N’être Rien…
Le 10 novembre prochain, la Loge Les Frères Inconnus N° 62 à l’Orient de Lausanne fêtera ses 50 ans. Admis il y a 24 ans au sein de la Grande Loge Suisse Alpina, cet Atelier reste actuellement le seul à pratiquer un Rite Egyptien. Le texte ci-dessous permet de découvrir les fondements du Rite de Memphis- Misraïm, de connaître les illustres personnages ayant contribué à sa transmission, et la place qu’occupe la tradition égyptienne au sein du Rite, qui revendique de conduire au bonheur tous ses pratiquants.
Loge Les Frères Inconnus, Lausanne
L’approche du Vénérable :
N’être rien, sans le penser et sans le dire, tel pourrait être le chemin que le Rite de Memphis Misraïm préconise de suivre. Conception relativement difficile à expliquer et encore plus à enseigner, puisque le concret illusoire du “Je” est censé disparaître au profit du rien.
Mais comment être rien et savoir quand nous le sommes, puisque le simple fait de s’interroger à son sujet, ou de le constater, conduit automatiquement à être, illusoirement s’entend, quelque chose qui n’est pas rien ? Cruel dilemme. C’est là où le Rituel proposé révèle toute sa subtilité, puisqu’il s’offre complètement à chacun, sans aucune restriction sous différentes couches de lectures distinctes et superposées. Son influence ne peut être que progressive, car chaque épisode n’apparaît qu’à celui étant capable d’y accéder. Ne comprenons pas “capable” dans le sens de compétences intellectuelles, d’intelligence ou de culture, mais au contraire, plutôt dans le sens de celui qui exprime sa volonté d’entreprendre le dépouillement nécessaire, ou l’abandon requis de ses conditionnements, pour qu’à ses yeux, enfin dessillés, se révèle l’existant qui, de tous temps, était déjà là devant lui disponible. Ce Rite pourrait être qualifié d’injuste et de partisan. Il l’est sans aucun doute, car s’il donne d’emblée son intégralité, seuls ceux qui seront dignes d’en saisir l’essence omniprésente pourront en tirer profit. N’est-il pas, à lui tout seul, le modèle d’une véritable démocratie de la connaissance ? Tout mettre à disposition, afin que chacun ne puisse saisir que ce qu’il est capable de saisir sans aucune distinction ? Libre à lui, ensuite, d’augmenter sa déconstruction personnelle par un travail acharné, le mot n’est pas exagéré, qui l’extraira de son pseudo confort égocentré pour le jeter goulûment dans le vide vivifiant de l’Absolu.
Le Rituel de Memphis Misraïm ne plaisante pas ni ne demande rien. Nous le sollicitons en déclarant, souvent sans prendre le temps d’y réfléchir, que nous sommes libres et de bonnes moeurs. Menteurs que nous sommes. Mensonge que nous allons regretter, lorsque sa puissance cachée va s’exprimer pour satisfaire notre demande de liberté. Que l’on ne se méprenne pas, ce Rituel va broyer tous ses pratiquants, soit en les enfonçant encore plus dans leurs déviances égocentrées, soit en les élevant au plus haut niveau qu’un homme libre puisse atteindre. Ce Rituel est honnête, certainement plus que ceux qui prétendent le pratiquer, puisqu’il répond toujours à celui le sollicitant. Mais ce dernier manifeste-t-il la même honnêteté ?
Mais comment peut-on être rien ? En étant “vide” dira le taoïste, qui a compris ce principe depuis longtemps, bien avant les bouddhistes, les judaïques, les chrétiens et les musulmans. Car, dès que le vide aura détruit toutes nos limites, nous serons dès lors pleins de cette Vie, qui a été, est et sera toujours la seule réponse possible à toutes nos interrogations.
Le Rite de Memphis Misraïm en luimême
Voici comment Christian Rosenkreutz ou Christian Rose-Croix, né en 1378, fondateur mythique de la Rose-Croix auquel le Rite de Memphis-Misraïm fait référence, explique comment devenir ce “rien”. «La puissance de l’homme est plus grande qu’on ne saurait l’imaginer. Il peut tout par Dieu, rien sans Lui, excepté le mal. Souvenez-vous, enfants de la Science, que la connaissance de notre magistère vient plutôt de l’inspiration du Ciel que “des lumières que nous pouvons conquérir par nous-mêmes”. Cette vérité est reconnue de tous les philosophes : c’est pourquoi ce n’est pas assez de travailler; priez assidûment, lisez les bons livres ; et méditez nuit et jour sur les opérations de la Nature et sur ce qu’elle peut être capable de faire, lorsqu’elle est aidée par le secours de notre Art et par ce moyen vous réussirez sans doute dans votre entreprise».Louis Claude de Saint Martin né en 1743, un des inspirateurs recensés du Rite de Memphis- Misraïm, présente ce “rien” en utilisant le vocabulaire christique de bon aloi de l’époque, qui permet malgré tout, à ceux qui savent aller au delà des apparences, de découvrir une Vérité. «L’oeuvre de Prière, nous dit-il, est une voie d’anéantissement, car elle est, en son étonnante perspective, un chemin au bout duquel Dieu vient prier lui-même en nous, nous faisant passer de l’assujettissement face à la mort aux promesses de la résurrection». «Accepter de faire de soi-même un “véritable rien”, selon son expression, c’est permettre l’éclosion divine, c’est assister en soi à la transformation des éléments mortels en une substance d’immortalité. Voilà le véritable abandon, voilà cet état où notre être est continuellement et secrètement amené de la mort à la vie, des Ténèbres à la Lumière et, si on ose dire, du Néant à l’Etre.» Un passage qui nous remplit d’admiration, non seulement par sa douceur, mais bien plus encore, car cette oeuvre reste dans la main divine qui l’opère.
Joachim Martinès de Pasqually né en 1727, fondateur de l’Ordre des Chevaliers Maçons Coëns de l’Univers. Il a été l’inspirateur de Louis- Claude de Saint-Martin et de Jean-Baptiste Willermoz (1730). Créateur du RER et du courant ésotérique appelé Martinisme. L‘action de Martinès de Pasqually vise en particulier la réintégration de l’homme spirituel dans son essence originelle. En bref, les Élus Coëns sont des hommes conscients de la place originelle de l’homme et de sa destinée initiale. Ils sont également conscients de son évolution à la suite de la faute métaphorique d’Adam et Eve. Ils ont donc pour rôle de rétablir l’homme dans ses vertus premières, à savoir le réconcilier avec son Créateur et par là, progressivement, réintégrer l’Univers de l’immensité divine, seule réalité envisageable.
Giuseppe Balsamo, dit Alessandro, comte de Cagliostro né à Palerme en 1743 a été le premier à introduire la maçonnerie égyptienne en France, à Lyon plus précisément. «Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu explique-t-il, en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son éternelle existence […]. Participant consciemment à l’Être absolu, je règle mon action selon le milieu qui m’entoure. […] Datez-vous d’hier, si vous le voulez, en vous rehaussant d’années vécues par des ancêtres qui vous furent étrangers ; ou de demain, par l’orgueil illusoire d’une grandeur qui ne sera peut-être jamais la vôtre ; moi, je suis Celui qui Est. […] Si vous étiez des enfants de Dieu, si votre âme n’était pas si vaine et si curieuse, vous auriez déjà compris ! Mais il vous faut des détails, des signes et des paraboles. Or, écoutez ! Remontons bien loin dans le passé, puisque vous le voulez. Toute lumière vient de l’Orient ; toute initiation, de l’Égypte ; j’ai eu trois ans comme vous, puis sept ans, puis l’âge d’homme, et, à partir de cet âge, je n’ai plus compté».
Qu’est-ce donc que cette Lumière Egyptienne, dont le Rite de Memphis-Misraïm revendique la diffusion ? Il faut remonter jusqu’à Hermès Trismégiste pour connaître l’origine de cette appellation particulière. Dans son Discours d’Initiation ou Asclépios, Chapitre IX. Voici ce qu’il nous dit : « Ignores-tu, ô Asclépios, que l’Égypte est l’image du ciel, ou plutôt, qu’elle est la projection ici-bas de toute l’ordonnance des choses célestes ? S’il faut dire la vérité, notre Terre (l’Egypte) est le Temple du Monde».
Dans Le Décalogue, une autre métaphore fait également référence à l’Égypte, correspondant dans cet ouvrage à la “sortie” du monde des illusions, à la fin de l’ignorance et du conditionnement mental. Son Premier Commandement relate cette libération de façon relativement explicite : « Je suis le Tout Éternel, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude. »
L’Égypte ne doit ainsi pas être comprise comme le pays géographique. Cette hypothèse se trouve confirmée par la réalité des faits, puisqu’à moins 1440 avant J.-C., date à laquelle les spécialistes situent “l’Exode” (la sortie d’Égypte des Hébreux conduits par Moïse), les frontières égyptiennes étaient étroitement contrôlées et l’administration égyptienne, qui notait absolument tout, n’a jamais enregistré la fuite de plus d’un million de personnes. De plus, ces 600 000 familles, soit les 2/3 de la population de l’Égypte de l’époque, qui auraient effectué un interminable périple dans le Sinaï pendant quarante ans, n’ont laissé aucune trace. Pas le moindre tesson de poterie, pas la moindre sépulture n’ont été retrouvés. Tous les coins et recoins ont été fouillés. L’archéologie a prouvé qu’en réalité, le récit de l’Exode a été écrit vers moins 630 avant Jésus-Christ, et a été complètement inventé.
Invention confirmée par Yaïr Zakovitch, (Professeur d’Etudes bibliques, Département d’Études bibliques de l’Université hébraïque de Jérusalem) qui écrit : «Même la sortie d’Égypte, sous la conduite de Moïse, ne doit plus être envisagée sous l’angle historique, mais comme une fiction littéraire constitutive d’une idéologie politique et religieuse». En fait, cette Égypte ne serait qu’une métaphore de plus employée pour représenter le mental humain, la maison de servitude, dans lequel sont enfermés les esprits encore illusionnés. Louis Segond dans son Apocalypse de Jean défini l’Égypte comme : «l’endroit de l’esclavage spirituel. [Elle] Symbolise l’état de péché, l’opposition (au Tout)».
C’est la prise de conscience de l’Unité qui va permettre à chacun de s’extraire de cette condition de “serviteur” soumis à ses aspects inférieurs, issus du monde des illusions. De sortir de cette Égypte métaphorique, de libérer le prisonnier que nous sommes… de nous-mêmes, voire d’affranchir l’esclave que nous sommes de nos propres pulsions personnelles égocentrées, séparatrices et ceci, en prenant conscience de notre Véritable Nature, la Seule et Unique Nature envisageable, celle du Tout, la fameuse Terre Promise.
Si l’Égypte symbolise cet état d’être du “péché”, la Terre Promise serait alors la métaphore inverse utilisée pour désigner un état d’être sans aucune illusion, c’està- dire vide, plein de rien, Tout. Comme la plupart des Rituels maçonniques, seule l’enveloppe qu’il constitue peut être décrite et communiquée. Son contenu ne pouvant, quant à lui, n’être que vécu.
Mes Frères, nous vous attendons nombreux pour cette célébration le samedi 10 novembre prochain. Reportez-vous au programme des Travaux de la revue Alpina pour les autres détails.