La Vérité, sa recherche inachevée

S’interroger sur la vérité… Comment, dans la forêt souvent dense de notre intériorité, cheminer avec cette donnée incontournable de la Vérité, fondatrice de toute humanité et de son devenir ? Quel V.I.T.R.I.O.L appliquer ?

Loge Cordialité et Vérité, Genève

Nous savons que la devise du Rite Ecossais Ancien et Accepté est : «Aucun obstacle ne doit nous entraver dans la recherche de la Vérité». Il semble bien que la Vérité, à l’instar du tétragramme divin des Hébreux, ne se laisse approcher qu’au travers des rayons qu’elle diffuse tel le prisme d’un diamant – peut-être inaltérable comme lui – avec l’impossible espoir d’en entre-apercevoir le coeur. Ainsi avons-nous procédé en loge par quatre fois en questionnant cette fameuse Vérité, c’est-à-dire nous interrogeant nous-mêmes en privilégiant quatre de ses rayons. Ce sont là nos questions et nos assertions, parfois contradictoires, que nous aimerions partager. Au lecteur acteur et actif de réaliser la conjonction des opposés. 

La recherche de la Vérité est-elle si désirable ?

Sommes-nous en mesure d’accepter toute vérité nous concernant ? Elle est souvent dure à accepter et nous sommes non moins souvent enclins à nous mentir. Les seules Vérités incontournables sont la naissance et la mort. L’angoisse de la faucheuse inéluctable n’est pas pour peu dans notre attitude. Nous le savons, naître à une chose signifie fréquemment mourir à une autre, mais hors de cette observation objective, lors de la mort ultime, physique, ce qui pourrait se passer ensuite reste affaire d’espérance, ou de foi. Qui, face à l’idée de sa mort, n’a pas ressenti la crainte abyssale de la dissolution de son moi le plus profond ? L’idée de découvertes radicales pouvant nous obliger à prendre des directions nouvelles peut générer de la peur, celle, justement, de la dissolution de notre identité, de ne plus se reconnaître. C’est là une entrave ô combien compréhensible… Approchons encore. La Vérité peut être envisagée sous l’angle relatif (vu par soi, le blanc n’est pas le noir) ou absolue. La profession de foi de la maçonnerie régulière prône l’existence d’une Vérité supérieure, non démontrable et transcendante symbolisée par le Grand Architecte de l’Univers.

Pouvons-nous cependant appréhender une vérité autre que subjective ? Tout le monde apprend que le ciel est bleu, l’herbe verte, le sang rouge et le jaune d’oeuf jaune. Toutefois, voyons-nous réellement les mêmes couleurs ? Qu’en serait-il si nous échangions nos yeux et nos cerveaux ? La Vérité tient dans l’évolution de l’humain, celui-ci se perfectionnant sans cesse. Elle dépend du vécu. La Vérité tient dans la quête de celle-ci. «Le chemin, c’est le but» disait Lao-Tseu. Comme l’horizon, la Vérité est inatteignable, elle s’éloigne à mesure que l’on avance vers elle.

Un repère : ce qui est vrai est simple («Heureux les simples d’esprit, car le royaume des cieux leur appartient…») mais non pas simpliste. La Vérité est aussi le moyen de lutter contre la désinformation et le totalitarisme. L’intégrisme utilise la notion de Vérité transcendante pour asservir. Face à cela, le doute est aussi important que la Vérité, également parce que dans nos psychés nous portons des absolutismes, des totalitarismes… Le doute procède par la question et celle-ci est la voie royale pour la marche d’approche vers la Vérité

La question sur la sellette

La question ouvre le débat, la réponse le ferme. Mais toute réponse peut être la mère d’une question. Question-réponse : démarche fondamentale de la pensée humaine à l’origine de toute recherche scientifique ou philosophique. Questionner, c’est exister. Le rituel d’instruction de grade est fait de questions et de réponses. Estce pour montrer l’importance du dialogue dans notre démarche d’évolution ? Pose-t-on toujours une question pour apprendre quelque chose ? À quoi d’autre destinerait-t-on une question ? Il en est de rhétoriques qui amènent l’autre à répondre ce que l’on veut. Il s’agit ici d’un moyen de manipulation. On peut également en poser dont on connaît les réponses… que l’on s’attend à retrouver chez un interlocuteur, dans le but de se rassurer. Donc, la recherche de la Vérité repose sur des questions sincères.

À l’écoute d’une question il importe de chercher à la comprendre, à déduire ce qui l’a motivée car dans ces motivations se trouvent souvent des informations plus importantes que la question en soi. Il y a souvent des questions informulées derrière celle que l’on pose. Des éléments de réponses s’y logent parfois. D’autre part, considérant la fragilité des hommes et des peuples, éviter certaines questions préserve une certaine qualité de vie. Par ailleurs, s’affranchir du questionnement sur la mort permet de se consacrer pleinement à l’instant présent.

Les travers du miroir

Nous le connaissons tous, à travers le cabinet de réflexion. Nous ne pouvons en faire l’économie dans notre recherche de la Vérité, mais le miroir que nous croyons passif dans son reflet n’aurait-il pas aussi ses propres travers, nous renvoie-t-il vraiment à nous-mêmes? On peut vouloir le fuir ou le désirer. Le miroir est un exercice difficile. En latin, miroir se dit «speculum» d’où le verbe «spéculer». En français on donne le nom de «psyché» au grand miroir sur pied, souvent mobile ; le mot se référe aux manifestations de la conscience et de l’inconscient. En grec il signifie l’âme, le souffle de vie. Ainsi se tisse pour nous francs-maçons tout un jeu de réflexions. Le miroir invite à l’interrogation de soi. Une étude scientifique montre que se trouver face à un miroir dans une ambiance sombre peut provoquer des phénomènes inattendus (hallucinations, crises d’angoisse). Le miroir serait-t-il une porte nous donnant l’accès à d’autres états de conscience ?

Selon Jacques Lacan, très souvent, quand pour la première fois nous nous vîmes dans un miroir c’était en présence d’un parent, d’un adulte qui désigne que ce reflet, c’est nous. Nous y voyons l’adulte qui nous définit. L’enfant se rassure sur son unité corporelle, il va la construire, et cette expérience permet à Lacan de dire que l’individu, être social, a aussi besoin de l’autre pour se définir dans sa quête de lui-même, par conséquent de sa vérité. Quand, au fil de notre croissance nous nous regardons, seuls, dans un miroir, nos pensées ne sont-elles pas également peu ou prou empreintes des paroles que d’autres ont prononcées sur nous ?

Ce que le regard de l’autre nous montre de nous-mêmes est teinté de sa façon de voir. Il est intéressant de noter que le miroir nous renvoie l’envers de nous mêmes, il nous offre une profondeur, nous permet d’explorer une autre dimension de notre personnalité. L’envers nous révèlerait-il notre endroit ? Ce dernier vocable est d’ailleurs curieux puisqu’il signifie aussi le lieu géographique. Dans le cas présent, l’envers permet de se situer, déterminer où se trouve son endroit – sur les plans intérieur, psychique et géographique.

Lorsqu’on se mire on observe une image virtuelle. Est-elle une illusion au même titre que ce dont il ressort du mythe de la caverne chez Platon ? Nous croisons souvent des miroirs – déformants ou pas – au long d’une journée. On n’échappe ni à son reflet ni à son ombre, mais les yeux d’un ami, d’un frère sont un miroir qui repose sur le partage, non sur la solitude. La surface réfléchissante renvoie la lumière extérieure, elle la canalise.

Une vérité dernière

Celle-ci existe-t-elle en dehors de nous ? Dans l’affirmative, est-ce celle que nous cherchons? Notre quête ne serait-elle pas la compréhension la plus complète de soi et liée à cette Vérité hors de soi ?

En hébreux la Vérité se prononce «emet». Toutefois, en en retranchant une lettre le vocable «mort» apparaît. La Vérité incomplète appelle la mort. Mais comme nos vérités au seuil même du décès ne peuvent être qu’inachevées, alors la mort n’est pas la mort : elle n’est qu’un aspect de la Vérité.

Ici encore, cette affirmation ne peut être qu’inachevée.