L’écriture: un vecteur de compréhension humaine
Les Frères de la Loge Evolutia à l’Orient de Clarens/Montreux ont « planché » sur le thème de l’écriture. Ils ont notamment relevé sa puissance exceptionnelle et illimitée dans la communication au sens large, depuis les tablettes d’argile jusqu’à nos tablettes tactiles. L’écriture, selon eux, constitue un outil incontournable pour se construire intellectuellement et spirituellement, un vecteur d’émotions, d’éducation et de meilleure compréhension entre les humains. Comme Francs-maçons, ils ont décidé de s’engager contre l’illettrisme.
Synthèse réalisée par le F∴ E. I., Loge Evolutia à l’O∴ de Clarens/Montreux
En préambule à leur Planche figure la célèbre expression de l’empereur Titus prononcée devant le Sénat romain : « Les paroles s’envolent, les écrits restent » (verba volant, scripta manent) ; elle avertit que les paroles peuvent rapidement être oubliées ou démenties, alors que les écrits demeurent.
Après avoir rappelé les origines historiques de l’écriture jusqu’à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, en 1455, qui a permis la diffusion d’un volume impressionnant de connaissances, et l’édition des premières encyclopédies, les Frères d’Evolutia ont examiné l’impact de l’écriture sur le développement de l’humanité. A commencer par la science qui recourut à la culture de l’écrit dès le XVe siècle : il devenait possible de matérialiser la pensée et le savoir d’une époque pour ensuite les comparer avec les nouvelles inventions, techniques et connaissances. Un puissant accélérateur du développement technique, scientifique et spirituel prit ainsi forme, lequel s’amplifie de nos jours avec les technologies numériques. Aujourd’hui, nous avons la chance et le bonheur de pouvoir apprendre sur tous les sujets pour approfondir nos connaissances. Cet avantage n’a pas de prix. Pouvoir se construire intellectuellement et spirituellement grâce à l’écrit représente un immense atout pour l’humanité.
En se penchant sur la puissance de l’écriture, les Frères d’Evolutia ont recensé dans le monde plus de 7’000 langues parlées par plus de 7,6 milliards d’humains, et environ 670 langues écrites par près de 5,4 milliards d’humain. Il existe autant de langues que de cultures ou de civilisations. Une telle richesse d’expressions verbales exigea de codifier la parole avec des signes, des idéogrammes, des hiéroglyphes, du braille, etc., mais l’alphabet resta le système d’écriture basique. De même, il existe autant de formes d’écritures que de civilisations. C’est même un critère d’élitisme: qui sait écrire détient le pouvoir, celui des mots. Les mots ont plus fait pour les révolutions que les guerres…
Une éternelle bibliothèque universelle
L’écriture avec ses mots et ses dessins est un moyen de communication puissant, qui forme le fondement des civilisations pluriculturelles dans l’espace et dans le temps. On ne communique pas de la même façon en français, en chinois ou en arabe, de bas en haut, de gauche à droite. Tout est possible, en fonction de chaque culture. Mais tous ces moyens ont en commun des règles strictes et précises. Certains ont un nombre de mots plus important que d’autres. Tout dépend de la culture issue de la créativité et de l’esthétique. Grâce au partage du savoir et à la transmission des connaissances, l’écriture est un pont entre les hommes, un outil indispensable qui permet de rassembler les humains de toutes les croyances du monde entier. Elle constitue aussi la plus fantastique machine à voyager dans le temps, puisqu’elle offre la possibilité de découvrir, de partager et d’apprécier les pensées les plus profondes des plus grands esprits des temps anciens. Oui, l’écriture est la banque de tous les savoirs qui s’enrichissent continuellement à travers le temps, mais également à travers l’espace.
Les écrits sont comme autant de pierres qui servent à construire le temple du savoir. Ce temple prend la forme d’une éternelle bibliothèque universelle créée par des esprits de lumière tels que Platon, Aristote, Descartes, Pascal, Leibniz, Spinoza, Kant, Hegel, Nietzsche, pour ne citer qu’eux. Ils nous ont transmis toute l’étendue de leurs connaissances par le truchement de l’écriture. Comme l’ont remarqué les Frères d’Evolutia, certains penseurs ou philosophes comprirent la portée ou le sens caché des mots. D’ailleurs, des doctrines ésotériques furent dissimulées et même codées dans des écrits exotériques. A titre d’exemple, les textes de la Torah comportent près de 70 niveaux d’interprétation qui permettent aux initiés d’avoir une communion intime avec Dieu. L’ésotérisme, en général, a parfaitement intégré les écritures les plus anciennes. Leur étude permet toujours aux initiés d’approfondir leurs recherches et de mieux comprendre les enseignements reçus; les écritures sont un sentier spirituel destiné à leur donner la Lumière divine, une philosophie occulte de la joie et du bonheur intérieur. La langue des oiseaux, pour sa part, offre un sens différent à des mots ou à une phrase par des jeux de mots ou par le recours à la symbolique des lettres. Elle fut utilisée par des auteurs comme Dante, Fulcanelli, Rabelais, Villon ou Cyrano de Bergerac. La partie la plus secrète de la langue des oiseaux comprend surtout une lecture ésotérique et hiéroglyphique de chaque lettre de l’alphabet, ainsi qu’une correspondance énergétique précise, qui s’apprend, se ressent ou se comprend.
Franc-maçonnerie et écriture
Les Frères d’Evolutia ont bien sûr abordé la relation entre la Franc-maçonnerie et l’écriture. Tout Franc-maçon réalise des écrits, appelés Planches, qu’il présente aux Frères de sa Loge. Elles sont autant d’expressions de transmission du savoir que de confidences diverses, comme l’Apprenti ou le Compagnon qui recourent à l’écriture pour justifier leur évolution maçonnique, afin que leurs Frères les élèvent aux grades de Compagnon ou de Maître. En Franc-maçonnerie, l’écriture relève également de la Tradition qui assure, depuis des siècles, la transmission des Rituels aux générations. Un Apprenti Franc-maçon ne sait «ni lire ni écrire», car il est encore dans l’ignorance. Il ne sait que répéter l’expression « Donnez-moi la première lettre et je vous donnerai la seconde », afin d’intégrer le fait que la recherche de la connaissance est un long apprentissage.
« Les paroles s’envolent, les écrits restent »
En Franc-maçonnerie, l’écriture comporte plusieurs variantes. D’une part, le Frère Orateur réfléchit et écrit ses Planches; il est aussi le gardien des statuts et des règlements. D’autre part, le Frère Secrétaire affûte sa plume pour écrire la vie de sa Loge ; à ce titre, il en est la mémoire. Et n’oublions pas le Frère Trésorier qui, lui, gère les avoirs de la Loge et passe des écritures… comptables. La pratique de l’écriture nous rapproche de nous-mêmes, nous éveille l’esprit et donne corps à nos pensées de sagesse; les écrire les concrétise pour ensuite les diffuser au plus grand nombre.
L’art de la poésie
Les Frères d’Evolutia n’ont pas voulu terminer leur Planche sans évoquer l’écriture comme art. La poésie induit une notion d’intelligence, seule capable de concevoir l’idée à réaliser et les moyens de la réaliser. L’art est une vertu, donc une qualité permanente, qui tend vers la perfection et la beauté. Goethe déclara : « L’Homme, malgré toutes ses sottises et tous ses égarements, conduit par une main plus haute, parvient heureusement à son but ».
L’oeuvre d’un poète est gratuite. Elle se suffit à elle-même, sans autre finalité que de procurer l’exaltation d’autrui. Elle provoque alors une émotion particulière, vecteur d’intensité, de la perception de l’infini. La poésie peut provoquer une certaine tristesse ; elle émane d’un sentiment de précarité, de fragilité, de transitoire dans la beauté finie qui inaugure l’infini inaccessible au commun des mortels. La poésie peut, comme la musique, exprimer des sentiments ou, comme la peinture, décrire des formes sensibles. Son charme est dû au rythme du discours verbal qui est, sinon indépendant du sens, du moins autre chose que le sens des mots. Si la poésie est indépendante de la morale, l’auteur ne l’est pas et ne saurait l’être. Son oeuvre est une manifestation d’activité qui s’oriente vers la fin ultime, universelle, celle du Grand Architecte de l’Univers.
Comme l’écrivit le poète Gérard de Nerval, dans son poème Vers Dorés, l’Art ne saurait être apprécié par des hommes incapables, faute de culture suffisante ou par suite d’un défaut de rectitude morale.
Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie:
À la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !