L’expérience de son être intérieur

Entretien avec Alain Pozarnik

J. T. (Revue maçonnique suisse: août/septembre 2003)

Initié il y a plus de trente ans à la Grande Loge de France, A. P. est connu des lecteurs francophones pour ses livres sur différents aspects essentiels de notre symbolisme. Sa démarche est originale en cela qu’elle privilégie avant tout l’expérience personnelle et met l’accent sur le caractère concret de la recherche en maçonnerie. Pour lui, ce qu’il est convenu d’appeler Tradition n’est pas une pièce d’archéologie que nous examinerions de l’extérieur en essayant d’en savoir davantage sur elle, de la mettre à jour. «C’est sur nous-mêmes qu’il s’agit d’en savoir plus, dit-il, et la méthode de la Tradition nous montre comment nous y prendre. Celle-ci est un vécu éprouvé, une rencontre avec la réalité, notre réalité». Alain Pozarnik était l’invité de la loge «Le Progrès», à Lausanne, le jeudi 3 juin pour une conférence intitulée Vivre les rituels. A cette occasion il nous a fait part de quelques réflexions qui sont au cœur même de notre praxis.

Alpina: Cette tradition dont nous parlons, n’estelle pas trop vaste pour être appréhendée?

A. P.: En fait, contrairement aux traditions celle à laquelle nous nous référons n’a pas de contenu, elle est un contenant ou un chemin vers le contenu de la personne humaine qui, plongée dans les réalités du monde, s’interroge à juste titre sur le potentiel de sa vie car la connaissance ou la conscience de ce potentiel en déterminerait la réalisation. La tendance naturelle de la vie est d’assurer la continuité par la reproduction, mais quel est le but de cette dernière qui aboutit finalement à la mort? Y-a-t-il une activité qui appartienne en propre à l’homme, et est-il achevé à l’âge adulte de son corps physique? On peut aussi se demander s’il pourrait se libérer du sens automatique de la reproduction et des conflits existant sur terre pour accomplir un destin particulier, qui lui serait propre.

A.: Ne cherchons-nous pas constamment ce genre de réponses?

A.P.: Certes, et pourtant, de par leur essence même nos facultés ne peuvent découvrir le sens de la vie. La difficulté est de sentir la nécessité d’aller au-delà du connu afin que l’inconnu devienne connaissance. Ce chemin vers la compréhension de la vérité est celui tracé par des initiés au sein de la Tradition pour que chacun puisse l’emprunter et répondre ainsi à ses questionnements. L’accomplissement, par l’effort, de l’humain qui est en nous est notre destination, notre sens de la vie.

A.: De quelle nature intrinsèque serait cette compréhension?

A.P.: Il s’agit d’une expérience analytique, interrogative et non pas inconsciente et mécanique. Là, l’intelligence peut se manifester. «Qu’est-ce que je vis?», «Quelle est ma réalité du moment?», «D’où vient cette réalité que je perçois en moi, et que veut-elle dire, pourquoi m’arrive-t-il de la refuser?», «Si je ne refuse plus la réalité, sur quelle réalité nouvelle va-t-elle s’ouvrir?». Les réponses ne viennent naturellement pas de la pensée mais de la sensation ellemême. Nous approfondissons la sensation, nous la goûtons avec vigilance, chaque réponse devient une nouvelle question qui nous entraîne comme une cascade au fond de nousmême. En abordant de cette manière nos rituels, qui nous guident dans nos interrogations, nous comprenons mieux que l’initiation maçonnique soit dite «adogmatique». Elle n’a aucun contenu doctrinal mais transmet une méthode progressive de dévoilement ou de découverte des lois qui régissent rationnellement les composants de notre univers et la place que nous y occupons. Nous avons toutes sortes d’idées sur ce que nous sommes intérieurement, mais si les idées peuvent être évanescentes, fantasmagoriques ou totalement fausses, les perceptions conscientes, elles, ne le sont pas. Si nous voulons découvrir qui habite le temple il faut d’abord retrouver les clés de notre corps et en prendre possession.

A.: Comment y parviendrons- nous?

A.P.: La première action consiste à réapprendre à observer les manifestations de notre matière vivante, à les goûter dans tous leurs aspects, mais le but du travail initiatique est d’acquérir une attitude qui permette de faire l’expérience de l’être intérieur, celui qui vit en notre cabinet de réflexion. Ainsi, petit à petit, il y a conscience de la matière puis de l’être et échange entre eux, puis il y a conscience du monde et de son architecturation, conscience des autres, de l’univers, des univers, de la lumière, et peut-être un jour conscience de notre éternité.

A.: Il reste donc à l’initié à s’exprimer sans plus attendre?

A.P.: Oui, dans ce mondeci, car si l’homme n’est pas achevé et l’humanité représente un projet ouvert, l’homme accompli est appelé à en devenir l’artisan. Pour entretenir et parachever le chefd’œuvre de notre vie sans nous perdre dans les fantasmes d’une spiritualité romantique ou, pire, ceux d’un occultisme inutile ou nuisible, nous devons agir dans le monde pour le rendre conforme à notre humanitude, elle-même image du principe créateur. Il est toutefois certain que nous ne ferons jamais de la terre un «paradis» car si cela se produisait elle ne serait plus la terre et ne pourrait par conséquent servir, pour ceux qui savent l’utiliser, de tremplin vers le «Paradis».

Principaux ouvrages d’A. P., tous publiés aux Editions Dervy, 204 boulevard Raspail, 75014 Paris. Mystères et actions du rituel d’ouverture en loge – A la lumière de l’acacia – La voûte sacrée – Le secret de la rose – Les francs-maçons architectes de l’avenir – L’agir et l’être initiatiques