Les besoins spirituels à l’approche de mort

L’écoute nouvelle de la personnalité dans sa globalité

Il était jadis de bon ton d’écrire qu’une personnalité quittait ce bas-monde «entourée de sa famille en distribuant bénédictions et sages recommandations». Un ministre religieux apportait une bénédiction ou un sacrement avant l’extinction du vieillard. De nos jours la majorité de nos concitoyens meurt à l’hôpital de l’une ou l’autre maladie, des suites d’un accident, ou, surtout, parce qu’en vue de le soulager, le patient en fin de vie est envoyé à l’hôpital pour des soins et suivis médicaux qui ne pourraient être effectués à domicile.

(Revue maçonnique suisse: novembre 2003)

Les soins palliatifs sont donnés pour le confort du patient alors que les médecins constatent qu’ils ne peuvent plus rien entreprendre pour endiguer la maladie. Il ne s’agit plus de poursuivre des thérapies hautement techniques mais de soulager au mieux les souffrances de l’intéressé, de s’occuper aussi de la famille dans l’épreuve. Cette qualité de soins est apparue en Angleterre dans les années 70 puis s’est répandue, en Suisse notamment. Dans ce contexte se sont développées une observation et une réflexion approfondies sur les besoins spirituels des dernières étapes de la vie. Une écoute et un accompagnement nouveaux sont apparus.

L’être a plusieurs composantes. Mourir n’est pas un événement biologique seulement, il est avant tout un événement humain, social et spirituel. Un accident, une maladie ou l’annonce d’une issue fatale place l’individu devant sa propre vie. Lui apparaissent alors des questions existentielles sur le sens de l’existence: Qu’est-ce qui m’arrive? Pourquoi? Qui suis-je? Qui suis-je aux yeux des autres? Qui suisje, en fait, à mes propres yeux? Comment fonctionne le destin, la fatalité? Que vais-je devenir? Se manifeste ensuite un réveil sur la question de la mort et de l’au-delà, énigmes dont chacun de nous a conscience mais qu’il occulte durant sa vie active. Il y a une approche de la transcendance, c’està- dire de ce qui se situe en dehors de notre action et même de notre pensée. Il y a aussi une recherche, dans ce peu de temps qui reste à vivre, de «ce qui a du poids», de «ce qui tient devant l’épreuve», de «ce qui est plus fort que la mort». Une nouvelle hiérarchérisation des événements de la vie a lieu. La maladie terminale engendre également un temps de solitude, des réflexions se font jour: la relation à Dieu ou à une Puissance suprême. Un bilan personnel est établi. La maladie grave engendre une urgence de paroles vraies, de valeurs essentielles, et la nécessité que ces paroles soit entendues.

Les besoins spirituels

La personne humaine forme un ensemble dans lequel la dimension spirituelle est incluse. L’accompagnement plus proche des patients en fin de vie a permis de mieux cerner les aspirations de ces instants, de mieux prendre en compte toute la personnalité, au-delà d’une simple prière d’intercession. Ces besoins sont multiples: donner sens à son existence et avoir un but, espoir, amour, pardon à accorder et à recevoir, recherche de sources de force, confiance pour exprimer ses propres convictions et valeurs, désir de pratiques spirituelles, remémoration et rétrospective: ses réussites, ses échecs, le non-réalisé, puis poser des priorités. Le malade, affaibli, en a encore davantage besoin que le bien-portant. Il s’agit d’une prise en compte et d’un accueil de la personnalité entière, avec l’ensemble de sa réflexion. Toute recherche du sens de la vie en relation avec la transcendance, quel que soit le nom qu’on lui donne, est considérée comme une démarche spirituelle, ainsi que celle à caractère éthique, philosophique, religieux et culturel. L’aspect religieux, constatent les accompagnants, peut contribuer à cet accueil mais ne résout pas toutes les aspirations et ces interlocuteurs spécialisés doivent donc établir une différence entre la spiritualité, l’accompagnement pastoral et la religion.

Le sens et l’écoute

Il arrive un moment où l’homme ne parvient plus à éliminer la mort par son refus de l’envisager. Il lui appartient de lui conférer un sens. Le physicien Viktor Frankl dit que «l’homme n’est pas détruit par la souffrance mais par la souffrance qui n’a pas de sens». Il y a recherche de sens sur la cohérence de la vie, il y a souffrance à mourir sans avoir dit oui à sa propre vie.

Dans l’épreuve de la crise ou de l’approche de la mort, la spiritualité devient forte. L’écoute des accompagnants devient nécessaire. Les soins spirituels impliquent de comprendre le point de vue philosophique et religieux du patient ainsi que ses pratiques, sans jugement. Il s’agit d’accepter la personne tout entière avec sa souffrance, ses rires, ses larmes, ses amours, sa colère, son angoisse et cela sans réserve ni critique, de lui créer des conditions qui assurent un accompagnement, avec la capacité d’entrer dans le monde de l’autre et de réagir de manière sensible. L’accompagnant devient dès lors le miroir parlant qui renvoie au patient, celui-ci est encouragé en parlant de ses peurs et exposant ses souvenirs.

Cette écoute et ce dialogue peuvent mener à des réconciliations.

Les proches se doivent d’aider la personne à trouver du courage pour affronter la situation. Cette aide n’est qu’une étape de croissance qui permettra à l’interlocuteur de construire et de nommer sa propre réponse et de mûrir sa décision en présence d’un témoin qui ne lui impose rien. L’écoute et le dialogue permettent éventuellement une réconciliation avec soi-même, avec des étapes de vie, avec son entourage, à travers une ou plusieurs crises.

A cette lecture les maçons comprendront mieux le soin à apporter au choix de l’hospitalier de la loge dans son approche des frères blessés, en crise, ou mourants. Il ne s’agit pas de s’improviser «accompagnant spécialisé» mais de comprendre la richesse spirituelle de chacun et de savoir la reconnaître.