L’importance des nombres dans la loge

Depuis toujours l’homme a attribué des valeurs symboliques aux chiffres, devenus des nombres. Ceux-ci ont acquis un pouvoir quasi magique car s’ils ne permettaient pas de décrire les choses – fonction dévolue à la parole – ils autorisaient l’explication de tout phénomène de notre univers. Selon certains enseignements les nombres deviennent le modèle de la création du monde.

Espérance et Cordialité, Lausanne (Revue maçonnique suisse: mai 2010)

Au sein de l’école pythagoricienne le 1 engendre le 2, le 2 fait naître le 3 et le 3 se complète par le 4, qui englobe par le Tetraktys (1+2+3+4=10) l’ensemble des nombres, qui par la suite peuvent se complexifier mais ne peuvent plus être créés. Le Tetraktys représente le monde dans sa perfection.

Tout comme dans de nombreuses autres sociétés initiatiques le symbolisme des nombres est important en franc-maçonnerie. Nous le trouvons autant à l’intérieur du temple que dans les rituels, certains sont directement nommés, d’autres sont “cachés“ et il importede les découvrir. Le nombre le plus connu et le plus important du symbolisme maçonnique est le 3. Ce n’est pas du hasard si l’on nous appelle frères 3 points. Afin d’arriver au ternaire puis plus loin encore, il faut suivre l’évolution de toute chose. L’évolution progressive des nombres. Le tout commence par 0. C’est le chaos primordial d’où tout est parti. Quelque chose qui n’a pas de forme, pas de structure ni de nom mais qui contient la potentialité de tout. C’est en quelque sorte le profane frappant à la porte du temple pour commencer une nouvelle vie à 0. Aux fins de souligner le chaos, il n’est ni nu, ni vêtu, de surcroît il est plongé dans les ténèbres car un bandeau le prive de la vue et de tout repère.

Ce bouleversement initial ne se prolonge pas. Nous ne pouvons en effet rester dans le néant et le candidat va découvrir le principepremier. Il se trouvedans lecabinet de réflexion, où il demeure seul et, commedans un tombeau, il pourra méditer sur l’aspect unique de son existence. Au-delà de la vie et de la mort il est une force spirituelle qui nous dépasse et vers laquelle nous nous dirigeons.

Le récipiendaire ignore encore que le principe premier dans les loges maçonniques régulières porte le nom de Grand Architecte de l’Univers et qu’une seule voie permet de l’approcher. Cette dernière est la lumière de l’esprit et du coeur, qu’il va demander par l’intermédiaire du frère préparateur lors de son initiation. Il ignore encore également que dans le temple autant que dans les rituels cette unité est représentée sous des facettes multiples.

Assigner une qualité aux choses

Le delta lumineux, la voûte céleste étoilée et le cordon des lacs d’amour mettent en évidence l’unité entre le ciel, l’humain et la terre. Le tapis de loge placé au centre du temple résume l’ensemble du symbolisme de celui-ci. Dans les rituels nous trouvons cette unité par la chaîne d’union. Elle symbolise l’amour fraternel et relie les hommes et les femmes de bonne volonté qui cherchent la lumière, maçons ou non. C’est par ailleurs dans la chaîne d’union que le nouvel initié va recevoir la dite lumière. Son passé est effacé et les documents précédant ce moment exceptionnel sont une fois pour toutes brûlés.

Mais l’initié va apprendre surtout que le but de la maçonnerie est unique. Il s’agit de bâtir le temple de l’humanité, ou à tout le moins participer à sa construction. Pour ce faire, l’apprenti commence à tailler la pierre brute, à apprendre à se mieux connaître et s’améliorer car cette pierre n’est autre que lui-même. Il vaprogressivement recevoir les outils de cette transformationet par les enseignements allégoriques et symboliques, par l’exécution des rituels et tout simplement par sa participation il pourra réaliser une métamorphose quasi alchimique. Il se rendra compte que l’unité première est à la fois l’origine et l’aboutissement.

C’est par la séparation de cette unité que notre univers a commencé et nous sommes entrés dans le monde de la dualité. Le candidat s’en aperçoit rapidement, sa solitude s’étant transformée en dialogue avec le préparateur, puis avec le Vénérable et d’autres officiers de la loge. La dualité initié-profane puis initiant- initié débute ainsi. Toujours privé de l’usage de la vue, le récipiendaire se trouve entre deux colonnes, qu’il reconnaîtra plus tard. Il s’agit d’une porte virtuelle séparant le parvis du sanctuaire, l’espace profane du lieu sacré. C’est la dualité qui nous permet d’assigner une qualité aux choses. Elle représente alors une opposition ou une complémentarité qui tend à l’unité initiale d’ordre divin, ou à une unité d’ordre humain, le ternaire où se déroulenotre vie. Eneffet, si le système binaire peut créer toute image, toute intelligence et même les sentiments, ce n’est qu’une étape transitoire car entre deux points il n’y a qu’une ligne sans départ ni fin. Pour aller vers la vie, il faut s’élever vers le 3, mais le passage par le 2 est obligatoire.

L’essence de la pensée maçonnique

Le futur initié découvre vite que la dualité règne dans le monde manifesté. Il boit à la coupe d’amertume qui peut être douce ou amère, passe des ténèbres à la lumière qu’on lui accordeàdeux reprises, rencontre ladualité des épées susceptiblesd’être menaçantes ou protectrices, et découvre que les “ennemis” peuvent se tenir devant ou derrière soi. Après avoir reçu la lumière il peut enfin voir les symboles de la dualité, notamment le pavé mosaïque situé en plein centre de la loge et le soleil et la lune qui président l’orient.

Beaucoup plus tard, lorsqu’il aura quelque peu dégrossi sa pierre brute il remarquera que l’on fête 2 fois le saint Jean et que l’équerre symbole de la droiture et de la justesse, et le compas symbole de l’ouverture et de recherche du centre, possèdent 2 branches. Ce sont deux de nos grandes lumières.

La troisième est le livre sacré, en l’occurrence la Bible. On la trouve à deux endroits : le cabinet de réflexion signifiant lamort, et à l’orient, sur le plateau du Vénérable, signifiant la vie. Les 3 grandes lumières sont ainsi dédoublées. Toute chose, toute action ont un sens en maçonnerie.

Les hésitations de la dualité sont le point de départ du ternaire, c’est-à-dire une nouvelle unité composée de 3 éléments. La dualité statique devient la ternaire dynamique, l’unité à l’échelle humaine, qui selon Carl Gustav Jung dénoue des tensions et nous permet d’avancer. Pour Pythagore «le nombre trois nous conduit de la puissance à l’acte, c’est un nombre de paix et de concorde. Il réunit les contraires et préside à la musique, à la géométrie et à l’astrologie».

C’est le nombre qui signifie la création avec le père, le fils et le saint Esprit. Le nombre qui définit l’homme avec le corps, l’âme et l’esprit. Le nombre qui résume la vie de l’humain entre la terre et le ciel. Le nombre qui signifie la continuité avec le père, la mère et l’enfant. Le nombre qui détermine notre raisonnement avec la thèse, l’antithèse et la synthèse. Le nombre de notre agissement avec les pensées, les paroles et les actions. Le nombre de notre sensibilité avec la perception, l’appréhension, la compréhension. Le nombre qui décrit nos ambitions avec la liberté, l’égalité et la fraternité. Le nombre qui permet la transmutation alchimique avec le sel (sagesse), le soufre (énergie) et le mercure (matière première). Le nombre qui permet de dessiner le triangle, la première surface limitée par trois lignes. Le nombre qui autorise la vision en trois dimensions, base de toute construction. La franc-maçonnerie étant précisément une construction, nous trouvons le nombre trois à de multiples reprises aux trois grades de notre progression (apprenti, compagnon, maître, ou encore la naissance, l’adolescence, la maturité). Il est le plus important car il contient en luimême l’essence de la pensée maçonnique. En fait, le 3 est le point à partir duquel on considère deux aspects opposés ou complémentaires d’une question ou d’une réalité. Depuis ce troisièmepoint de vue l’on réalise la synthèse et ainsi devient-il le nouvel extrême d’une nouvelle réalité qui comprend aussi son contraire (loi des polarités de l’hermétisme). Cette synthèse va devenir la thèse puis l’antithèse d’une nouvelle recherche où le franc-maçon pourra effectuer une nouvelle synthèse et ainsi de suite. Cette manière de penser permet de découvrir d’autres vérités, d’évoluer vers d’autres façons de voir le monde, vers des angles de vue inédits. Telle approche constitue l’un des fondements de la méthode maçonnique. Elle est enseignée, vécue dès l’initiation, et comme toute chose en l’occurence elle est symbolique.

Symboles et mouvements des nombres

Toujours sous le bandeau, le récipiendaire reçoit quelques explications sur le cabinet de réflexion, notamment sur le symbolisme alchimique, qu’il vivra ensuite au travers des 3 voyages initiatiques où il traversera le feu, l’eau puis la terre (il verra ultérieurement qu’en fait il avait traversé les quatre éléments constituant notre univers, le quatrième étant l’air). Il s’arrêtera devant les 3 officiers principaux qui dirigent la loge (5 l’éclairent, 7 la rendent juste et parfaite) et il écoutera les sages paroles. Le Vénérable et les 2 surveillants sont les seuls officiers munis d’un maillet pour ouvrir et fermer les travaux par 3 coups spécifiques à chaque degré, ainsi que pour les conduire avec justesse, mesure et rythme. Ils sont directement attachés aux 3 petites lumières. Le Vénérable à la sagesse, le 1er surveillant à la force et le 2e à la beauté.

Les 3 petites lumières appartiennent aux hommes et indiquent comment ils doivent accomplir leurs tâches, soit avec la réflexion, la persévérance et la satisfaction d’un travail bien accompli. Mais les 3 petites lumières, et de ce fait les 3 dirigeants de la loge, sont également attachées à l’alchimie, à l’idée de transmutation. La sagesse symbolise le sel, la force le soufre et la beauté le mercure.

Nous avons tous la possibilité de transmuter, de nous changer, de nous améliorer. Le V.I.T.R.I.O.L du cabinet de réflexion (encore un symbole alchimique) nous en montre la voie, celle décrite sur le fronton du temple de Delphes : «Connais-toi toimême et tu connaîtras les Dieux et l’Univers. »

La maçonnerie nous donne un outil à cet égard, le fil à plomb. Tous ces symboles, tous ces mouvements des nombres, ne seront toutefois découverts que plus tard par le néophyte.

Après sa promesse il est reçu apprenti franc-maçon par les 3 coups du maillet sur les 3 épées du Vénérable et des 2 surveillants qui forment un triangle. Il sera reçu sous les auspices du Grand Architecte, la force spirituelle, et de la Grande Loge Suisse Alpina, qui assume la régularité de notre démarche. À un stade ultérieur il recevra les 3 baisers du Vénérable en signe d’accueil et en forme de triangle. Il découvrira les 3 grandes lumières : l’équerre, le compas et le livre sacré qui appartiennent au divin avec indication d’une conduite à tenir. L’ondoit agir selon les droits et devoirs, s’ouvrir au monde et à nous-mêmes, admettre qu’une puissance supérieure peu importe son nom existe. C’est la voie vers la spiritualité qui nous permet de sortir du matériel et de vivre au lieu de survivre.

Afin d’éclairer l’atelier

Lors de sa première instruction le nouvel apprenti connaîtra ses trois pas, par lesquels il entrera désormais dans le temple. Il apprendra les signes, paroles et attouchements par lesquels les maçons du monde entier se reconnaissent entre eux. Le signe est en 3 temps, l’attouchement reproduit les 3 coups du maillet et la parole appartient également à la trinité (je ne sais ni lire, ni écrire, je ne sais qu’épeler). Le delta lumineux est un triangle. Le Vénérable constitue un triangle entre le soleil et la lune. Il compose un triangle avec les 1er et 2e surveillants. 3 marches mènent à l’orient. 3 outils de l’apprenti : règle graduée, marteau et ciseau. 3 bijoux en loge d’apprentis : équerre, niveau et fil à plomb. La batterie reproduit les 3 coups de maillet et elle est répétée 3 fois. Finalement, l’apprenti a 3 ans, l’âge où l’enfant acquiert son indépendance de mouvements. Le nombre 3 est omniprésent. On le voit, on le sent, on l’entend. Dans la musique maçonnique symbolisant l’harmonie de notre fraternité ce rythme à 3 temps est bien marqué. La composition en 3 mouvements devient classique. Elle suit le déroulement de chaque rituel maçonnique avec l’ouverture, la tenue proprement dite et la clôture.

Les oeuvres de Mozart – La Flûte enchantée, Le concerto No 20 pour piano et beaucoup d’autres-nous élèvent vers des dimensions insoupçonnées, vers une quatrième dimension. Les 4 éléments, le carré de la loge, les 4 points cardinaux, les 4 principes hermétiques nous confirment que tout est là, à la disposition de l’homme. Le comité directeur d’une loge est composé de 4 membres. Lors de la réception d’un nouvel apprenti, dont le moment crucial est le serment, il y a interaction de 3 initiés et d’un néophyte. Enfin, dans la reconnaissance maçonnique s’ajoute un élément supplémentaire aux signes, paroles et attouchements et il s’agit de l’expérience personnelle du nouveau frère sous forme du «récit des circonstances particulières de sa réception ». Ainsi, le 3 module la pensée, le 4 met en place les structures. Tout y est, le Tetraktys est accompli, mais le 4 demeure statique.

Il faut lui ajouter un mouvement et à cet effet un centre est indispensable, que l’on pourra obtenir en traçant les deux diagonales du carré qui à leur intersection vont déterminer un point.

C’est de làqu’il nous sera possible d’ouvrir le compas. Esotériquement parlant on trouve la porte afin d’aller plus loin et de transcender d’un niveau à l’autre. Aux 3 frères dirigeant la loge s’ajoute le secrétaire, témoin du présent, et l’orateur, la conscience de la loge, qui à 5 éclaireront l’atelier. Cependant, 7 frères la rendront juste et parfaite. Du point de vue symbolique le 7 représente la perfection, le sacré.

De la découverte à l’accomplissement

La démarche initiatique est lente, progressive, c’est à nous-mêmes essentiellement de la découvrir. Les nombres y jouent un rôle primordial. Ils nous permettent tout d’abord d’accepter la séparation d’avec le principe premier et de trouver une nouvelle unité, humaine cette fois, sous la forme du ternaire. Le 3 construit la pensée maçonnique. À travers celle-ci nous découvrons la matière, en perpétuel mouvement et dont nous cherchons le centre. Grâce à la lumière de l’esprit et du coeur nous pouvons mettre en évidence ce «milieu juste et parfait». Par la lumière encore il nous est donné de construire notre vie et de participer à la construction du temple de l’humanité.

Les nombres nous aident dans cette entreprise, car ils nous montrent les limites, le rythme et l’harmonie. Ils sont en constante évolution et d’une mobilité permanente. Peut-être les nombres produisent-ils une partie de l’effet magique que nous prêtons aux rituels en tant que symboles en mouvement. Suivant le cheminement maçonnique la sagesse devient la découverte des nombres et de leur sens, la force est leur application à la taille de la pierre, et la beauté : l’accomplissement de l’oeuvre de notre vie

 

Commission du thème d’étude : E. C., L. K., B. M., A. O. et A. M.