Jean Bénédict, homme de pensée et de terrain

Le Groupe de recherche Alpina (GRA) fête ses vingt ans

Il faudrait davantage d’espace que celui à notre disposition pour évoquer le riche parcours de vie de Jean Bénédict dans tous les domaines. Né en 1928, il reprend de son père à vingt-cinq ans, les célèbres écoles qui portent son patronyme, après ses études aux Etats-Unis, en Allemagne et en Suisse. Plus diverses formations complémentaires. En novembre 1973 il est initié à la loge Liberté, de Lausanne, au collège de laquelle il occupera différents postes jusqu’au Vénéralat. Jean Bénédict est l’auteur de nombreux articles et travaux d’érudition, publiés notamment dans notre revue. Il a aussi donné des conférences, organisé des manifestations, édité des livres et périodiques, il est homme de pensée mais également de terrain. Membre fondateur du GRA, dont nous reparlerons ici en cours d’année, son expérience et ses connaissances sont fréquemment sollicitées

Propos recueillis par J. T. (Revue maçonnique suisse: juin/juillet 2005)

Alpina: Quel bilan personnel dressestu de tes années de présidence du Groupe de recherche Alpina?

Jean Bénédict: J’y vois un succès inespéré par les frères fondateurs. Dès mon initiation, déjà, j’éprouvais le besoin d’un groupe de recherche. Sur le modèle de la première loge Quatuor Coronati de Londres nous avons réalisé dès 1985 un travail considérable, ce que la GLSA ne peut évidemment faire de par sa structure. Des livres d’instruction, des conférences, une revue, des collaborations avec des loges de recherche dans le monde entier, etc. Je n’en tire aucune gloire personnelle: le travail du GRA est collectif, chacun contribuant selon ses moyens et en fonction du temps dont il dispose. Nous aurions peut-être pu faire davantage; nous y travaillons en ce moment

A.: Dans le trimestriel Masonica on remarque depuis quelque temps des articles traitant de psychologie, de psychanalyse et d’autres sciences humaines au demeurant fort intéressantes mais n’y a-t-il pas risque de s’éloigner du domaine maçonnique proprement dit?

J.B.: Je ne le pense pas. Les recherches en sciences humaines posent des questions très comparables à celles qui se sont posées de tout temps à la maçonnerie. Masonica, revue semestrielle, réunit des articles destinés aux membres correspondants (actuellement plusieurs centaines), qui doivent être maîtres maçons; ils résident en Suisse et dans le monde. Les sujets des articles touchent à tous les aspects de la vie maçonnique, conformément à nos statuts. La psychologie, la sociologie, etc appartiennent de plein droit à la recherche de l’indicible, précisément ce que chacun poursuit ou devrait poursuivre durant sa vie de maçon. Une revue telle que la nôtre offre non seulement des informations actuelles sur la maçonnerie dans le monde, mais aussi incite à la lecture et à la réflexion, compléments indispensables au travail en loge.

A.: Les conférences semestrielles mises sur pied par le GRA connaissent un succès grandissant. Quels sont les critères du comité pour inviter à Lausanne tel ou tel orateur?

J.B.: Oh, ils sont très simples.Les orateurs sont choisis parmi les bons auteurs, chercheurs et penseurs connus en Europe pour le sérieux de leurs travaux. Ils ne sont pas nécessairement maçons. Les sujets des conférences dépendent d’eux, mais également des préoccupations du moment. Le discours et l’expression maçonniques modernes, comme toute chose, doivent évoluer. Nous souhaitons toujours offrir des débats axés sur les aspirations et attentes des maçons suisses. Depuis la dernière guerre la recherche a fait des bonds prodigieux, offrant aux lecteurs une multitude de connaissances nouvelles. Nul ne peut plus prétendre lire toute la littérature essentielle. Nous voulons mettre à la disposition de nos membres des raccourcis et des vues d’ensemble qui leur ouvrent des perspectives nouvelles. La lecture représente un complément indispensable au rituel.

A.: En ta qualité de garant d’amitié pour la Grande Loge de Californie, nous brosserais-tu un portrait succint de cette juridiction nord-américaine?

J.B.: (Rires) Ah, j’attendais cette question! Nous savons hélas que la maçonnerie anglo-saxonne est en perte de vitesse, sans doute parce qu’elle a su moins bien évoluer que celle du Continent, moins bien s’adapter aux changements de la société, comme je l’ai relaté dans plusieurs articles de Masonica ou au cours de conférences données à Genève et à Lausanne. La maçonnerie anglo-saxonne représente malgré tout encore la grande majorité dans le monde. Or la moitié de ses effectifs ont fondu en dix ans, alors que le mouvement maçonnique en Europe se trouve en pleine expansion, sauf dans notre pays. Je suis garant d’amitié de la GL de Californie depuis presque 30 ans; j’ai pu assister à son délabrement numérique. De nombreuses tentatives de redressement ont été entreprises, sans résultat notable.A mes yeux, le sérieux du travail, associé au respect des anciens usages pratiqués en Europe continentale constituent, à longue échéance, la seule solution.

A.: En tant qu’ancien responsable de la LICRA penses-tu que les actes de racisme et d’antisémitisme auxquels on assiste actuellement soient une crise passagère ou plutôt un phénomène appelé à s’étendre?

J.B.: La LICRA et autres activités humanitaires que j’ai menées résultent directement de mon engagement maçonnique, à savoir oeuvrer dans la vie profane selon les enseignements acquis dans le temple. Ma formation en sociologie me fait penser que les actuels désordres xénophobes et interethniques suivent une évolution en dents de scie, étroitement associés à la dégradation de la conscience citoyenne et religieuse, de la conjoncture économique déplorable et de la confrontation inquiétante entre l’Occident et l’Orient. Il reste à souhaiter que les intégrismes, quels qu’ils soient, ne corrompent pas la situation encore davantage. Je ne saurais assez engager nos membres à se joindre au travail magnifique que font les Organisations non-gouvernementales en Suisse et à l’étranger.

A.: Le thème de ce mois étant «La musique dans le temple», quel est ton sentiment à ce sujet?

J.B.: La musique fait partie intégrante de la vie de l’homme depuis les temps les plus reculés. On ne trouve aucune civilisation où la musique n’a pas sa place. Elle apporte à chacun la chaleur émotionnelle qu’aucune autre manifestation humaine ne peut égaler: c’est l’amour du prochain à l’état pur. Elle constitue une pulsion vitale qui habite chaque être humain. En loge elle est indispensable, qu’elle soit vive ou enregistrée. Lorsqu’elle est absente, le vide est palpable. Elle décuple l’effet bénéfique du rituel.

A.: Que souhaites-tu pour l’avenir du GRA?

J.B.: On me reprochera peut-être d’être trop ambitieux pour le GRA, mais je souhaite un cercle de lecteurs toujours plus large, avec un échange d’opinions qui enrichirait l’expérience initiatique induite par le rituel. Un groupe suisse de frères germanophones qui traiterait en langue allemande des sujets analogues aux nôtres, idée que partage notre Grand Maître Alberto Menasché. Une longévité pareille à celle de la GLSA. Une collaboration encore plus étroite avec les autres loges de recherche à l’étranger. Des conférences toujours plus captivantes et fécondes. Un nombre plus étoffé de membres actifs dévoués et productifs.