« Je vais jusqu’au fond des choses »

Durant ses études scolaires, il s’est découvert une fascination pour les minéraux. Par la suite, cette fascination l’a amené à s’intéresser aux travaux d’alchimie effectués en laboratoire. Plus le temps passait, plus sa passion pour ce domaine éminemment attachant augmentait. Le F. Martin Hugentobler nous permet d’accéder à un monde offrant de nombreux parallèles avec la Franc-Maçonnerie. Au cours de l’interview résultant de cet intérêt, il se vit bien évidemment confronté à la question : Es-tu à même de fabriquer de l’or ?

T. M. : F. Martin, vois-tu des liens entre ta vie profane et l’alchimie ?

Martin Hugentobler : Oui. Pour être à même d’exercer le métier d’agriculteur, il est indispensable d’observer la nature. La culture des champs constitue de plus un symbole de l’alchimie. Tout ce qui se produit dans le laboratoire n’est que le modèle de ce qui se produit en grand dans la nature. Ainsi l’hiver est un symbole du cycle de la mort et de la renais­sance. De façon parfaitement analogue, nous « tuons » la matière par les lois de l’alchimie pour faire renaître de celle-ci quelque chose de nouveau. Quel que soit le processus mis en œuvre, son but ultime est de nous faire comprendre ce qu’est la « juste mesure ». Cette finalité se retrouve également dans la pédagogie. On doit donner à l’élève le cadre  précis dont il a besoin. Pour parvenir à ce but, il est nécessaire d’élargir ou de rétrécir ce cadre. Ce cadre est-il trop large, l’homme s’y perd, est-il trop étroit, il s’y sent écrasé.

T.M. : Comment as-tu accédé à l’alchimie ?

M.H. : J’ai commencé à collectionner des minéraux à l’école primaire. Je possédais une pyrite à l’intérieur de laquelle quelque chose brillait qui ressemblait à de l’or. Ceci m’a amené à la conviction que les métaux pouvaient prendre naissance dans une roche-mère, ce qui était, ainsi que mes études ultérieures me le confirmèrent, une conception alchimique. À l’âge de17 ans, je me suis mis à lire tous les ouvrages d’alchimie qui me tombèrent entre les mains, entre autres ceux du psycho-analyste Herbert Silberer, un érudit ayant exercé une influence considérable sur C.G. Jung. Au début, je n’y ai rien compris. C’était pour moi comme une nouvelle langue, truffée de mots inconnus. C’est ainsi qu’a débuté mon chemin spirituel. J’ai immédiatement compris que je devais commencer par mon épuration personnelle avant de songer à obtenir quoi que ce soit dans mon laboratoire.

Et comment s’est développée ta formation ?

M.H. : J’ai effectué mes premières expériences en 2004. Mes premiers contacts avec la spagyrie datent de 2005. Sous ce terme, on comprend aujourd’hui la mise en œuvre pharmaceutique et thérapeutique de l’alchimie. Il faut dire que pour les précurseurs – les anciens savants, spagyrie et alchimie représentaient le même concept. Puis vint la définition des métaux et des minéraux. Mon patron à cette époque s’intéressait lui aussi à l’alchimie et m’autorisa à installer un laboratoire dans le cadre de l’institution qui m’occupait. Ceci m’a permis de pratiquer 24 heures sur24, 7 jours par semaine l’alchimie opérative. C’est ainsi que j’ai pu ras­sembler une somme considérable  d’expériences pratiques : je travaille maintenant dans mon propre laboratoire.

T. M. : À part toi, existe-t-il de par le monde d’autres alchimistes ?

M.H. : Il ne me vient pas à l’idée de m’attribuer le titre d’alchimiste. Mas mes amis dans l’art me considèrent comme tel (sourires). La plupart des alchimistes actuels cachent cette qualité. Malheureusement, les profanes vivant de nos jours deviennent de plus en plus insistants et exigent la connaissance de « recettes ». Il a toujours existé et il existe de nos jours encore des farfelus qui n’ont rien perdu de leur assi­duité à percer nos secrets. Et il est essentiel de préciser que, même si un quidam affirme être entré en possession de « recettes », il ne possède encore rien de con­cret. Ce n’est que lorsque ce quidam aura effectué un travail en laboratoire et aura ainsi pénétré les prémices  de la pensée alchimique qu’il en comprendra tous les tenants et aboutissants. Dans le domaine de la spagyrie, je suis mon proche che­min, conforme au cheminement traditionnel. A la fin d chaque processus consti­tuant ce cheminement,il se produit dans l’éprouvette la fusion des principes philo­sophiques que sont le mercure, le soufre et le sel réunis dans l’éprouvette de verre. Ces quatre éléments sont alors en équilibre et, de ce fait, visibles. C’est ainsi  que je parviens à la racine même des phénomènes que j’étudie.

T.M. : Comment peut-on se faire une idée de ton laboratoire et de ce qu’il re­présente ?

M.H. Ces derniers temps, je vis essentiellement en Italie où je possède un labora­toire couvert placé à l’extérieur de la maison. Les émanations présentant un dan­ger, comme par exemple le vif-argent ou les odeurs désagréables, telles l’urine, peuvent se dissiper plus rapidement. Mon outillage, parmi d’autres objets, com­prend une forge, un distillateur, un athanor, un bain-marie et toutes sortes d’instruments destinés à mesurer la température ainsi qu’un pélican, soit un réci­pient à deux vases permettant la circulation des liquides.

T. M. Quels sont les processus que tu utilises ?

M.H. : Les principaux sont la calcination (soit la transformation en cendres), la distillation, la putréfaction (ou fermentation) ou la coagulation (réunion des élé­ments).

T.M. : Et comment te procures-tu les matériaux que tu utilises ?

M.H. : La plupart d’entre eux sont faciles à se procurer. En ce qui concerne les minéraux rares, je m’adresse à un intermédiaire actif sur le marché des minéraux.

T.M. : Nous avons déjà abordé le problème de tes relations avec la nature. Il me semble qu’il s’agit là d’un point central de ton activité. Peux-tu nous en dire plus sur les rapports que tu entretiens avec elle ?

M.H. : On ne peut rien enlever à la nature. Il est de beaucoup plus important de s’y intégrer, de l’observer avec une attention minutieuse. On peut dire que l’alchimiste travaille dans un triangle. Celui-ci est constitué par la nature, le labo­ratoire et par l’intervenant lui-même. Il y a lieu de développer sa modestie, son humilité, de se soumettre à la nature. C’est une question de vie et de mort. Seule cette attitude permet d’accéder à la connaissance, à la science. Celles-ci ne con­cernent cependant toujours que des objets ayant une existence propre, mais dépas­sent cependant celle-là. Un exemple de cette évolution nous est donné par le vitriol. Celui-ci peut en effet séparer, mais également lier (solve et coagula) : Il s’agit là de deux processus jouant également un rôle important dans la psyché humaine. Chaque fois qu’il est question de relations ou de devoirs, l’équilibre entre la sépa­ration ou la liaison, entre accepter ou refuser joue un rôle essentiel.

T.M. : Tu as mentionné le thème de l’école de vie. Sur ce plan, existe-t-il des parallèles entre l’alchimie et la Franc-Maçonnerie ?

M.H. : Oui, et ils sont même nombreux. J’ai déjà évoqué de manière générale la mort symbolique. Sur le plan concret, il y a lieu de mentionner à ce propos le cabi­net de réflexion. Sa couleur noire correspond à celle de la « prima materia ». C’est aussi la couleur d’une variété de minerai de fer. Avec celui-ci, il est possible de réaliser des marteaux et des ciseaux.. La pierre taillée fait penser à la pierre chimique du Sage. Le marteau et le ciseau sont les outils indispensables à la réalisation de l’une comme de l’autre. Un parallèle existe encore entre l’alchimie et la Franc-Maçonnerie, à savoir que, dans les deux cas, il y a lieu de distinguer entre la préparation du candidat et le Travail au Temple.

T.M. : Et, pour terminer, la question que tu attendais certainement : es-tu ca­pable de fabrique de l’or ?

M.H. : Non. À cette question, aucun alchimiste ne sera le premier à répondre par oui ! (rires).

 

Martin Hugentobler, né le né le 19 janvier 1979, est à la foi agriculteur diplômé et pédagogue social. Il a reçu la Lumière maçonnique en tant qu’apprenti en sep­tembre 2014. Il est Frère de  la L. maçonnique  « Bauplan »  à l’Or. de  St Gall.
(Traduction : P.V.)