La Maçonnerie, une idée moderne

Planche d’orateur lue à l’occasion de la Tenue de Grande Loge du 6 juin 2004 à Lucerne

Depuis la nuit des temps, l’homme s’est posé la question du bien et du mal. Aujourd’hui plus que jamais, nous, les francs-maçons, devons réfléchir non seulement à définir cette notion de bien et de mal, mais aussi à répandre autour de nous, par nos actes et nos paroles, notre désir de «bâtir un monde moderne» basé sur le «bien», une idée qui, sans être nouvelle, est incontestablement d’actualité.

(Revue maçonnique suisse: août/septembre 2004)

Savons-nous d’où vient cette force obscure qui nous pousse à nuire aux autres et à nous-mêmes? Qui nous oblige à blesser, à détruire, là où la meilleure partie de soi voudrait construire? Cette force qui nous jette dans de multiples agitations, alors que nous aspirons au calme et à l’harmonie? Qui vient empoisonner nos pensées, alors que notre bonheur – nous le savons – dépend de notre fidélité au commandement: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même»? Le colérique retombe toujours dans sa colère, le voleur récidive dans ses larcins, même si aucune nécessité extérieure ne les y contraint. Le violent agit sous l’impulsion d’une force étrange. Nous vivons dans le mensonge presque sans nous en rendre compte. Nous sommes avides de nouvelles sensations telles que nous en fournissent les récits de meurtres, actes de banditisme, incendies volontaires, crimes sexuels, terrorisme, tandis que ceux d’actions généreuses nous paraissent, au contraire, sans grand intérêt.

Nous acceptons de tuer par raison d’Etat, en faisant la guerre ou en appliquant la peine de mort. Nous tolérons parmi nous des tyrans et n’offrons guère à l’opprimé que le réconfort de nos paroles creuses. Nous savons que le recours à la force est un mal en soi, mais nous cédons à cette même force et cherchons nous-mêmes à l’exercer. Les progrès de la science et de la technique nous fascinent à juste titre. Mais, en même temps, trop souvent, il faut bien reconnaître qu’ils portent en eux un ferment de destruction et de mort. C’est ainsi que depuis des millénaires nous avons été appelés à soumettre la Terre et à la faire fructifier. Et nous voici en train de la détruire. Nous prêchons l’amour et nous semons la haine.

Certains disent: «le coeur de l’homme est mauvais dès sa jeunesse». D’autres prétendent que «l’homme est bon, ce sont les conditions sociales et économiques qui le corrompent». «C’est l’homme qu’il nous faudrait changer», soutiennent les humanistes et les esprits libéraux. «On ne changera pas l’homme», rétorquent les sceptiques. Les uns se contentent d’espérer. Les autres attendent la destruction de l’humanité.

Tous ces thèmes sont aussi anciens que le genre humain. Ces propos peuvent paraître futiles ou, comme le pensent d’aucuns, «enfoncer des portes ouvertes». Il est certes facile de proclamer que tout a été dit. Il ne suffit pas d’enfoncer des portes, il faut les franchir et reconnaître lucidement dans quel monde nous vivons et comment nous pouvons y vivre avec notre idéal maçonnique. Il existe assurément d’autres questions et d’autres réponses. Nous, francs-maçons, ne prétendons pas être exhaustifs dans nos recherches, ni détenir la «panacée» universelle.

En ces temps de mondialisation, de globalisation, qui ont d’ailleurs été précédé d’une standardisation générale de nos activités modernes – dont nous profitons journellement – il est non seulement utile mais indispensable de prendre conscience des problèmes du monde actuel que nous vivons et qui touchent aussi bien la franc-maçonnerie que nos vies personnelles.

Alors que la recherche historique de notre Ordre, l’étude du symbolisme ou l’utilisation du langage ésotérique font certes partie de notre héritage maçonnique, ils ne doivent pas rester l’apanage de notre discours, car ils ont trop souvent desservi notre cause.

L’homme d’aujourd’hui est de plus en plus confronté à des questions et des problèmes fondamentaux. Comme la ligne de sécurité d’une route à grand trafic, la limite entre le bien et le mal semble devenir toujours plus confuse et indéfinissable. Plus que jamais, la maçonnerie est une idée moderne et notre devoir est de prouver, par nos actes et nos paroles, que nous contribuons ouvertement, dans le monde profane, à propager nos idéaux. Car, en dépit de ses pièges, de ses corvées et de ses rêves brisés, notre monde est merveilleux. Paul-Emile Muller, membre du Collège des Grands Officiers de la GLSA