Mourir au paraître pour naître à l’être
Au grade d’Apprenti, la mort initiatique se réalise par le recueillement introspectif du récipiendaire dans le cabinet de réflexion. Le vécu, le ressenti dans cet espace philosophique constitue l’étape clé du processus initiatique, car elle désigne de manière symbolique la mort de l’être profane, du vieil homme, et sa résurrection en tant qu’initié, homme libre, régénéré, clairvoyant et engagé sur la voie de sa réalisation.
L’essentiel de la mort initiatique du récipiendaire se réalise véritablement lors de son isolement dans le cabinet de réflexion, où se trouve justement un crâne qui évoque la mort, et plus précisément la vanité de l’être profane passé à côté de son existence, car n’ayant pas cessé de se mentir à lui-même. Au-dessus de ce même crâne est inscrite en grosses lettres la devise alchimique V.I.T.R.I.O.L. – « Visite l’intérieur de la Terre et, en rectifiant, tu trouveras la Pierre cachée » – qui invite le récipiendaire, c’est-à-dire le profane qui est le tyran réduisant l’être en esclavage, à descendre à l’intérieur de lui-même, au plus profond de son soi, dans ses propres enfers au-dessous du niveau de la terre, autrement dit de son subconscient. La référence à cet acide décapant esquisse d’ailleurs l’obligation de le « purger », démarche préalable au processus de purification initiatique au premier grade. Toutes les traditions enseignent qu’il faut d’abord se rendre au fond de l’enfer et de la nuit, des chaos et des ténèbres, pour accéder à un autre niveau de conscience et de lumière, pour accéder à l’amour.
Dans le cabinet de réflexion, le récipiendaire est invité à rédiger son testament philosophique avant de mourir pour renaître. Cet exercice d’écriture, mais surtout d’introspection, lui offre la possibilité de faire le point sur sa vie « erronée », celle qui le tenait prisonnier de ses illusions, des apparences, de l’égoïsme. Tout en rédigeant son document de haute portée dans le cabinet de réflexion – que d’aucuns comparent aussi «au ventre de la terre régénératrice, aux premières retrouvailles alchimiques entre le féminin et la masculin» comme le précise l’auteur maçonnique Jacques Trescases -, le récipiendaire a tout le loisir d’observer et de s’interroger sur les nombreux symboles qui y figurent, outre l’inscription de la célèbre devise alchimique. Tous, du coq ( l’espérance ) au sablier ( l’écoulement du temps, l’analogie entre le haut et le bas ) en passant par le miroir ( l’image de notre coeur, de notre âme, de notre moi véritable ), concourent à l’« amener librement dans le dedans pour pouvoir revenir plus fort et plus sûr de soi dans le dehors », évoque feu la Soeur Claude Darche.
Le cabinet de réflexion, l’étape de la terre qui symbolise la mort charnelle, affective et intellectuelle, est en fait le lieu de la transmutation du récipiendaire, où l’alchimie spirituelle fait son oeuvre en commençant lentement à imprégner son mental. Car la lumière naît des ténèbres, du travail accompli à son rythme par l’être intérieur qui, peu à peu, trouvera son propre soleil, son propre joyau. Son passage, qui place le récipiendaire sur le chemin de son propre être, détermine l’évolution de son processus initiatique puisqu’il est censé vivre la réalisation de son être comme le fondement de l’initiation. Telle est la finalité de la mort initiatique au grade d’Apprenti: mourir au paraître pour naître à l’être. D. P.