L’initiation ultime

«La vie est magnifique, aussi longtemps qu’elle vous consume» David Herbert Lawrence

La vie est notre passage biologique sur cette terre. La vie ayant un début – la naissance – et une fin – la mort -, nous débuterons notre propos par cette idée biologique et symbolique. Selon le dictionnaire la Vie étant un ensemble de phénomènes assurant l’évolution de tous les organismes du règne végétal et animal depuis la naissance jusqu’à la mort, plusieurs symboles sont associés à la notion de cette vie.

R. E. L. (Revue maçonnique suisse: novembre 2003)

De l’arbre de vie des légendes en passant par l’eau et la terre, le symbolisme est d’une grande richesse mais très diffus dans les différents thèmes se rapportant à l’idée de la vie.

C’est-à-dire en partant de la naissance ou au début de tout. La mort étant la fin de la vie, elle est en fait un symbole à part entière. Dès la naissance l’idée de la mort devient l’ultime dessein. Parler de la vie en commençant par la fin, soit la mort, est une façon de conjurer les fantômes dans notre mémoire. Encore que vouloir les chasser est une volonté bien mince, car il faudrait employer une sorte de thérapie et se focaliser sur leurs pouvoirs. Afin qu’ils restent là, comme des esprits qui veillent sur nous.

La mort va donc hanter nos rêves, sachant qu’elle est inéluctable. Elle traîne avec elle le lot de frustrations sentimentales et de séparations physiques, alors qu’elle fait partie de la vie. La vie et la mort forment un tout, il s’agit de notre présence terrestre. Ce constat peut s’étendre aux règnes biologiques cités plus haut

La terre, soit le symbole de la vie et de la mort

A l’aube de la Création le magma désorganisé fut le chaos originel. Dans le symbolisme on évoque le mythe de la vie avec l’apparition de l’oeuf du monde ou l’oeuf cosmique. Et l’embryon du monde va surgir des eaux primordiales. La vie va apparaître avec le thème mythique de la destruction. Toutes les traditions des peuples et leurs légendes se réfèrent à l’organisation de la matière par le processus de la création. Soit il s’agit d’une entité androgyne, soit du principe féminin selon la plupart des cosmogonies. La déesse-mère associée à la terre et à la mer, apporte la vie. Le principe féminin va être la lune. La coquille, la mandorle et autre losange vont devenir les emblèmes de la femme et de la vie. Mais pour donner la vie, la dualité demande le couple féminin-masculin. Mais que dire du principe masculin? C’est le soleil, l’air et le feu. Et partant du constat de liaison entre la terre et le ciel, nous avons l’arbre, la colonne et enfin le phallus.

C’est la lune, éternelle Isis qui remonte le Nil dans les roseaux mythiques de l’Egypte ancienne à la recherche du corps épars de son époux Osiris, divinité de la renaissance et du domaine des morts. Le dernier morceau retrouvé dans la légende est le phallus. La vie peut revenir sur terre. La terre glaise est, dans de nombreux mythes, la matière à partir de laquelle les divinités auraient créé l’homme. Dans certaines légendes babyloniennes, c’est la méthode de la poterie qui fut employée. Ces légendes se fondent sur d’autres qui nous viennent de la nuit des temps et remontent au néolithique. Comme la terre se trouve à l’origine et est aussi la fin dans la notion de l’Ouroboros, le serpent de l’éternel retour, elle devient le but de la quête de l’homme. Le contraire de la mort n’est donc pas la vie mais la renaissance. En effet, comme la naissance nous fait passer d’une vie antérieure à la vie terrestre, de même la mort est de fait symboliquement une renaissance à la vie de l’âme. On retrouve ici le sens profond du mot cimetière, qui vient du grec et signifie «chambre nuptiale». La mort est le retour à la terre, elle est une sorte d’inceste sacré qui nous promet une nouvelle naissance. L’homme recherche la terre d’immortalité, avec la terre des vivants et celle des morts, dans sa quête vers le divin. Dans cette vision on trouve l’île d’Avallon celtique, et la descente aux enfers de Demeter. La symbolique végétale de la pomme prend une dimension sacrée.

La terre promise de nos ancêtres va devenir le lieu vers un devenir, l’abstraction du voyage vers un autre pays. Et le cours du temps prend son importance. Ce sont les saisons, avec le symbolisme de la fécondité et de la fertilité. La mort dans la terre devient renaissance pour le grain de blé.

L’eau

En tant qu’élément originel l’eau est considérée dans de nombreux mythes de la création du monde comme la source de toute vie. Elle nous renvoie aussi à la notion de destruction, le déluge étant l’illustration la plus remarquable à ce sujet. Mais il y en a d’autres selon les légendes et l’histoire des peuples. Remarquons que c’est dans l’eau de la mer que plonge chaque soir le soleil à l’Occident, dans le but de réchauffer le royaume des morts pendant la nuit, cela dans l’inconscient des premiers peuples.

Dans la description symbolique l’eau peut être océan, mare, lac, rivière. Elle tombe du ciel dans les orages avec la foudre pour compagne, ou en une pluie bienfaitrice apportant la vie sur la terre. Cela nous renvoie au symbolisme du grain de blé et des connaissances des premiers peuples sédentaires et agricoles. La source, la rivière et le lac deviennent mystère, le lieu des elfes et des démons, les fées sont présentes pour rendre magique cette «source» de vie et de mort. L’homme considère l’eau comme élément passif, lui accordant un statut sacerdotal par le baptême, purification que connaissaient déjà les civilisations antiques.

L’arbre de vie

Le règne végétal va apporter son lot de symbolismes. L’arbre de vie dont les feuilles repoussent au printemps est le plus grand symbole de résurrection. Il relie le monde souterrain, que nous avons un jour quitté, pour rejoindre le ciel, dont les nuages nous envoient la pluie fécondante. Afin d’être la liaison entre le visible et l’invisible. C’est l’échelle pour atteindre l’illumination.

Les arbres sacrés sont nombreux dans les différentes civilisations et selon les climats des régions. Par souci symbolique nous citerons les arbres se rapportant à l’immortalité tels le cyprès – arbre de vie et de mort -, le cèdre – qui fut utilisé dans l’architecture du Temple de Salomon, le chêne des anciens Gaulois, le frêne Yggdrastill des légendes celtes et nordiques. La liste est encore chargée d’acquis divers avec le grenadier, référence aux colonnes J et B du temple maçonnique. Notons pour la petite histoire que les talismans taillés dans les bois de buis, figuier et autres if viennent des anciennes croyances animistes. Enfin, l’acacia nous ramène à notre symbolique sur la vie et la mort.

La mémoire et l’absence

Après la mort virtuelle dans le cabinet de réflexion, sortant de la terre, le passage par l’air redonne la vie à l’impétrant. Ensuite la cérémonie prend une dimension ésotérique par l’eau et le feu. Le passage par les quatre éléments est une renaissance, une nouvelle vie et cette évocation nous est donnée au cours des cérémonies de nos Saints-Jean. Ces derniers sont l’expression du dieu Janus, également placé à la fin et au début de chaque année. Passage obligé du calendrier, son nom est associé au premier mois de l’année. La vie et la mort sont une dualité exprimée lors de nos cérémonies. La mort est vaincue symboliquement de même qu’ésotériquement.

Appréhender le sujet de la mort demande un bref arrêt sur les moments de tristesse que nous avons vécu. Au hasard de sa destinée tout homme fait sa connaissance, il n’est jamais préparé à affronter ce choc émotionnel dans ses sentiments. En donnant la vie terrestre on donne la mort, obligatoirement du point de vue biologique. Cette définition a le mérite de nous obliger à nous pencher un instant sur des considérations sentimentales. Celles-ci, basées sur notre fonction amicale et amoureuse, font appel à ces moments de séparations définitives dans notre existence terrestre. Peut-on croire que le souffle qui était dans ce corps aimé s’est envolé vers un ailleurs insaisissable ? La mort devient l’absence.

La mort est la rupture de nos liens affectifs, ne reste que le souvenir. Et le temps se charge de rendre ce souvenir moins triste, plus acceptable. La mort prend la dimension du mystère. Et l’homme reste devant une inconnue, qui prendra par nécessité intellectuelle une dimension religieuse. L’homme ne pouvant admettre la dure réalité de la vie biologique. La mort ne nous épargne pas ces instants où démunis nous constatons notre imperfection devant la dépouille de celui qui nous précède vers cette éternité et qui nous attend. C’est le départ de ceux qui vous mirent au monde, d’un père, d’une mère, qui avaient parcouru tant de chemin avec nous. C’est la séparation d’avec un ami, un frère, un de ceux qui avait été le compagnon de voyage, partageant les souvenirs d’adolescent et d’adulte. C’est la disparition d’un enfant, d’une épouse, catastrophes sentimentales, séparations sans retour qui laissent l’homme abattu sur le bord de la route. Ce départ est une coupure d’avec le partage de l’existence. Ici le bouleversement devient difficile à supporter, le désarroi est en rapport avec le vide physique et sentimental. L’amour partagé devient souvenir. Celui qui reste doit traîner avec lui la mémoire et l’absence!

L’homme restera toujours un révolté face à la mort

Squelette portant une robe noire, muni d’une faux, celle des agronomes qui fauchaient le blé levé, voilà l’image type de ce genre d’apparition de cauchemar. La mort nous invite à une danse macabre. Symboliquement, la mort désigne la fin absolue. Elle est l’aspect périssable et destructible de l’existence. Elle est l’introductrice aux mondes inconnus des Enfers ou des Paradis. C’est l’ambivalence du rite de passage. La mort est une révélation. Sur ces situations qui relèvent de la douleur incomprise, les poètes du romantisme nous laissent des pages d’une telle intensité que la simple lecture d’un texte nous renvoie, funeste miroir, vers notre mémoire et nos songes. Et nous devons rester avant d’aller dormir dans ces belles allées où le silence demande le recueillement. Combien de pierres tombales renvoient vers des existences, faites de passion et de génie, tombées dans l’oubli du temps. Ici s’estompe la vie, ici s’arrête le bruit, la parole et le souffle de l’autre. Sa présence s’est faite ombre.

La mort est une belle allégorie, assise sur le bord du sentier de notre rêverie, pour une rencontre un soir ou un matin de pluie avec nous. L’imagerie populaire associe par relation la mort soit avec la fin de l’automne, soit avec l’hiver en rapport avec le rythme des saisons. Une ruine, une porte de fer rouillée, un ciel chargé de nuages, conviennent pour l’évocation de la mort. Enfin, la nuit reste le moment privilégié des peurs ancestrales, associée à la mort du soleil qui vient de disparaître à l’Occident sous nos latitudes. Alors les esprit vont sortir de la forêt, autre peur viscérale des premiers hommes, pour venir troubler les vivants. Notre vague à l’âme en écrivant ces lignes ne peut décrire la mort en plein soleil, pour suivre la poésie. Pourtant ce serait beau de partir à midi. Ultime rendez-vous avec la camarde, comme pour tirer une dernière fois sa révérence à une existence riche en moment d’une grande intensité. Savoir qu’une stèle, laissera au détour d’un chemin de cimetière l’épitaphe résumant une vie que le temps et le vent viendront troubler pour mettre une patine, celle de l’oubli. Savoir que d’autres continueront notre travail, et que nul n’est irremplaçable. Savoir que notre vie, lors du bilan final, fut la mieux remplie en fonction de notre position sociale dans cette société d’hommes. Savoir aussi dans notre imagination que nous partons, peut-être pour un voyage. Mais lequel? L’homme restera toujours un révolté face à la mort.

La mort maçonnique

Lors de notre initiation nous sommes confrontés à la situation de mourir à quelque chose. Mourir à la vie profane. Plus rien ne sera semblable après. A commencer par l’acceptation de la mort physique. Certes le nouvel initié avait une approche intellectuelle de la question avant cette fameuse soirée. Mais la chaîne d’union l’avait certainement rassuré. Nous ne sommes que des passants sur la continuité de cette connaissance. Le corps n’a qu’un temps mais l’esprit reste, selon l’instruction de certains rituels. La mort est un passage privilégié dans le rituel maçonnique quels que soient les degrés, mais reste symbolique.

La mort est donc une transition, pour les cherchants et les hommes qui croient en un ailleurs. Sans vouloir en faire une question de principe, appartenant au règne animal, faut-il se rappeler que l’homme au début de la préhistoire, dans sa quête d’absolu décida d’un au-delà en donnant une sépulture à la dépouille des membres du clan. Alors l’homme se posa la question primordiale: quelle Vie après la Mort? L’humanité inventait la religion comme première réponse, et les peuples se mirent en marche vers l’Occident pour suivre la course du soleil. Et nos rituels donnent une idée de ces pérégrinations dans la manière de conduire nos travaux. Quitter cette existence sera l’initiation ultime pour le franc-maçon.