Imagiers du moyen âge et correspondances maçonniques
Le Tarot est une école de vie, une source infinie de méditation pour qui se donne la peine de l’étudier, non pas intellectuellement, mais avec son coeur et son esprit, avec sa sensibilité, son affectivité et son intuition.
P. D. – LaBonne Harmonie, Neuchâtel (Revue maçonnique suisse: avril 2010)
Le Tarot est une voie intérieure qui conduit à découvrir progressivement sa propre personnalité, son moi profond, autrement dit il aide les hommes dans cette grande recherche qu’est la connaissance de soi. Il permet de réfléchir aux circonstances et au sens des événements de notre propre vie et de la vie en général. C’est donc un moyen de progression vers la recherche de la vérité primordiale. Les images du Tarot sondestinées à fairepenser et à découvrir cequi se cacheennousmême. Nul ne peut voir pour nous, comme il est impossible de penser pour autrui. Il faut puiser soi-même à la source.
Origine du Tarot
Le Tarot est un ensemble de 78 lames, dont 22 cartes majeures qui mettent en oeuvre un monde de symboles. Onne peut douter de son enseignement ésotérique, plus ou moins secrètement transmis à travers les siècles. Le problème de ses origines est difficile voire impossible à résoudre. On ne peut attribuer au Tarot un lieu de naissance précis. Des indices tendent à lui donner une origine égyptienne car dans les fresques des temples on a retrouvé des compositions analogues à celles du Tarot. Les Hébreux ont utilisé le Tarot. Moïse fut initié en Egypte et obtint tout le savoir des grands prêtres du pays. Les 22 lames majeures du Tarot sont en analogie avec les 22 lettres de l’alphabet hébraïque et le mystère des nombres. Tant chez les Hébreux que chez les Grecs et les Romains, on se servait des caractères de l’alphabet pour indiquer les valeurs numériques. Mais les lames du Tarot étaient déjà en usage avant les Egyptiens. Les historiens pensent que le Tarot vient de l’ancienne Chine, du livre Tar-Rosch. Tar signifie «voie» et Rosch veut dire «royale». Il s’agit donc du livre de la voie royale des initiés, qui date de 6000 ans avant notre ère. Au 7e siècle les Arabes découvrirent le Tarot en envahissant la ville d’Alexandrie. Les croisés l’on ensuite amené en Europe. Le terme «arcane» traduit le mystère, la loi cachée. Le Tarot des imagiers du moyen âge présente une iconographie assez nettement médiévale et mêlée de symboles chrétiens. Plusieurs de ses images sont des illustrations de passages de la Bible. Le mot Tarot est composé de deux runes sacrées : Ta et Rot. La première est issue du «thot» égyptien qui signifie Dieu ou loi divine, la seconde vient du latin «rota» : roue. Le Tarot est ainsi la roue des lois divines. En lisant Tarot en sens inverse on obtient Rota, allusion à l’éternelle rotation de l’univers.
À l’insu des inquisiteurs
Il existe de nombreux systèmes de tarots, différents et de diverses époques. La plupart ne sont toutefois que des jeux divinatoires qui ont perdu toute valeur ésotérique. Mlle Lenormand, célèbre voyante, a fait un Tarot. Le Tarot de Marseille est une forme simplifiée, le plus proche de celui des imagiers du moyen âge, considéré comme le plus originel. Le francmaçon Oswald Wirth redessina avec beaucoup d’exactitude les lamesdes imagiers médiévaux. La connaissance ésotérique demande le secret car il n’est pas bon de divulguer les mystères sacrés aux profanes et c’est pourquoi ces auteurs ont caché les mystères en question dans une imagerie qui extérieurement paraît anodine et ne révèle pas ses secrets. Les images ne sont pas accompagnées d’explications, la transmission du sens profond des arcanes pouvait par conséquent se faire à travers eux, à l’insu des persécuteurs du temps de l’impitoyable Inquisition pratiquée par l’Eglise catholique. Les lames du Tarot présentent de vives couleurs. Elles sont symboliques et revêtent une grande importance. Les trois couleurs primitives : rouge, bleu et jaune correspondent au ternaire : esprit, âme et corps. Les couleurs secondaires : violet, vert et orange sont en affinité avec l’âme spirituelle, l’âme corporelle (vitalité) et l’esprit corporel. Le blanc symbolise la pureté, la lumière par rapport au noir qui symbolise, lui, le néant, la mort, mais aussi le mystère et la gestationdissimulée aux indiscrets. L’ocre rose indique ce qui est humain. Les significations des couleurs données ici sont simplifiées, le symbolisme des couleurs tarotiques étant très vaste. Dans lamaçonnerie ce symbolisme des couleurs est apparenté à celui du Tarot.
Le Tarot est aussi maçonnique
La maçonnerie a incorporé les principes des écoles initiatiques anciennes. Tous les symbolismes se tiennent. Celui qui nous est propre, à nous francs-maçons, transpose en allégories constructives les données initiatiques. Le Tarot rattache la même tradition idéologique à des images coloriées et il est possible de le liremaçonniquement. Depuis sa plus lointaine ancienneté notre ordre fait reposer sonoeuvre sur trois grands piliers (les petites lumières) nommés Sagesse, Force et Beauté, en l’honneur d’antiques déesses auxquelles les imagiers du moyen âge ont consacré trois lames, respectivement : l’Impératrice (la troisième), la Force (la onzième) et les Etoiles (la dix-septième). Elles forment une trilogie. La première de ces trois lames citées symbolise la sagesse sous les traits d’une impératrice céleste, ailéecommela vierge zodiacale ou Vénus-Uranie. Elle est l’intelligence qui conçoit le projet de l’édifice et en arrête le plan. La deuxième est la force qui exécute les conceptions en domptant les énergies rebelles. C’est une femme gracieuse et frêle qui maîtrise un lion rugissant, emblème des passions qu’il faut soumettre et discipliner dans l’intérêt du Grand OEuvre à poursuivre. Il s’agit de la force intérieure. Les étoiles de la troisième lame symbolisent la beauté qui, comme la vérité, se montre nue. C’est pourquoi cet arcane présente une femme dévêtue qui arrose la terre aride. Celle-ci, aussitôt, se pare de verdure et de fleurs. C’est l’idéalité, la fée qui embellit la vie et la fait aimer en dépit de ses misères et de sa cruauté. La voûte du temple maçonnique portedes étoiles, lesmêmes que celles de la lame XVII.
L’ésotérisme de la condition humaine en BD
Il est important de souligner que les lames tarotiques sont significatives dans leur imagerie autant que dans leurs détails. Tout est signifiant : les personnages et leurs attitudes, les objets, astres, animaux, fleurs, architectures, etc. Tout est symbolique et rien n’est inutile ou superflu. Le tarot contient sous la forme d’une bande dessinée tout l’ésotérisme de la condition humaine. Prenons quelques exemples. Lame 1, le Bateleur. L’individu a mission de se faire lui-même selon le principe d’autocréation. C’est ce que symbolise le Bateleur (illusioniste). Il est le postulant reconnu initiable en raison de ses aptitudes et de ses bonnes dispositions. Il deviendra apprenti. Il représente le point de départ de l’homme, son origine matérielle, Adam, le terreux, comme le nomme la Genèse. Le bateleur est à la fois l’homme profane qui vit dans un monde d’illusions auxquelles il se laisse prendre et l’initié qui étudie et utilise ce monde. C’est l’homme avec tous ses possibles, avec toutes ses virtualités, toutes ses illusions aussi. Lame 6, l’Amoureux. Il symbolise l’initié au premier grade, l’apprenti, subissant l’épreuvedont dépend sonaugmentation de salaire. Ses jambes forment le pas d’apprenti. Il est placé entre deux femmes, la Vertu et la Molesse qui tentent de le gagner à elles, lui promettant, l’une, de le faire triompher de toutes les épreuves de la vie, l’autre, de lui épargner de lutter. Le postulant est placé devant un choix, symbolisé par les deux chemins devant lui. Il ne doit pas se montrer inférieur à Hercule qui refusa de s’adonner sans gloire à la douceur de vivre. Ce dernier résolut par ses douze travaux d’être utile et de s’astreindre à un travail incessant, profitable à autrui (énergiemorale). Il appartient au postulant, au sortir du grade d’apprenti, de débuter dans la carrière de l’action en repoussant les tentations d’un bonheur factice basé sur la jouissance. Lame 10, la Roue de Fortune. Cette roue nous plonge dans le monde et ses vicissitudes. Elle représente les alternances du sort, les fluctuations, l’ascension et les risques de chute. Sur le plan humain elle représente l’instabilité permanente et l’éternel retour. La vie humaine roule instable comme les rayons d’une roue. On verra aussi dans la montée et la descente une loi d’alternance, voire de compensation de l’histoire humaine, sociale ou personnelle où se suivent sans cesse succès et revers, naissances et morts. Tout dans la vie est instabilité. Aucune situation ne peut avoir la certitude de la durée. Les hommes sont emportés par une roue qui élève les uns, fait descendre les autres, les uns et les autres, de manière temporaire, chaque chute devant préluder à une nouvelle ascension. Il est un seuil en dessous duquel l’homme de par sa nature même ne peut s’enfoncer. En sens inverse, il ne peut se maintenir au faîte de la réussite.
Une lame sans numéro
On aurait pu s’attendre à ce que le Tarot prenne fin avec l’arcane 21 car le triomphe sur le monde marquait bien un achèvement. Voici pourtant un nouvel arcane, inattendu, affublé du nom de Fou et qui surprend dans un ensembleprétendant conduire à la plus authentique sagesse. L’image du Fou, personnage hagard, déculotté, avec un infime baluchon, déconcerte. Cet arcaneneportepas de numéro parce qu’il se trouve derrière chacundes autres arcanes chiffrés. LeFou représente la nuit d’où nous venons et la nuit où nous entrons à la sortie de ce monde. Nuit, car rien ne peut donner de certitude, au sens rationnel, sur ce qui est avant la naissance et après la mort. Dès que l’on entre dans le domaine du suprarationnel il faut abandonner le raisonnement logique, lequel est fait uniquement pour la vie pratique, dans lemondematériellement tangible. Tout ce qui en sort est pour notre raison cartésienne sinon un non-sens, en tout cas une rêverie, une inutilité, une folie.
Le Fou est donc l’initié qui ne se fait aucune illusion sur la relativité de son savoir. L’achèvement ne saurait être que relatif, vu que le travail se poursuit indéfiniment. S’il cessait, tout s’évanouirait dans le néant. En opposant l’infini au fini nous abordons le domaine du Fou. Le compas nous trace lesbornes de la raison, sachons nous y maintenir, respectueux du mystère ineffable dont la pénétration nous est interdite.