Promesses et engagements

«Essayons d’être des hommes perfectibles»

Une maçonnerie ne privilégiant que la recherche initiatique, excessivement spiritualisée, risquerait de se trouver confrontée à une forme de dogmatisme qui à force d’idéalisation en arriverait à oublier la dimension humaine. Cela conduirait à un tarissement des fontaines de l’intellect.

TOLÉRANCE ET FRATERNITÉ, GENÈVE (Revue maçonnique suisse: octobre 2004)

Une autre maçonnerie qui, elle, n’envisagerait que la réalité, les activités de l’homme, prétendant à l’universalité à travers l’individu et ignorant totalement les valeurs transcendantales et le sacré, ferait abstraction du fait que l’homme est inscrit dans un ensemble cosmique.

Les deux courants qui expriment l’un l’idéalisme et la spiritualité, l’autre la réalité et la matérialité sont également utiles à la vie maçonnique et à la vie pratique, chacun avec ses exigences et ses devoirs. Lorsqu’ils se retrouvent au sein d’une même loge, se mélangeant harmonieusement, se complétant, l’un sublimant l’autre et l’autre ramenant l’un à des concepts accessibles à l’homme, on atteint à…l’idéal.

La richesse de l’enseignement initiatique, de ses rituels et de son symbolisme, permet au maçon d’oeuvrer à la réalisation de ses idéaux, tout en s’intégrant dans la réalité des actions de la vie. Des hommes peuvent très bien partager les mêmes idéaux maçonniques tout en se retrouvant dans des camps différents de la réalité politique.

L’importance d’être à l’écoute

Lorsque nous formons la chaîne d’union nous unissons nos pensées vers le bien, vers la paix, la compassion, vers des vertus. Cette chaîne répétée à l’infini dans l’universalité de la maçonnerie devrait couvrir notre planète de bonté, d’amour, d’acceptation de l’autre.

Dans la réalité, réussissons-nous à empêcher les conflits qui ensanglantent notre planète? Plus près de nous, cette égrégore positive empêchet- elle, désamorce-t-elle, les luttes intestines dans nos loges?

La loge est idéalement le creuset qui permet la confrontation fraternelle des caractères de ses membres et une recherche de vérité dans une compréhension mutuelle. Ce devrait être le lieu où l’on s’affranchit de toute contingence sociale ou naturelle, à l’abri des passions profanes.

En réalité, ces buts sont-ils vraiment atteints? Qui peut jurer sur le Livre de la loi sacrée que jamais dans son atelier il n’y eut de heurts motivés par des egos obèses et non domestiqués, par des contentieux rancis dont parfois l’origine même est oubliée, par l’incapacité des uns à écouter les autres et accepter que leur opinion fût différente?

Il y a loin de la coupe aux lèvres

Considérons le serment maçonnique, en sachant bien que ces réflexions ne sont que des ébauches. Chacune des promesses suivantes mériterait un développement approfondi.

«Je promets de remplir mes devoirs envers ma famille.» L’idéal voudrait que, quoi qu’il arrive, la famille soit toujours la préoccupation primordiale de tout maçon.

La réalité est que nous connaissons tous des frères qui, soit dans le domaine maçonnique soit dans le domaine profane, ont négligé leur famille avec de lourdes conséquences. Il est vrai que si l’on applique ce précepte dans toute sa rigueur, il n’est plus possible d’avoir d’autre vie qu’à travers sa famille, il n’est plus possible de répondre aux exigences du monde du travail, il n’est plus possible d’avoir une vie en tant qu’individu. Il convient donc de donner priorité à sa famille mais pas l’exclusivité.

«Je promets de remplir mes devoirs envers ma patrie.» Idéalement cela signifie la servir lorsqu’elle l’exige, respecter ses lois, la défendre. Dans la réalité, qui n’a jamais passé de marchandise en fraude à la douane, privant le fisc et donc sa patrie de ressources? Nos frères qui, ici ou là, ont été impliqués dans des affaires en marge des lois ont-ils servi leur patrie?

Attention ici aussi à l’idéal poussé à l’absolu, où aimer sa patrie se transforme en nationalisme et en intolérance.

«Je promets de remplir mes devoirs envers l’humanité. » Vaste notion, aussi vaste que l’humanité elle-même. Y a-t-il un idéal ou une somme d’idéaux? Lutte contre le racisme, l’exclusion, la faim dans le monde… Chacun de ces thèmes emporte notre adhésion comme idéal à atteindre. Dans la réalité, à la réalisation de combien d’entre eux travaillons-nous effectivement? À combien faudrait-il oeuvrer pour respecter cette clause du serment?

Se rendre disponible et accessible

«Je pratiquerai l’assistance envers les faibles.» Qui sont-ils? Sont-ce les plus faibles que soi, matériellement, intellectuellement et comment l’apprécier? Sont-ce les très faibles, les personnes «sans domicile fixe», par exemple? Idéalement dès que l’on a identifié un «faible», il faudrait l’aider. En réalité combien en avons-nous ignoré parce qu’en toute bonne foi et en fonction de nos propres critères d’évaluation de la faiblesse nous ne les avons pas retenus comme tels? Ces critères, n’étaient-ils pas un peu teintés d’égoïsme, de paresse et d’une forme de lâcheté?

«Je pratiquerai la justice envers tous.» Voilà un idéal particulièrement difficile à atteindre parce que la notion même de justice est éminemment variable en fonction des pays, des sociétés, des notions politiques et des individus, selon qu’ils sont justiciers ou justiciables.

En réalité essayons de ne pas faire souffrir l’autre, essayons de comprendre ses besoins et ses différences. Compréhension et compassion peuvent avoir une odeur de justice.

«Je pratiquerai le dévouement envers mon prochain. » Le dévouement total et donc idéal envers son prochain, qui impliquerait le don total de soi, trouve ses limites dans le respect des engagements précédents. Comment remplir ses devoirs envers sa famille, sa patrie, se préoccuper de justice et des plus faibles, etc?

Dans la réalité le don total de soi aux autres n’est pas possible et n’est même pas nécessaire. Il suffirait déjà de respecter les préceptes précédents et de se rendre le plus possible disponible et accessible, pour au moins répondre présent aux appels. «Je pratiquerai la dignité envers moi-même.» Si l’on a pu accomplir pleinement les promesses précédentes, alors celle-ci le sera automatiquement. Dans la réalité, comme on a vu qu’y répondre totalement est impossible, si chaque matin en se rasant face au miroir on peut se dire: «cet homme là, j’en ferais bien mon ami» le but est atteint.

Autant de vérités que d’individus

«Je promets de ne pas demeurer absent des réunions de la loge.» Cet engagement peut et doit être tenu à l’idéal, car on s’engage à quelque chose qui n’est pas du domaine de l’idée et de l’abstraction. Ne pas demeurer absent ne signifie pas être systématiquement toujours présent mais être là chaque fois qu’aucune des promesses précédentes ne risque d’être transgressée.

Dans la réalité saura-t-on jamais pour combien de frères le travail, la famille sont des paravents, des excuses pour dissimuler la réalité plus banalement navrante du désintérêt? Interrogeons-nous: n’avonsnous jamais nous-mêmes usé de cet expédient? Il est des plus important, il est vital que cet engagement- là soit respecté au plus haut degré, car quand bien même «sept la rendent juste et parfaite », si la chaîne se réduit de jour en jour en perdant ses maillons, l’énergie diminue et la loge s’étiole, se dessèche et meurt.

«Je promets de travailler à mon propre perfectionnement. » Ici l’idéal consisterait à consacrer toute son énergie à son travail sur soi et à le faire avec toute l’ardeur et l’honnêteté devant conduire à une meilleure connaissance de soi afin d’en déduire les actions nécessaires.

La réalité est que, précisément, si on fait ce travail avec toute la rigueur voulue, on découvre des choses sur soi. Comme on n’est pas forcément prêt à voir et surtout à admettre certains aspects de nous-mêmes on va avoir tendance à faire ce travail de perfectionnement avec plus ou moins de profondeur, d’ardeur et d’honnêteté.

«Je promets de persévérer sans relâche dans la recherche de la vérité.» Cette promesse est idéalement belle. Probablement la plus belle du serment. C’est surtout à la fois la plus facile et la plus difficile à tenir telle qu’elle est formulée. En réalité on peut très bien chercher sans relâche. Là où la réalité explose en une infinité de réalités, c’est qu’il n’existe pas une vérité mais autant qu’il existe d’individus. Et si, pour rester dans une réalité atteignable, si nous voulions nous fixer un idéal réalisable, nous nous disions en la matière: nous ne serons pas loin d’avoir trouver une vérité essentielle à défaut d’avoir trouvé LA vérité si nous parvenons à respecter notre serment maçonnique en tous ses points.

Une mise en application

«Je promets d’observer les lois de la franc-maçonnerie, de travailler à la prospérité de ma loge et de respecter la constitution de la GLSA, d’aimer mes frères et de les aider dans les choses justes et conformes aux règles de l’honneur.» Si l’on se situe dans le droit fil des promesses précédentes, celles-ci en sont un corollaire, une conséquence, une mise en application.

«Je promets le silence et la discrétion.» Cet engagement ne souffre pas la comparaison entre idéal et réalité, car là aussi, rien, (comme quelque chose qui échapperait à notre volonté) ne peut venir s’opposer à cette obligation.

Dans la réalité, nombreux ont été ceux qui ont rompu cette promesse à travers les siècles et ce dès les débuts de la maçonnerie. Cela ne nous exonère pas, chacun à son niveau, de respecter cet engagement. Sinon pourquoi le prendre? «Idéalement nous aspirons à être des maçons parfaits, en réalité essayons d’être des hommes perfectibles.»