La concentration mentale au coeur de la réalisation maçonnique
La Franc-maçonnerie n’a pas pour vocation de traiter les maux psychotiques ou névrotiques enfouis dans l’inconscient de certains Frères, et encore moins psychiatriques, donc pathologiques. Pas plus, d’ailleurs, qu’elle n’en possède les outils cliniques. Pourtant, à son modeste niveau, elle joue un rôle thérapeutique. Par exemple sur leur mental en le recentrant grâce aux effets qu’exercent le Temple, les rituels ou la fraternité.
Après une journée harassante, compliquée, conflictuelle parfois, les Frères qui fréquentent leur Loge en ressortent ragaillardis, rassérénés. Car le Temple imprègne leur mental d’une éthique immuable. Bien qu’il comporte de nombreux interdits, il s’offre en effet comme un lieu sacré au sein duquel les Frères bénéficient d’une certaine liberté, comme celle de s’exprimer ou de garder le silence. Ils reçoivent en plus la bienveillance et le respect de leurs pairs, ainsi que leur écoute et leur non-jugement. Par extrapolation, les Frères se trouvent en situation d’empathie les uns envers les autres. C’est ainsi qu’ils pénètrent dans le Temple le coeur léger, heureux même, prêts à oublier les soucis qui, une heure ou deux auparavant, les assaillaient. Ils ne s’y rendent pas pour résoudre leurs difficultés, mais pour se faire du bien.
Résonance et relaxation
Les rituels maçonniques spéculatifs, pour leur part, s’apparentent quelque part au comportementalisme, car leur répétitivité, qui entre dans le schéma « stimulus-réponse-renforcement », conditionne les Frères. Ces derniers s’introduisent dans le Temple, c’est le stimulus; puis ils exécutent les pas et les signes symboliques, c’est la réponse; ensuite, le Maître des Cérémonies les guide à leurs places respectives et le Vénérable Maître en Chaire les accueille, c’est le renforcement. Ce déroulement développe dans le psychisme des Frères une résonance matérielle et spirituelle, suivie d’une relaxation. Car après avoir vibré à l’unisson, chacun d’eux goûte un calme intérieur équilibré, qu’accompagne un silence plus ou moins long.
Cette résonance met en jeu un ou plusieurs processus de vie, d’action et de réflexion ; elle stimule les Frères qui intériorisent en eux-mêmes la globalité de la situation. Il résulte de cette incorporation des processus vibratoires que permet la mise en mouvement de la totalité de l’être, une mise en disponibilité, voire un élargissement du champ mental. Pendant la phase de relaxation, l’expérience vécue se conforte en s’équilibrant; dans le corps comme dans l’esprit s’opère alors un authentique mouvement de décentration. Cette détente, sorte de retour au repos, favorise la prise de distance vis-à-vis de ce qui a été fortement porté, et elle en permet l’intégration. A la répétitivité gestuelle du rituel s’en greffe une autre qui rappelle la méthode Coué, à savoir le leitmotiv des valeurs clés auxquelles se réfèrent les Frères que sont la tolérance, la liberté, la fraternité, la loyauté, la charité, la foi, l’espérance, parmi d’autres.
Si les rituels, dans l’instant présent, peuvent s’apparenter à une thérapie douce pour le mental de certains Frères, ils peuvent aussi aggraver celui d’autres Frères aux traits obsessionnels. En effet, la rigueur supposée dans le déroulement des rituels peut, de source d’attention et de vigilance, se transformer en source de tension et de crispation. Puis déboucher sur des propos agressifs tenus avant d’atteindre les parvis du Temple. Dans ce cas de figure, les Frères concernés extériorisent leurs traits névrotiques, obsessionnels, sous prétexte qu’ils se réclament d’une exigence de rigueur…
Découvrir les richesses des rituels
René Guénon expliqua que la concentration est « la première et la plus importante de toutes les conditions d’une réalisation effective ». Elle constitue le préalable indispensable à tout progrès véritable des Frères. Il s’agit de focaliser longtemps toute l’activité mentale sur un seul point. Cette situation est alors remplacée par l’attention rapidement fluctuante, ou par le vagabondage incessant, qui reflète l’état ordinaire du psychisme ; cette errance spontanée est gouvernée par les désirs multiples et les préjugés du moi égocentrique, qui définissent l’être profane, et dont la cure radicale est la voie spirituelle. Or, cet état d’éparpillement s’oppose à la vision juste comme à toute entreprise de transformation en profondeur.
Cette même concentration est également essentielle pour que les Frères puissent explorer les richesses des rituels et découvrir leur action transformante. Tout symbole et tout agencement rituel peuvent être efficaces s’ils sont approchés de l’intérieur, là où la conscience est créative. Comme le relevait le Frère Jean-Pierre Schnetzler, psychanalyste et psychiatre, « il suffit d’y placer l’esprit, ce qui n’est pas simple depuis que nous sommes devenus très compliqués. Retrouver cette simplicité centrale est une des voies de la purification nécessaire. Parallèlement, il convient d’habiter le langage rituel. Cela suppose de ne pas lire passivement le texte, ni même seulement de le réciter par coeur, comme l’impose le Rite Emulation, mais de le recréer par le coeur, de le faire vivre efficacement parce qu’il sort du coeur ».
En ce qui concerne la voie initiatique, feu notre Frère Schnetzler estimait encore que ses moyens ne tendent qu’à guérir l’enfant souffrant (sauf les candidats sains qui sont rares…), puis à faire mûrir l’adulte psychique, afin qu’il consente à laisser la place à ce qui le dépasse: l’être spirituel.
Thérapie de l’amour
La fraternité maçonnique, librement consentie et établissant une relation de miroir, serait aussi une thérapie en trois étapes. La gémellité tout d’abord, car les Frères sont des jumeaux par l’initiation et répondent au concept philosophique du Même et de l’Autre ; par l’injonction ensuite, car les Frères, par leur serment, promettent de s’aimer les uns les autres; par l’introspection, enfin, qui ouvre les portes de l’intérieur pour mieux se comprendre eux-mêmes, et par là, mieux comprendre les autres et la société. Il s’agirait donc d’une thérapie de l’amour.
Notre Frère Jacques Fontaine, psychothérapeute de profession, l’explique ainsi: « Nous serions, sans le savoir, des malades du trop peu d’amour, parce que nos usages sociaux, nos parcours personnels, ne nous rendent pas assez fraternels. Face à cela, la Franc-maçonnerie nous propose une conception de la fraternité de très haute qualité. Devenir Franc-maçon, c’est adhérer à cette valeur et la transformer en réalité dans nos relations entre nous, puis dans le monde profane ensuite. Nous réalisons ici le voeu de l’amélioration individuelle et collective. » D. P.