Le serment : avant tout envers soi-même
Tous les Frères prêtent serment dans leur parcours maçonnique, que ce soit au 1er grade, aux deux suivants, voire pour certains dans les hauts grades. La plupart du temps, le souvenir du serment leur laisse une empreinte indélébile. Cependant, le plus important reste celui prononcé solennellement lors de l’initiation au grade d’Apprenti, au moment où le récipiendaire devient Maçon.
Le serment – du latin sacramentum, sacré – se retrouve dans toutes les sociétés humaines. Par le serment – du mot grec orkos, ce qui renferme –, « l’homme renonce à une certaine part de sa liberté, ce qu’il fait devant une autorité qui a le pouvoir, en tous lieux et en tout temps, de connaître un manquement à cette renonciation et de le punir », explique l’auteure maçonnique Irène Mainguy. L’historien d’art et Maçon René Désaguliers observe, pour sa part, que « s’il est vrai que le serment est un acte essentiel de la Franc-maçonnerie, nous devons de toute nécessité nous demander sur quels fondements lui-même repose. La réponse est à la fois simple et redoutable. Pratique extrêmement ancienne de l’humanité, le serment est obligatoirement sanctionné par une autorité supérieure à l’homme, par une transcendance capable de le juger ».
Engagement solennel, le serment maçonnique se caractérise par une invocation, une promesse et une imprécation. Si l’invocation fait appel à une divinité ( le plus souvent le Grand Architecte de l’Univers ) comme garantie du serment, la promesse constitue l’objet même de l’engagement, en principe de ne jamais révéler indûment les rites maçonniques, mais aussi d’observer la discipline du secret, d’aimer ses Frères et de se soumettre à la loi. Quant à l’imprécation, elle énumère le ou les châtiments auxquels le récipiendaire consent en cas de parjure, de non-respect du serment. La nature de cet engagement rappelle la parole de l’Evangile ( Matthieu 18,18-19 ) : Tout ce que tu lies sur la terre sera tenu dans les Cieux pour lié et tout ce que tu délies sur la terre sera tenu dans les Cieux pour délié.
Engagement total
Lors de son initiation au grade d’Apprenti, le récipiendaire prononce son serment initial, le premier, en tenant la « coupe des libations » de sa main gauche et en plaçant sa main droite sur son coeur. Ces deux gestes simultanés symbolisent sa pureté et sa sincérité. Lors de son serment définitif qui permet au Vénérable Maître assumant la transmission spirituelle de le consacrer Apprenti Francmaçon, le deuxième après les épreuves des trois voyages, le récipiendaire s’agenouille en pliant le genou gauche mis à nu avec le pied ( sentiment de piété ) sur la troisième marche de l’Orient devant l’autel des serments, où se trouvent le Volume de la Loi Sacrée ouvert ( en général la Bible, parfois le Coran, le Talmud ou simplement un libre blanc ), une équerre et un compas. Puis il appuie sur son coeur la pointe d’une branche du compas ouvert qu’il tient de la main gauche ( sensibilité à la vérité pénétrante ), tandis qu’il pose la main droite sur l’équerre – le symbole de la rectitude –, placée elle-même sur le compas. « Ce geste signifie que le récipiendaire s’engage de façon totale, sans restriction, avec rectitude, comme une pierre posée d’équerre qui doit soutenir l’édifice à venir », précise Irène Mainguy. Certes, la forme du serment varie selon les rites et les obédiences, de même que les termes de l’obligation prêtée.
Selon le symboliste Jules Boucher, « généralement, lorsque le serment a été prononcé, on brûle le Testament philosophique du récipiendaire. En réalité, c’est le serment écrit de sa main qui devrait être brûlé, car les écrits terrestres peuvent disparaître, mais ce qui est écrit dans l’Invisible perdure indéfiniment. Par le feu, on transfère le visible dans l’Invisible. Ce n’est, en somme, que la sublimation d’un acte matériel en un acte spirituel, le transfert de cet acte d’un plan physique sur le plan immatériel. Le serment écrit, prononcé et brûlé réalise, selon la symbolique classique, une action totale par les quatre éléments Terre ( la matière solide du papier ), l’Eau ( l’encre liquide ), l’Air ( la prononciation à haute voix ) et le Feu ( la combustion ).
Alliance cosmique avec l’Eternel
Le Maçon Jean-Marie Ragon ( 1781-1862 ), dans ses Cours philosophique et interprétatif des initiations anciennes et modernes ( 1840 ), mentionna que « le serment maçonnique prononcé sans contrainte ( selon la libre volonté du récipiendaire ) est antique et sacré, contrairement à celui pratiqué dans le monde profane. Ses expressions sont énergiques parce que le récipiendaire qui le prête, et dont les yeux sont encore couverts par un bandeau, est sur le point de passer de la barbarie à la civilisation ». Le Maçon occultiste Oswald Wirth ( 1860-1943 ), de son côté, analysa la notion d’amour dans le serment : « Ayant juré de prouver son amour du prochain en le secourant selon ses facultés, le récipiendaire s’engage à remplir les conditions qui rendent son initiation effective. Il resterait profane, en dépit de tout ce qu’il aurait pu apprendre, s’il manquait à la charité, sans laquelle le prétendu sage n’est rien. Vivre sans amour n’est point vivre : nous ne vivons vraiment que dans la mesure où nous savons aimer. » Pour Irène Mainguy, « le serment prêté est le lien invisible qui scelle un pacte d’union entre tous les Francs-maçons dans le monde, sorte de câble qui relie et rattache chaque initié à l’Ordre maçonnique et à une fraternité initiatique. Il est rappelé lors de chaque Tenue par le signe d’ordre et à son issue en se séparant sous le serment du silence ». Elle considère également que le serment pourrait recouvrir un caractère d’alliance cosmique avec l’Eternel : « C’est une obligation réciproque consentie librement entre l’Ordre et le néophyte qui est accepté en qualité de nouveau maillon de la chaîne initiatique. Cette promesse, dont le caractère solennel est à souligner, engage tout l’être à être fidèle à sa promesse. »
En réalité, le serment vaut par le fond plus que par la forme. Peu importe en définitive sur quoi il est prêté, pourvu qu’il soit tenu. Oswald Wirth releva que dans l’initiation spirituelle, le serment se prête intérieurement : « L’initié s’engage envers lui-même, dans l’absolue sincérité de son âme. C’est là le vrai serment, auquel devrait conduire celui qui se prononce avec solennité. »