Le sablier entre obscurité et lumière
Symbole temporel, le sablier du Cabinet de réflexion désigne le passage de la vie à la mort, le temps qui s’écoule, inexorablement. Retourner le sablier concrétise une nouvelle naissance, avec la mort de la matière qui inaugure la vie de l’esprit. Du plomb à l’or. Quant au sable, il renvoie à la vanité humaine, celle des choses.
L’épreuve du Cabinet de réflexion constitue le premier voyage de l’Initiation et symbolise la Terre. Le moment que passe le récipiendaire, seul entre ses murs, sert à poser son regard sur lui-même, à pratiquer son « autopsie mentale » pour être apte à passer des ténèbres à la lumière. Le Maçon Oswald Wirth relève que pour apprendre à penser, il faut s’exercer à s’isoler et à s’abstraire. « On y parvient en rentrant en soi-même, en regardant « au-dedans », sans se laisser distraire par ce qui se passe « au-dehors ». Les anciens ont comparé cette opération à une descente aux enfers. Il s’agit, pour le penseur, de pénétrer jusqu’au centre des choses, afin de parvenir à en connaître l’essence intime. L’esprit doit s’emprisonner dans les entrailles de la terre, où ne s’infiltre aucun rayon du jour extérieur », explique-t-il.
Symbole par excellence du temps de la naissance vers la mort, le sablier ramène à une réalité essentielle : la gestion permanente du relatif, du temps de toute existence, qui se déroule dans une durée relativement courte entre le berceau et la tombe. Quant à la stérilité du sable, elle évoque le néant des choses homogènes qui s’écoule telle une vie sans idéal, sans réalisation, simple accident terrestre ; l’arrêt de son mouvement suggère celui du battement d’un coeur. Composé de deux compartiments, le sablier symbolise le ciel et la terre qu’illustre la Table d’Emeraude : « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas et inversement ». « Le passage entre les deux compartiments se fait par un orifice étroit que l’on peut assimiler à la difficulté que l’être éprouve pour changer d’état. Il en va ainsi du récipiendaire, sortant du Cabinet de réflexion, qui passe par la porte basse ou étroite du Temple, (celle des hommes, ndlr), pour subir les épreuves de l’Initiation », estime la Soeur et auteure maçonnique bien connue Irène Mainguy.
Le Temps sculpte l’Initiation
La totalité des grains de sable, qui s’écoule du compartiment du haut vers celui du bas, est comparable au déroulement de toutes les possibilités de développement comprises dans une vie. Dès qu’elles sont épuisées, le mouvement s’arrête, clôturant un cycle. Retourner le sablier, c’est entamer un nouveau cycle de possibilités. « La pluie des grains de sable marque à la fois l’épuisement des possibilités et, inversement, leur intégration finale et totale dans l’Unité. Le mouvement du sable indique un pôle d’attraction, celui du bas, le seul que le plan physique puisse offrir, mais en réalité, il existe deux pôles, l’un terrestre et l’autre céleste. Un mouvement vers le haut, spirituellement parlant, correspond toujours à un renversement. La beauté terrestre représente un reflet de la beauté céleste », poursuit Irène Mainguy. Le caractère stérile du sable rappelle la vanité des choses en tant que simples accidents terrestres. Le sablier met en garde contre le danger de l’attraction vers le bas. En revanche, un mouvement vers le haut demande à l’être de se détourner volontairement d’un monde qui, à la fois, l’emprisonne et le disperse. Tendre vers le haut, c’est aller à contre-courant du mouvement naturel de la manifestation et demande à l’initié de résister à la facilité, de lutter. « Le franchissement de la porte étroite (celle des dieux, ndlr) requiert de mourir au monde, de sacrifier son ego. Comme l’enseigne l’étranglement du sablier, il existe une contraction apparente dans l’espace et le temps, laquelle donne l’impression de pouvoir anéantir celui qui voudrait passer outre, alors qu’en fait, il accède à un nouvel espace », commente l’auteure maçonnique, avant de synthétiser : « Le sablier est à la fois inversion et analogie, contraste d’obscurité et de lumière, de mort et de naissance ».
Dans le Cabinet de réflexion, le sablier se rapporte aussi à Saturne et conséquemment au plomb comme métal ; il emblématise la mort du profane qui va renaître à la vie spirituelle : il s’agit de la transmutation du plomb vil en or. Lorsque le récipiendaire sortira de son « tombeau », c’est-à-dire de la putréfaction alchimique, il pourra commencer le cycle des transmutations.
Le Temps maçonnique
La notion du Temps – le temps qui passe, le temps qui fuit, que rien ne peut suspendre – telle qu’exprimée par le sablier, vise à faire prendre conscience au récipiendaire qu’il lui faudra du Temps, entre autres celui de la patience, de la persévérance, de l’attention et du courage, pour que la réalisation de son Initiation devienne effective, « réelle » et non « virtuelle », qu’elle porte ses fruits. Comme ce processus répond à une chronologie non identifiable et non limitative d’événements censés apporter les transformations intérieures, mentales, souhaitées, il convient justement de ne pas perdre de temps, de ce précieux Temps maçonnique lié à l’Initiation. Cette référence au Temps maçonnique signifie que l’Initiation ouvre le Temps, son déroulement, tandis que ce dernier la sculpte.
Or, selon Jean-Pierre Donzac, l’Initiation n’est jamais présente (la cérémonie elle-même) que comme passée (elle est apparue, a été suivie, subie, plus ou moins comprise) à la lumière de son futur (elle ne trouvera son sens que plus tard, car l’Initiation par l’épreuve de la Terre supprime les repères habituels et en propose d’autres, qui agiront ultérieurement). Le récipiendaire, pris par surprise, réagit avec retard. « On pourrait croire que le Franc-maçon va être sans arrêt condamné à courir après son Initiation. C’est un fait certain. Cela ne pourra se faire que par une mutation, une réappropriation de tous les possibles. On ne remonte pas le Temps, le sable coule toujours du haut en bas dans le sablier. Il faut s’améliorer, continuer sa route, se dégager de tout ce qui nous aveuglait. Retourner le sablier et entamer une nouvelle séquence de vie », énoncet- il. Le Temps, c’est l’Espérance, et le sablier, son révélateur. D. P.