Histoire, ésotérisme et tradition

«La Bible sert d’axe dans la loge»

La maçonnerie est composée d’obédiences et de Grandes Loges reconnues entre elles ou non. Leur approche de la Bible est différente, par la lecture dans un premier temps, et par l’importance donnée à ce livre.

R. E. L. (Revue maçonnique suisse: décembre 2004)

Passant de la gravité dans certains textes à la portée du message transmis, la Bible fait autorité dans la culture occidentale. Parler de son importance dans la maçonnerie en général ne serait-il pas faire une mauvaise interprétation du thème qui nous est proposé aujourd’hui? Car cela nous entraînerait dans une vision de commentaires et de jugements non appropriés pour ce passionnant sujet. Nous devons donc cerner le débat sur l’influence de la Bible dans nos loges. Vouloir traiter un tel sujet nous oblige à regarder à travers notre parcours maçonnique, dans notre propre approche vécue et livresque, sans aller chercher des références ailleurs.

Les maçonneries écossaise et anglaise dont nous sommes issus ont donné une place prépondérante à la Bible et par déduction à certains passages de ses écrits. La Bible prend une dimension symbolique par son enseignement religieux, certes, mais aussi par sa lecture dans une optique de libre penseur respectueux envers une philosophie et des vérités. Notre propos peut donc commencer.

La Bible trône dans les loges à une place définie. Pourtant il existe une exception qui confirme la règle, un rituel où la Bible est absente matériellement. C’est celui dit noachique comme le Royal Ark Mariner. La raison est logique. Dans l’histoire de Noé, celle décrite dans le livre de la Genèse qui sert de référence, la Bible en tant que livre écrit n’existe pas encore. Ou, pour celui qui ne se considère pas comme un béotien, cette histoire fut certainement écrite dans une langue qui nous échappe, n’étant plus enseignée et connue à notre époque. On pourrait étendre notre thème aux hauts grades et autres loges de perfection, mais pour une raison évidente de lecture au niveau de ce propos nous laissons le lecteur avisé faire les déductions qui s’imposent sur l’importance de la Bible à chaque degré de la maçonnerie. À ce moment de notre sujet nous ne traiterons pas des problèmes soulevés dans d’autres obédiences qui remettent en cause la présence dans la loge de ce livre qu’est le Volume de la Loi Sacrée.

Après le postulat ci-dessus voici une manière de préambule. Nous connaissons la Bible sous la forme d’un livre. Dans une atmosphère empreinte de solennité, le préposé au cérémonial s’approche de l’autel des serments, ouvre le livre à la page que lui indique le signet. Puis il dispose le compas et l’équerre sur ce livre ouvert. Un acte sacré vient d’être accompli. Il s’agit d’un rituel qui accompagne tous nos travaux. Nous sommes des loges de Saint- Jean. Le ruban est placé aux premières phrases de l’évangile de notre protecteur.

En effet, la Bible fait partie de notre éducation sous nos latitudes. Elle est la référence écrite pour approcher l’aspect religieux et son enseignement. C’est parfois un petit bouquin aux caractères minuscules qui annonce la future cécité du lecteur, mais est transportable. C’est aussi un gros bouquin qui est passé de la table de nuit de nos grands-parents à l’étagère située dans le salon du mécréant et sur le meuble de travail du dévot. C’est un volumineux ouvrage décoré qui se trouve toujours sur le présentoir des églises pour les besoins de l’office.

La Bible occupe-t-elle une place essentielle dans l’organisation spatiale et livresque de notre ordre? Un exemplaire selon les définitions ci-dessus fait partie des objets dans l’organisation de la loge et mis à une place privilégiée qui dépend du rituel. Est-il placé dans la loge pour notre élévation d’esprit? Son importance ne dépendrait-elle pas avant tout de notre ressentir? Paradoxalement, le nom que l’on attribue à ce livre découle de Biblos, la ville phénicienne où l’écriture fut inventée ou perfectionnée, c’est selon notre approche intellectuelle. Le nom donné à la Bible est dérivé du grec Ta Bibla qui signifie «les livres». La Bible est un recueil de textes écrits. À l’origine de la Bible est une bibliothèque. Pour mémoire nous avons réuni dans le même ouvrage les livres des prophètes, les livres poétique et sapientiaux, les livres historiques et le Pentateuque, ainsi que les quatre évangiles, les épîtres et l’Apocalypse.. On distingue par conséquent l’Ancien et le Nouveau Testament. Chaque livre a son propre message et s’inscrit dans une époque précise de l’Histoire. C’est le contenu de la mémoire écrite, le symbole de la transmission du savoir et des enseignements.

Outre les histoires édifiantes, la Bible contient la Loi de référence du monothéisme, celle de Moïse. Combien de lecteurs peuvent se targuer d’avoir lu entièrement la Bible? Source livresque inépuisable, elle sert de départ et d’arrivée à bien des questions référentielles. Pourquoi donner le nom de sacré, donc avec la connotation religieuse au livre de base des religions monothéistes, si ce n’est une façon de placer le Grand Architecte de l’Univers comme notre reconnaissance en Dieu? Selon les traditions juive et chrétienne, Dieu a donné son enseignement aux hommes. Alors histoire de le transmettre, ceux-ci l’ont écrit sur les supports qu’ils pouvaient conserver, dans la langue et l’écriture de leur temps. Le mérite de ces premiers scribes fut certainement de codifier le surnaturel et le sacré en faisant acte de mémoire, rappelant des épopées du début de l’humanité. Ainsi que l’histoire des faits divers d’une nation, voire de plusieurs peuples.

Il faut reconnaître que la rédaction de la Bible s’étale sur un millénaire. Selon les historiens spécialisés dans ce domaine, les plus vieux écrits, soit les livres des prophètes, sont rédigés entre le VIIIe et le 1er siècle avant JC. Mais ils nous apprennent que la réécriture d’autres textes transpose des écrits composés vers l’an 1000 avant notre ère.

Certains écrits plus anciens ont inspiré les cinq premiers livres de l’Ancien Testament, soit le Pentateuque qui fixe sur le papier les légendes et les histoires des ancêtres d’Israël. On peut parler du papier, du papyrus ou du vélin suivant l’état de l’ouvrage et la période où il fut rédigé. La plume et l’encre pour la calligraphie, l’esprit et la connaissance pour le texte, le scribe de l’antique Alexandrie va passer le témoin, plutôt le texte, aux moines de Cluny. Les manuscrits furent recopiés et traduits, et même modifiés jusqu’à l’invention de l’imprimerie.

L’écriture de la Bible va jouer un rôle décisif, car elle commence vraiment en 538 avant JC sous le règne de Cyrus, roi des Perses. La communauté juive, exilée, se doit de préserver son identité et de restaurer la nation sainte. Une certaine cohérence va être mise en place dans la manière de relater des faits de légende.

Un événement culturel sans précédent se produisit à Alexandrie au IIIe siècle avant JC avec la traduction en grec de la Torah. Cette adaptation d’un patrimoine littéraire oriental allait permettre un véritable bain de jouvence à des livres devenant de vocation occidentale par l’écriture et la langue. D’un moyen d’identification juif, la Bible fut de ce fait un facteur de reconnaissance et un monument littéraire et culturel, une sorte d’instrument de promotion du peuple juif. Pendant les siècles qui suivirent, la langue grecque servit pour la traduction de ces livres, langue des lettres, des affaires commerciales et juridiques. Cette traduction allait être reprise par les auteurs chrétiens, jusqu’au milieu du IIe siècle après JC ils considérèrent la Bible comme des écrits dotés d’une autorité particulière, voire divine.

C’est à ce moment de l’histoire que les écrits contenus dans la Bible allaient prendre l’expression de l’Ancien Testament, histoires de référence et de Nouveau Testament, sélection d’oeuvres d’origine directement chrétienne. Car il fallut unifier les nombreux textes afin d’éviter les hérésies. La Bible contenait d’une part la Loi de Moïse et d’autre part les enseignements expurgés de Jésus Christ.

On peut relever que la considération chrétienne dénote une hiérarchie dans la manière de rassembler les écrits. En effet, la dénomination «ancien» montre un rejet des écrits tout en acceptant leur existence. L’emploi de l’hébreu pour le texte puis sa traduction en grec était difficilement admis dans le monde latin. À la fin du IVe siècle Jérôme se fit le champion de la «ventôse» hébraïque et établit une version latine de textes vétérotestamentaires. C’est l’origine de la fameuse Vulgate qui sera la Bible dans toute l’Eglise romaine jusqu’au milieu du XXe siècle.

À l’époque de saint Augustin la Bible était vraiment née. Durant la période des copistes du moyen âge sa traduction, ses adaptations et autres corrections vont faire évoluer les textes. Cela de manière à donner à l’Eglise une force et un pouvoir dans son enseignement. Encore fallut-il savoir lire et déchiffrer l’écriture des moines-copistes. L’enseignement de toute la religion chrétienne se base sur l’Ancien et le Nouveau Testament. Pour qui ne sait pas lire, mais a la faculté de voir, les chapiteaux des cathédrales et autres églises ne sont que des livres de pierre historiés comportant les diverses vicissitudes racontées dans la Bible. Alors l’invention de l’imprimerie permettra à Gutenberg de vulgariser ces livres en 1455. La Bible connut un essor éditorial sans précédent. L’imprimerie aura de multiples effets. Elle exigea la rigueur dans l’établissement du texte. Erasme, notamment, joua un rôle primordial dans la recherche et la quête des meilleurs manuscrits hébreux, grecs et latins, ouvrant ainsi la voie à la critique textuelle, avec les effets historiques que l’on connaît. Enfin, chose non dépourvue de grande importance, l’imprimerie rendit possible des traductions en langues courantes. L’Eglise du pape n’avait plus le monopole du savoir et de l’enseignement.

Peut-on argumenter que l’imprimerie désacralisa l’Ecriture? Cette question n’est pas si innocente à première vue, car le fait de sortir de l’atelier du copiste permit la diffusion et la prise en charge par divers traducteurs. Cette désacralisation ne peut se comprendre que par un débat théologique entre ceux qui avaient le pouvoir. L’imprimerie donna certainement un nouveau souffle aux livres contenus dans la Bible. Et d’une certaine manière, car permettant la critique dans l’analyse et les explications ainsi que les recherches, la Bible devint le livre de référence des littéraires et des théologiens du monde moderne.

La Bible en maçonnerie

Alors les premiers francs-maçons se sont inspirés de la Bible pour nous donner le support de nos références. Appelée soit le Volume de la Sainte Loi soit le Volume de la Foi Sacrée dans nos rituels, ouverte pendant la cérémonie, la Bible est considérée comme l’une des trois Grandes Lumières. Selon nos pratiques, à l’ouverture des travaux le compas et l’équerre sont placés sur elle. Dans d’autres rituels on trouve également l’épée disposée sur ce livre que nous considérons comme sacré. Pour nous, en loges dites bleues, l’Ancien Testament s’ouvre aux livres des Rois et aux livres des Chroniques en ce qui concerne le Temple de Salomon. L’histoire d’une construction donne les fondements de nos recherches ésotériques et symboliques. Nos légendes ou histoires font référence aux pérégrinations des héros mentionnés dans les livres de la Bible. Deux rois: Salomon et Hiram, un architecte: Hiram-Abi sont à l’origine de la construction d’un temple mythique. Sa description est issue des textes bibliques. Et nos rajouts sont puisés dans les récits véhiculés par d’autres confréries qui nous précédèrent. Rien de surnaturel ne vint modifier l’histoire biblique, et rien de merveilleux n’est venu altérer la communication d’une approche symbolique. Si les rajouts que nous évoquons sont parfois mystérieux de prime abord, lors de nos recherches nous trouvons toujours une explication biblique pour nous guider. Enfin, pour être complet, le Nouveau Testament sert aussi d’approche pour comprendre certaines cérémonies par la lecture des chapitres aux évangiles traitant de la vie de saint Jean le Baptiste et les enseignements ésotériques de saint Jean l’Evangéliste.

L’acte d’importance dans le début des travaux est celui où le volume de la Loi sacrée est ouvert aux premiers versets de l’évangile de saint Jean. Evangile de l’Amour et de la Connaissance, il a une influence que l’on nomme johannique et nous propose une philosophie transcendantale. La francmaçonnerie est dépositaire de ce prestigieux héritage. Loin de tout dogmatisme, cet écrit commence par l’apparition de la Lumière. Celle aussi qui illumine symboliquement nos travaux.

La Bible sert d’axe dans la loge. Placée sur l’autel des serments, ouverte au début de l’évangile de Jean, elle devient le témoin de la mémoire et de la révélation. Moment intense lors de son ouverture, le livre sacré, lumière de la loge, préfigure l’arbre de vie. Nous prêtons serment sur les trois grandes lumières. La Bible devient notre guide livresque. Lors de l’initiation d’un profane il est rappelé par le Vénérable Maître que le serment sera prêté sur les trois grandes lumières de la franc-maçonnerie et que dans cette respectable loge le Volume de la Loi Sacrée est la Bible. Si cela était un inconvénient pour le futur initié, certaines loges admettent de remplacer la Bible par la Thora ou le Coran, autres livres sacrés du monothéisme.

A chacun de savoir

Sous réserve des situations amusantes expliquées aux apprentis friands de telles anecdotes, nous apprenons ces phrases de tuilage: «D’où venezvous? ». «D’une loge de Saint-Jean». En tendant la main dégantée sur les trois lumières, l’initié n’a pas fait un serment qui se perd dans le vent. Le compas et l’équerre sont posés sur le Volume de la Loi Sacrée ouvert au début de l’évangile de Jean. Cette mémoire des siècles fut écrite par les scribes des civilisations qui précédèrent la nôtre, afin que la connaissance soit transcrite pour l’élévation de notre esprit. En étudiant les passages qui nous concernent nous devenons dépositaires d’un message. L’importance de la Bible en maçonnerie n’est pas que livresque, elle est ésotérique, historique et certainement hermétique. À chacun de savoir, dans sa propre démarche, où est la place de l’enseignement de ce livre d’importance.