Aux sources de la franc-maçonnerie

Un parcours long, sinueux et chargé de sens

La maçonnerie est à vocation initiatique. Profondément religieuse dans le sens de la spiritualité, elle suit le courant de la source «ésotérique», à la recherche de la vérité.

R. E. L., Flumen Fraternitatis – Genève (Revue maçonnique suisse: mars 2005)

Nos origines sont multiples et remontent certainement à l’Antiquité. Et si l’on prend le temps de se pencher sur le berceau de la fo n d ation de notre ordre, ces diverses origines vont nous amener dans la modernité du XXIe siècle. Avant de coucher sur le papier les constat ations suivantes, force est d’admettre que la complexité et la diffusion tous azimuts des influences recensées demande de faire une sorte de tri, cela pour éviter de se perdre dans les dédales du temps, de l’histoire et des my t h e s . Le labyrinthe de la connaissance étant par essence même une recherche maçonnique, ce travail fut un parcours livresque qui reste une vision sur le thème ab o rdé. Le but de cette contribution n’est certainement pas d’établir la tab l e des matières des nombreuses influences qui ont imprégné la franc-maçonnerie. En partant du constat que le lecteur assidu de notre revue connaît l’histoire de l’Ordre, nous pouvons effectuer un survol de ses débuts. Issu de la maçonnerie dite opérat i v e , son nom n’apporte pas de commentaire dans le sens étymologique.

Les tailleurs de pierre

Le terme «maçonnerie» nous renvoie aux constructeurs. Ceux qui élevèrent les temples sacrés, qui défièrent les éléments pour ériger des constructions dans le pay s age des cités, et cela depuis l’Antiquité. Le maçon est celui qui débute le chantier, celui qui trace au cordon les bases d’une chimère sur papier pour qu’une fois matérialisée elle s’élève vers les nuages. Le maçon antique est l’architecte dans la vision historique de cette ap p e l l ation. Il travaille la pierre, il la taille et la sculpte. C’est pour certains le premier corps de métier, assimilé aux tailleurs de pierre. Ils utilisent la géométrie pour concevoir leur oeuvre. Laissons, si vous le voulez bien, de côté la notion de charpentier liée à l’utilisation du bois, car nous y reviendrons.

Maçons libres, de par leurs conditions en rapport aux puissants de leur époque, ces hommes se donnaient une règle de conduite pour interv enir dans la société humaine. Les premiers maçons sont-ils issus de l ’ E gypte d’Euclide? La légende le laisserait entendre. La recherche n’est plus seulement géographique et historique, elle devient autre. Une triple dies irae peut résumer la mise en place des messag e s , et cela ramène la légende à l’espace visuel et construit. Partons alors dans le sens inverse de la course du temps, pour remonter de l’océan par les torrents et rivières de légendes afin d’arriver à ces petites sources. Ces minces filets d’eau pure légués par la mémoire des premières tribus de l’humanité. Ces histoires nous sont parvenues grâce à des écrits couchés sur le parchemin ou gr avés dans l’argile. Il a fallu traduire, décrypter, puis transmettre. Ces légendes sont devenues une source, ensuite plusieurs ruisseaux dans la pensée humaine. L’origine de divers mouvements étant la même, c’est la portée du message qui peut être compris d’une manière différente selon l’époque et le lieu. Dès lors, ce que l’on pourrait prendre pour des chapitres différents de la table des mat i è r e s du grand livre des initiés renvoie à la sempiternelle question: quel fut le départ historique effectif des premières loges?

La notion de loge

D’où la source mythique originelle – le départ de la franc-maçonnerie est à chercher auprès des premiers architectes – que l’histoire écrite a bien voulu nous indiquer. Ils travaillaient sur les chantiers et mettaient en place un lieu de réunion et de stockage desmat é r i a u x , dès le début de leur intervention. C’est la Bauhutte des constructions du haut moyen âge. La loge des opérat i f s , petite cabane protégeant ces créateurs des éléments du temps et de la météo, ainsi que de la poussière, devint donc par souvenir l’ap p e l l ation de base de nos groupes et de notre lieu de réunion.

Les compagnons constructeurs se regroupent selon leurs métiers sous les bons auspices des religieux. Ils sont germains, saxons et nordiques. Avec naturellement des ouvriers très qualifiés qui remontent de l’Orient, via les ports et comptoirs créés par les Phéniciens dans l’Antiquité. Villes qui sont devenues les plaques tournantes de cette nouvelle civilisation. En contact avec les druides devenus moines par logique d’intégr ation face à la chrétienté, qui modèle la recherche spirituelle, les constructeurs des premières églises vont se mettre sous la protection d’une filiation biblique. C’est la trouvaille fabuleuse! Des religieux vont découvrir dans leur lecture un passage pour rendre chrétiens des païens qui véhiculent un sav o i r-faire venu du fond des âges.

La maçonnerie opérative issue de ce mélange de traditions va chercher son histoire dans la construction mythique du Temple de Jérusalem. La force du message est que Salomon reste un my t h e , car ce roi n’est pas un juif très religieux d’après les canons prescrits en conformité avec la Bible. Ayant eu plusieurs épouses de religions diverses, il devient notre père pour chacun selon notre naissance géographique et notre appartenance à une tribu du nord comme de l’orient. L’histoire des Compagnons du Devoir est riche en anecdotes à ce sujet. Si de prime abord elle semble être un récit assez difficile à admettre selon le déroulement de l’histoire se rapportant à Salomon et aux faits se déroulant en Europe. On peut émettre un jugement de circonstance en se reportant au retour du peuple d’Israël de Babylone. L’histoire peut être démontrée si l’on se réfère à la construction du «second» temple sous l’égide de Zorobab e l . En tant que descendants de ces génies nous avons créé la maçonnerie spéculative.

Notre première source part de la date charnière de 1717, soit la fo ndation de la première Grande Loge. Depuis un temps indéterminé existaient des loges de maçons de métier. Au XVIe siècle, l’usage d’admettre dans ces loges des membres qui n’étaient pas maçons allait trouver une formidable force en créant notre maçonnerie dite spéculative. Afin de répondre aux besoins et aux aspirations d’un XIXe siècle ap r è s les directives intellectuelles du siècle précédent, et puiser sa vitalité dans le mouvement dit humaniste. Cela amène à parler de l’influence des Old Charges et, de ce fait, des nombreux emprunts aux mythes et légendes des Compagnons du Devoir. Et des apports de l’alchimie, pour arriver aux références des ordres religieux du moyen âge, aux légendes celtes et nordiques en passant par diverses hérésies au début de la chrétienté. Pour cela, les méandres historiques nous entraînent avec les chevaliers du Temple, pendant les croisades. Le chercheur va poser ses pieds sur l’esplanade du Temple de Jérusalem, en compagnie de ces preux chevaliers, moines et soldat s . Ce que nous sommes aujourd’hui: un peu constructeur, un peu moine, un peu soldat , chacun à sa mesure et suivant sa conception de son intégration dans la société moderne.

La source mythique

Nous sommes au départ de la vraie source, celle mythique avec les récits bibliques se rapportant à la construction du temple, base invar i able de toute la franc-maçonnerie. Passons sur les diverses histoires transmises par les livres des Rois et des Chroniques pour ne retenir que cette évidence qui nous intéresse aujourd’hui. Deux rois et un architecte organisent la construction du temple sacré. Salomon roi d’Israël et Hiram roi de Tyr. L’architecte est Hiram-Abi. On savait que sa mère était de la tribu de Dan, et que son père était de Phénicie. Il est à la fois une énigme et le trait d’union entre deux rois. Selon les r e c o m m a n d ations d’Hiram roi de Ty r, il construit le temple sur une vision de Salomon. Mais certainement après avoir eu une belle carrière d’architecte-sculpteur- alchimiste. Dans la légende, l’architecte qui façonne les métaux, principalement l’or et le bronze, va être le centre d’un drame. Dans nos rituels nous devons cet aspect aux Old Charges. Car le choix de l’architecte mythique, digne descendant de Tubalcaïn, est primordial. Dans la Bible, il disparaît de la narration. Le constructeur est-il rentré chez lui à Tyr? Il est oublié dès que son travail est accompli.

Dans un ouvrage de référence Jules Boucher cherche aussi une explication aux différents Hiram donnés dans la Bible. C’est un exercice assez périlleux, car il faut rester logique et ne pas confondre les personnages, qui sont nombreux. De plus, la traduction produit également des confusions. Vuillaume dans son Tuileur de 1820 nous dit qu’il faudrait écrire «Adonhiram». Hiram-Abi signifie le seigneur Hiram, autre manière de marquer sa déférence. Au sujet d’Adonhiram, il serait le fils d’Abda. C’est un haut fonctionnaire qui va servir trois rois d’Israël au Xe s. avant notre ère. Secondant le roi David pendant son règne, il dirige sous le roi Salomon la coupe des bois de cèdre et de cyprès en Phénicie, pour les besoins de la construction du temple. (1 RS 4/6, 5/ 13- 14).

Dans diverses cérémonies et rituels maçonniques le V é n é r able maître est associé à Adonhiram, chargé de conduire les travaux. Et ce qui devient digne d’intérêt c’est l’élément bois qui prend une certaine importance. Liée à la construction des navires et à l’arche de Noé, la loge primitive est une petite hutte de bois comme décrite plus haut. Hiram signifiant père, nous avons donc la trilogie suivante: Adon-hiram assis sur le trône du roi Salomon, qui représente la sag e s s e , soit la compréhension et la conduite des trav a u x . Il est aussi associé à l’élément feu. Hiram roi de Tyr possède la force de la royauté, c’est l’élément air. Et Hiram-Abi détenteur des connaissances de la beauté correspond à l’élément air. Par lui commence la renaissance à la vie d’initié. Le quat r i ème élément, la terre, se rapporte au couvreur de l’atelier et, par synthèse, aux frères qui ornent les colonnes. A quelles divinités celtiques et nordiques cet analogie biblique fait-elle référence? Lug, la divinité au marteau? C’est très probable. Quelles runes magiques décrivent cette tradition? La loge est donc dirigée par trois Hiram, soit trois pères.

Les derniers morceaux d’une vision ésotérique

Nous sommes bien dans la recherche voulue, mythique et certainement ésotérique avec une volonté historique. Dans nos rituels trois dirigent la loge. Le V é n é r able maître associé à Salomon; le premier surveillant, à Hiram roi de Tyr, en Phénicie; et le deuxième surveillant, à Hiram-Abi l’architecte. Pour être complet notons dans l’ordre: sagesse, force, beauté, ainsi que les trois dimensions créant le volume. Cependant, il ne nous vient pas l’idée de mettre en rapport Hiram-Abi et le deuxième surveillant lors de nos trav a u x . C’était le maître de tous les ouvriers. Et celui qui doit les surveiller reste le premier surveillant qui leur remet leur salaire à la fin des travaux. Et pourtant la démonstration est faite. Ainsi, en remontant aux sources de la franc-maçonnerie nous pouvons découvrir certains aspects de nos rituels, riches en complexités ésotériques et en références bibliques. Nous devons à quelques druides devenus moines et abbés du haut moyen âge, la mise en place ésotérique de la Bauhutte des compagnons germains et wisigoths qui iront vers l’an mille rechercher sur les ruines du Temple de Jérusalem les derniers morceaux d’une vision ésotérique.