«Je suis le Frère de mon fils»

Evénements et faits biographiques relatifs à Mozart

Le texte ci-après fera l’objet d’une lecture à la loge genevoise Fidélité et Prudence ce 26 janvier à 20h30. Ouverte au public nonmaçon, la conférence sera animée de moments musicaux de circonstance exécutés par des instrumentistes issus de plusieurs ateliers.

R. H., Fidélité et Prudence, Genève(Revue maçonnique suisse: janvier 2006)

Issu d’une famille d’artisans sculpteurs et de maîtres-maçons, Léopold Mozart, né le 14 novembre 1719 à Salzbourg, rompt avec la tradition familiale et choisit le métier de violoniste. Il mourra quatre ans avant son fils, à Salzbourg en 1787, âgé de 68 ans. Il fonde, sans le savoir, une chaîne musicale remarquablement généreuse puisque sa famille deviendra un foyer cultivant amoureusement la musique aujourd’hui appelée classique. Avec ses deux enfants prodiges et plus tard avec l’un de ses petits-fils, commence une dynastie de musiciens exceptionnels. La musique va entraîner Léopold sur le chemin de la pensée réflexive pour suivre une démarche philosophique empreinte de lumière et de tolérance. La trajectoire de cette famille débute par les voyages à travers l’Europe autant peut-être que par des voyages symboliques dans l’univers de la franc-maçonnerie. À partir de l’année 1784, année de l’initiation maçonnique de son fils Wolfgang Amadeus, Léopold entrevoit l’univers spirituel auquel il aspire et qui le guide en solitaire depuis la période de son adolescence. Léopold découvre à son tour, après son fils, l’Art royal, semblable à une vocation destinée à cultiver en lui un idéal moral par l’étude des symboles et la pratique de la fraternité; d’où le titre de cet exposé. Avant de découvrir les étapes de cette épopée familiale, intéressons-nous quelques instants à l’histoire de Léopold Mozart.

«Le miracle que Dieu a fait naître à Salzbourg»

Les historiens de la musique le connaissent puisque Léopold est l’auteur de la célèbre Symphonie des Jouets (1). Inscrit à l’Université des Bénédictins, il étudie la philosophie religieuse puis, modifiant sa trajectoire professionnelle, attiré par la musique, Léopold obtient un poste de violoniste auprès de Johann Baptist, comte Thurn-Valsassina und Taxis. Le 4 octobre 1743 il est engagé comme quatrième violon dans l’orchestre du prince-archevêque de Salzbourg. Le 21 novembre, Léopold épouse Maria Anne Pertl née le 24 décembre 1720. En 1756 Léopold publie une méthode appelée Ecole de violon. Il s’agit d’un ouvrage d’initiation musicale théorique et pratique, manuel de référence au XVIIIe siècle. Compositeur prolifique, il fut l’auteur de musiques religieuse et profane, de musiques de chambre et de pièces pour instruments et jouets. L’une de ses oeuvres les plus charmantes explique, H. C. Robbins Landon (2) s’intitule Promenade musicale en traîneau. Wolfgang Amadeus, son fils, remaniera cette oeuvre lorsqu’il composera la Danse allemande no 3, K 605.

Léopold note cette phrase le 27 janvier 1756, jour de la naissance de son fils: «Le miracle que Dieu a fait naître à Salzbourg». Dans cette ville, on parlera des enfants Mozart: Nanerl et Wolfgang Amadeus puisque tous deux ont la réputation de jouer avec une netteté et une précision qui enchantent et stupéfient les amoureux de la musique. On répète volontiers, en exagérant certainement, que ce père autoritaire aurait souhaité mettre en évidence les dons de ses deux enfants, Nanerl violoniste et Wolfgang Amadeus, virtuose du clavier et du violon; chacun sait que ce père ambitieux pour ses enfants les présentait devant un grand nombre de cours européennes prestigieuses ayant la réputation de favoriser l’art musical. Les tournées en Allemagne, en Autriche, en France, en Angleterre, en Hollande, et en Suisse demeurent célèbres. Peut-on imaginer aujourd’hui ces voyages à travers l’Europe?

Deux correspondants se souviennent du trio Mozart

À Genève (3), par exemple,Wolfgang Amadeus, âgé de neuf ans, reste du 20 août au 10 septembre 1766. En compagnie de sa soeur Mozart donne, dans une des salles de l’Hôtel de Ville probablement deux concerts payants. Les Mozart sont accueillis par la famille de Jean Huber, le célèbre dessinateur et l’encyclopédie vivante (4) Gabriel Carmer (1704-1752) pasteur et mathématicien fait part à un correspondant, le 5 septembre 1766, de son étonnement: «Nous avons ici un jeune allemand qui m’est fortement recommandé de Paris, il a 9 ans; il joue du clavecin comme on n’en a jamais joué; il déchiffre tout dans le moment, il compose sur tous les sujets possibles dans le moment, avec cela il est gai, enfant plein d’esprit, enfin, on n’ose pas en parler de peur de n’être pas cru».

À Lausanne où Mozart donne des concerts, le fameux Docteur S.A.D. Tissot écrit: «La sensibilité et la justesse de l’oreille sont si grandes chez le jeune Mozart que des sons faux, aigres ou trop forts font couler des larmes. Son imagination est aussi musicale que son oreille, elle a toujours présenté une multitude de tons à la fois; un seul ton donné rappelle dans le même instant tous ceux qui peuvent former une suite mélodieuse et une symphonie complète». Il semble que Voltaire (1694-1778) à Genève, installé aux Délices dans le quartier de Saint-Jean entre 1755 et 1770, ait souhaité organiser un concert dans son domaine de Ferney à l’été 1770.

Des voyages formateurs

Parmi les innombrables voyages rappelons: Salzbourg, Munich, Vienne, Paris, Londres, Hollande, Genève, Lausanne, Zurich, Salzbourg (1762- 1766); Milan, Salzbourg, Vienne, Salzbourg (1772-1774), Salzbourg-Munich (1774-1775), Mannheim, Paris, Salzbourg (1777-1779) (5). Ils donnent une minuscule idée du rapprochement que connaissent les enfants Mozart avec leur père au cours de ces déplacements inconfortables, sans parler du développement des dons de chacun d’eux que suscitent la préparation des tournées, les réceptions et les concerts publics, occasions de prouver leur talent et de démontrer les performances dont ils sont capables. Toujours sur les routes reliant les villes principales des pays européens, installés dans des pensions ou reçus dans des familles, se produisant devant des personnages officiels venus admirer leur génie musical, ce trio forme non seulement une exception familiale digne d’admiration mais encore un exemple d’audace et de ténacité pour faire connaître la musique et charmer leurs auditoires par la précocité de leurs dons, tout en gagnant de modestes gages.

Léopold Mozart est initié à Vienne

Deux années avant de décéder, soit en 1785, Léopold sollicite son fils afin d’être reçu dans la loge La Bienfaisance à Vienne. Moment merveilleux qui permet à Wolfgang Amadeus Mozart d’ouvrir les portes du temple de la fraternité à ce père si attentif à donner à ses enfants un enseignement musical associant rigueur et créativité, formation classique et travail de persuasion, enseignement apte à développer les dons qu’ils possèdent.Wolfgang Amadeus Mozart devient par la motivation de son père un guide lui permettant de faire connaître l’Art royal à travers l’univers fraternel de la francmaçonnerie. À la même époque, peut-être convaincu par Wolfgang Amadeus, Joseph Hadyn (1732-1809) devient membre, lui aussi, de cette loge.

Léopold est reçu apprenti, le 6 avril 1785, devient compagnon le 16 et accède à la maîtrise le 22. Ce soir-là, Joseph Haydn souffle à Léopold Mozart: «Je vous le jure devant Dieu, nul n’est aussi grand musicien au monde que votre fils». (9)

On peut estimer que Léopold prend certainement la mesure du pouvoir sur son fils de la pensée maçonnique, source d’inspiration pour lui et son oeuvre à venir. Parlons d’une sorte de révélation spirituelle, d’un pouvoir moral et d’une inspiration, amie de l’éternité, capable de renouveler le répertoire mozartien. Le voyage du compagnon, K. 468, La joie des maçons, K 471 et O lien sacré, K. 148, autant d’oeuvres qui donnent une première idée de ce que Wolfgang Amadeus offre généreusement à sa «nouvelle famille» puisque sans cesse stimulé par elle et la complicité de ses frères. On peut parler de l’aptitude qu’un père peut exercer dans le but d’épanouir les dons exceptionnels que possède un enfant. Dans un contexte presque identique, l’écrivain Marguerite Yourcenar, a connu les mêmes circonstances avec son père. En effet, celuici a été, le plus souvent, le seul à veiller à l’éducation de sa fille et à reconnaître ses dons exceptionnels de conteuse et à leur donner un appui constant afin de les faire fructifier.

Notre Frère Wolfgang Amadeus Mozart

Si à trois ans Wolfgang Amadeus est attiré par les accords musicaux des mélodies jouées par Nanerl, il n’est pas exagéré de penser que cet attrait deviendra, d’un amusement, une prédisposition exprimant des facultés de création prodigieuses. Plusieurs fois les familiers de la famille verront Léopold pleurer sur les facilités stupéfiantes dont fait preuve son fils saisissant sur-le-champ (6) n’importe quelle difficulté pour bien sûr accomplir de subtils développements. Géniales (7) seront plus tard les oeuvres de Mozart confiées à ses frères, inspirées par eux. Jacques Henry a établi une liste des oeuvres reconnues officiellement comme maçonniques. On cite: des marches, des lieder, des cantates et des oeuvres scéniques.

Soigné à 11 ans pour une variole par le docteur Wolf d’Olmütz, appartenant à la franc-maçonnerie,Wolfgang Amadeus s’empresse de le remercier en lui adressant une agréable mélodie intitulée À la joie, K.53. À 12 ans Mozart rencontre et s’entretient longuement avec le célèbre médecin Franz Anton Mesmer (1734-1815), inventeur du magnétisme animal destiné à soigner les maladies. Ce savant lui offre la mélodie de Colin et Colette faisant partie du célèbre Devin du village, composé en 1774 par Jean-Jacques Rousseau. Proposée à Mozart par Mesmer, afin de la jouer dans son théâtre, cette mélodie deviendra Bastien et Bastienne, K. 50. Les entretiens entre Mesmer et Wolfgang Amadeus sont partiellement restitués dans Cosi fan Tutte (1790). En 1773, le Frère Gebler (8) confie à Wolfgang Amadeus Mozart la composition de la musique de scène de Thamos, roi d’Egypte, racontant une épopée appartenant à l’univers symbolique de l’Egypte ancienne.

En 1778, se noue une amitié entre Wolfgang Amadeus et le diplomate von Gemmingen, qui reçoit en témoignage de leur estime un quatuor, K 80, un quintette, K 174 et des variations, K. 179. Ce baron von Gemmingen installé à Vienne en 1782 – nous l’apprenons de Wolfgang Amadeus – occupe la fonction de Vénérable à la loge La Bienfaisance:Wolfgang y est initié le 14 décembre 1784. Il a 28 ans. Cette loge a été créée par essaimage de La Vraie Concorde. La complicité établie entre Léopold et Wolfgang Amadeus a rejailli sur la loge, celle-ci et ses adhérents deviennent sa famille aimée et servie de manière incomparable. Mozart devient compagnon le 7 janvier 1785 et maître le 13 du même mois. Il montre un zèle soutenu. Quelques jours après son initiation, il écrit le Quatuor en la majeur, K. 464 et le Concerto pour clarinette, K. 622. On découvre trois dièses ou trois bémols à la clé! A bien observer, toute l’oeuvre de Mozart peut être analysée en fonction de symboles et outils maçonniques puisque depuis son initiation, l’univers de cette fraternité vivante ne cesse de devenir une source d’inspiration dans l’oeuvre mozartienne. Son enthousiasme le pousse non à écrire des planches pour son atelier mais à composer des oeuvres musicales où la pensée ésotérique rejoint la symbolique maçonnique. On retrouve cette prodigieuse capacité, signalée plus haut, de convertir en compositions un sentiment puissant de reconnaissance à l’égard de la franc-maçonnerie, école de silence, de réflexion et de vie donnant un sens à une oeuvre d’amour à accomplir ici bas et au-delà de l’existence terrestre. «Je vous remercie mon Dieu de m’avoir accordé le bonheur de saisir l’occasion d’apprendre à la connaître comme la clé de notre vraie félicité.»(10)

Mozart poursuit son oeuvre de compositeur et même de chef d’orchestre en loge, accentuant le rôle de la batterie en multipliant les rythmes dans ses cantates, références maçonniques classiques. La symbolique des voyages et des passages lors des rituels maçonniques préparent Wolfgang Amadeus à prendre congé de son père, le 29 mai 1787, devenu son Frère. La douleur qu’il éprouve n’est atténuée que par les maçons des loges viennoises et les créations musicales qu’il conçoit comme autant de chefsd’oeuvre spirituels invitant sans cesse à un recommencement de l’existence donnée pour réaliser une fraternité vivante.

Ses frères comprendront, les premiers, la puissance de cette énergie spirituelle ouvrant symboliquement les chemins de l’initiation et l’accès graduel à la pratique de symboles universels. Ils deviennent ainsi, comme ceux de tous les temps, porteurs de cette lumière qui traverse chaque accent mozartien. Deux jours avant son entrée dans l’absolu musical, le 17 novembre 1791 – deux ans après son père – Mozart dirige à l’occasion de l’inauguration du temple de la loge L’Espérance couronnée: Laut verkünde unsere Freunde, K. 623. Dans la nuit du 4 au 5 décembre il entre dans la Lumière; une cérémonie est célébrée à la chapelle de la Croix en la cathédrale Saint- Etienne où Mozart tenait le poste de maître de chapelle suppléant (11). Il a 35 ans. Son fils aîné Karl Thomas a 7 ans, son deuxième fils, Xavier vient de naître. Le riche baron van Swieten conseille un convoi de 3e classe, pour éviter à la famille des frais. Il assiste à la cérémonie avec Franz Xaver Sussmayer, Antonio Salieri, Roser, J. Deiner et les deux beaux-frères Hofer et Lange ainsi que quelques amis. Sous une tempête de neige ce groupe conduit la dépouille de Wolfgang Amadeus dans un cimetière qui se trouve à un quart d’heure de la ville, jusqu’à la sépulture communautaire. Selon le règlement imposé, cet instant est bref et dépourvu de cérémonial, affirme- t-on, par crainte des épidémies.

L’ultime voyage

Les frères rassemblés en loge s’imprègnent des accents de la Marche funèbre maçonnique exacte prémonition de Mozart annonçant sa disparition. Cette ode spirituelle les guide au cours de la cérémonie dédié à Wolfgang Amadeus quelques semaines plus tard au sein de l’atelier auquel appartient Mozart durant sept ans. Cette période aussi brève qu’exceptionnellement féconde donne une idée du travail accompli et offert à la maçonnerie spéculative par Wolfgang Amadeus Mozart. Pour toujours, la clarinette annonce l’espérance, le piano dit la joie, l’alto le souvenir d’un paisible avenir. La mort de Mozart devient pour tous une réalité initiatique, le but ultime de leur vie, leur vénérable amie, leur douce consolation.

Constance, Karl Thomas et Xavier

Son épouse Constance et ses fils Karl Thomas (1784-1858) et Xavier (1791-1844) seront soutenus psychologiquement et financièrement par les membres de sa loge dès janvier 1792. Une somme de 6000 florins sera accordée à la famille et la vente des oeuvres de Mozart rapportera plusieurs centaines de florins. La formation musicale de Xavier Mozart dit aussi W. A. Mozart junior sera prise en charge par J. Haydn et Neukomm, son élève. Il jouera un concert public à 14 ans en exécutant l’un des plus grands concertos pour piano de son père (KV 467). À 20 ans il organise un concert consacré à ses propres oeuvres. Il voyage en Russie, en Pologne, en Prusse, au Danemark, en Bohême, en Italie et en Suisse. Il fut directeur du théâtre de Lemberg en 1834 (ville ukrainienne aujourd’hui, Lvov, précédemment polonaise: Lwow), mais de santé délicate, il décède le 31 juillet 1844. Il a 53 ans. On lui attribue plus de 50 oeuvres inspirées par une âme mélancolique et passionnée annonçant la période romantique. Les oeuvres de W.A. Mozart ont été recensées dans un ouvrage appelé Catalogue chronologique et thématique. Ce fabuleux travail consacré à la gloire de Mozart a été entrepris en 1862 par le chevalier Ludwig von Koechel (1800-1877) botaniste, minéralogiste et musicographe. Cet ouvrage permet de désigner les oeuvres de Mozart, non par leur numéro d’opus mais par celui qui leur fut attribué par Koechel (K). L’initiative fut complétée par A. Einstein en 1947. (Extrait du Dictionnaire Robert, 1993. p 990)

Références:

(1) Eric Saunier, Encyclopédie de la Franc-maçonnerie, La Pochothèque, 2000, p. 590.

(2) H. C. Robbins Landon, Mozart en son âge d’or, Fayard, 1996. p. 17.

(3) Bernard Lescaze, La Tribune de Genève, 15-16. 2002

(4) Jean-Paul Galland, Dictionnaire des rues de Genève, Promo Edition, 1982, p. 47.

(5) Jean-Victor Hocquard, Mozart, Editions du Seuil, 1958, p. 88.

(6) Robert Bory, La vie et l’oeuvre de Wolfgang-Amadeus Mozart par l’image,Editions du Journal de Genève, 1948, p. 20.

(7) Jacques Henry, Mozart frère maçon, Editions du Rocher, 1991, p. 13.

(8) Jacques Henry, op. cit. p. 23.

(9) Jean-Victor Hocqunard, Mozart, Editions du Seuil, 1958, p. 95

(10) Jacques Henry, Mozart frère maçon, Editions du Rocher, 1991, p. 26.

(11) Henri Ghéon, Promenades avec Mozart, Desclée de Brouwer, 1932, p. 440.