit encore être précisée.

Loge F

La particularité de cette Loge est la création d’un « entraînement à l’octroi d’une aide » destiné aux Frères Apprentis. Dans ce cadre, les modalités du don ne sont discutées par l’Apprenti qu’avec son parrain et seul ce dernier exerce une surveillance sur cette activité. Il est cependant possible au Frère Apprenti de présenter une demande complémentaire à la Caisse aumônière. On relèvera toutefois que, dans ce cas, il ne s’agira pas obligatoirement d’une prestation financière. Toute autre forme de prestation personnelle est également envisa­geable ; il peut s’agir d’une aide à un concitoyen dans le besoin ou d’une activité en faveur de la communauté.

Sur ce point, le système a fait ses preuves : le respect de la tradition s’est révélé bénéfique.

La stratégie optimale est celle consistant à tirer de ses conditions person­nelles, à l’aide de ses propres capacités, le meilleur de toute chose.

Une décision difficile

Si l’on cherche à tirer une conclusion de ce qui précède, on ne pourra que constater que la diversité des aspects de la bienfaisance maçonnique est le reflet de notre aversion pour les solutions centralisatrices. Tirer de ses conditions personnelles à l’aide de ses propres moyens le meilleur de toute chose est assurément une bonne stratégie. Cependant, cette stratégie nous place devant un dilemme difficile de pesée des intérêts. En plus de concentrer leurs efforts sur la réalisation d’œuvres « bonnes », les Frères et les Loges devraient-ils également en parler ? Car, finalement, cette activité entraîne le rapprochement de moyens financiers importants avec une activité à caractère officiel importante elle aussi. La Franc-Maçonnerie se montre là sous un jour compréhensible par le monde profane qui, se basant sur des préjugés sommaires, peut facilement en tirer des conclusions fortement teintées de malveillance. Il en résulterait une image de la Maçonnerie capable d’exercer une certaine force d’attraction. La modestie , la mise au second plan de ses intérêts personnels, le service d’une cause désintéressée et la réussite d’une vie maçonnique dans le monde profane, par contre, sont des vertus formant un contraste attristant avec l’époque des public relations de notre monde moderne. Cette « pe­sée » n’est pas simple. Et lui trouver une solution est du ressort de chaque Frère et de chaque Loge. Peut-être faudrait-il chercher du côté d’une solution pragmatique à solutions multiples.
Quoi qu’il en soit : l’injonction du Frère Élémosinaire « Que l’action suive la parole » se réfère à un principe intangible de la Franc-Maçonnerie. T.M.