Hermès Trismégiste « trois fois très grand », toute la sagesse du monde…
Juste avant de transmettre le Premier Maillet de notre Loge Trismégiste à mon successeur, j’avais estimé opportun de partager avec mes Frères, en particulier les jeunes Maîtres, les Compagnons et les Apprentis, quelques réflexions personnelles sur Hermès Trismégiste, ayant toujours ressenti le besoin d’approfondir mon éclairage sur ce personnage mythique. De ma Planche, qui ne constitue qu’une infime partie des connaissances sur Hermès Trismégiste, j’en ai tiré une brève synthèse.
Par le F∴ D.G. de la Loge Trismégiste à l’Or∴ de Lausanne
Hermès Trismégiste est identifié tantôt à un dieu, tantôt à un mythe ou à un personnage mythique dont l’origine se situe dans l’Antiquité gréco-égyptienne. Il est souvent assimilé au dieu grec Hermès, c’est-à-dire Thot chez les Egyptiens, et reconnu comme son petit fils avant d’endosser le rôle de mythe, puis de personnage plus ou moins historique. La première indication du nom « Hermès Trismégiste » figura sur la célèbre Pierre de Rosette (196 av J-C) et précisa: « Hermès Trismégiste est issu de la fusion de Thot et d’Hermès ». Dès lors, cet héritage lui conféra les fonctions de rassembleur et de mainteneur. Ou alors, en termes maçonniques, « réunir ce qui est épars », et assurer la pérennité de notre Tradition. Ni plus ni moins que deux des devoirs les plus fondamentaux d’un Franc-maçon.
Trismégiste signifie « trois fois très grand », à interpréter comme très sage, très érudit pour « très grand », doté en plus de la triple qualité de philosophe, de sacerdote et de roi d’Hermès pour « trois fois ». Peut-être aussi parce que Thot symbolisait l’intelligence divine directrice de l’univers qui fait triompher la Vérité apportant au soleil sa lumière, la pensée incarnée et le verbe. Il s’agit encore d’une référence aux trois mondes de la symbolique égyptienne : le monde intelligible (le Noun analogue au Noûs grec), le monde imaginal (l’âme, analogue à la psyché des Grecs) et le monde sensible des formes concrètes. Ce même « trois fois » peut également désigner l’érudition d’Hermès Trismégiste en rapport avec les trois aspects de la réalité selon la conception de certains philosophes de l’Antiquité, à savoir la matière, la pensée et l’âme, et, en y ajoutant les règnes minéral, végétal et animal, voire la triade mercure, soufre et sel, selon celle des alchimistes de la Renaissance.
Pour Albumasar, astronome et astrologue persan du XIe siècle, trois Hermès composaient Hermès Trismégiste: le premier vécut en Egypte avant le déluge, le second après le déluge à Babylone où il raviva les sciences antédiluviennes, et le troisième en Egypte où il enseigna son savoir à son disciple ou élève Asclepios. Dans cette légende, Hermès Trismégiste domine « verticalement » les trois parties de l’univers (ciel, terre, homme), tandis que les trois Hermès représentent « horizontalement » toute la sagesse du monde antique à travers les trois cultures; ils réalisent ainsi la fusion des origines de la sagesse et de la science arabes, d’où le « trois fois très grand ». Enfin, « trois fois très grand » correspond symboliquement au nombre 33 qui revêt à la fois l’expression de l’unité juste et parfaite de l’oeuvre d’un principe suprême unique, et la manifestation de la connaissance ultime des arcanes de la Création.
La Table d’Emeraude : avantgardiste
Les écrits attribués à Hermès Trismégiste, incertains quant aux dates et origines, forment un trait d’union entre les dogmes du passé et ceux de l’avenir. Ils aident également à comprendre comment le monde a pu passer de la doctrine d’Homère à la doctrine chrétienne. Le Corpus Hermeticum et la Table d’Emeraude sont les plus connus chez les Francs-maçons.
En ce qui concerne la Table d’Emeraude, sa plus ancienne version date du VIIIe siècle et se trouve insérée dans un texte de l’Arabe Gabir intitulé « Le livre élémentaire du Fondement », certainement traduit du grec. Celui-ci, qui décrit la genèse du monde par l’affirmation de la prééminence d’un dieu unique, était pour le moins avant-gardiste pour l’époque: « Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable: ce qui est en bas est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d’un, par la méditation d’un ; ainsi toutes les choses sont nées de cette chose unique, par adaptation. Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le télesme, de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais, doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela, toute obscurité s’enfuira de toi. C’est la force forte de toute force, car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d’admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici. C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé. »
La Table d’Emeraude a indéniablement un caractère intemporel et universel, qui lui confère sa qualité de trésor initiatique. Quant à l’expression « trois fois très grand », elle couvre symboliquement tous les aspects de la recherche de la Vérité. S’y ajoute la dimension universelle du message philosophique de la Table d’Emeraude, qui exprime bien l’« axis mundi » sur lequel se trouvent à la fois l’Apprenti muni de son fil à plomb et le plus érudit de nos Maîtres.
Aussi dans la Tradition islamique…
Dès le VIIIe siècle, des textes issus de diverses écoles d’hermétisme ou nommément attribuées à Hermès Trismégiste furent diffusés en milieu musulman dont, bien sûr, la Table d’Emeraude. Son enseignement se répandit auprès des cercles égyptiens chrétiens ou syro-mésopotamiens sabéens qui l’avaient préservé jusqu’à l’avènement de l’ère islamique. Puis les ésotéristes musulmans l’assumèrent et l’assimilèrent eux aussi, assurant dès lors la pérennité de la « Chaîne d’or » (silsilat aldhahab) qui les reliait aux plus anciennes sources de la Sagesse. C’est ainsi qu’Hermès se vit attribuer le titre de prophète et intégra l’histoire religieuse officielle et exotérique de l’Islam.
Mais pas de n’importe quel prophète, puisqu’il s’agit d’Idris qu’Allah éleva à une place sublime, celle du réconciliateur entre le passé païen (égyptien, aranéen, mazdéen, judéo-chrétien) et la conscience musulmane, incluant les sciences hermétiques dans le domaine de la révélation religieuse. Elle confère à Idris, un prophète toujours vivant et présent, un rôle mystérieux et éminent comme guide des humains. Prophète sans visage, Idris est un savant civilisateur de l’humanité primitive, un initiateur des sciences. Il est également le prophète intérieur à l’âme individuelle, le message du Soi divin à l’homme dans lequel il s’épiphanise pour l’interpeller et le guider afin, selon la tradition soufie, de permettre à l’âme humaine de s’éveiller à la dimension divine présente en elle depuis toujours.
… et la Renaissance
Pour ce qui est du Corpus Hermeticum d’Hermès, ce fut Marsile Ficin (1433-1499), célèbre néo-platonicien florentin, qui traduisit en 1463 les quatorze traités du manuscrit qu’il intitula collectivement le Pimandre, d’après le nom du premier d’entre eux. Marsile Ficin est toujours resté prudent à l’égard d’Hermès, ne se laissant jamais emporter par l’enthousiasme que sa traduction avait déclenché. Car il considérait que le Corpus Hermeticum n’atteignait pas les hauteurs des dialogues de Platon ou des commentaires de Plotin. Si Hermès conserva néanmoins son autorité à ses yeux, ce fut comme sage égyptien, grand théologien-prophète de l’Antiquité, et en particulier en tant que réformateur ayant mis en garde les Egyptiens contre l’adoration des statues et des rites démonologiques liés. Il n’empêche que la traduction du Pimandre eut un impact important et fit de Marsile Ficin le père de l’hermétisme de la Renaissance.
Le Pimandre ne fut que le premier volet du Corpus Hermeticum. Ces textes accessibles en latin donnèrent naissance à un état d’esprit nouveau qui laissa une large place à l’interprétation, offrant aux esprits les plus libres une bouffée d’air dans l’atmosphère dogmatique de cette fin de XVe siècle. Parmi ces interprétations, figurèrent notamment celles-ci : le visible est le reflet de l’invisible ; le jeu des forces contraires conditionne la vie à tous ses niveaux ; l’unité du monde se formule à travers les nombres et « un » est le « tout » du monde de la multiplicité; ou encore le mystère des nombres ramène à Pythagore et renvoie au pouvoir des planètes dont la connaissance était attribuée aux Egyptiens et aux Babyloniens.
Cette modeste synthèse ne présente qu’une très succincte approche d’Hermès Trimégiste. Le personnage, son histoire, ses écrits et ses enseignements sont si riches et même variés qu’ils ont fait l’objet de nombreux livres étoffés, ainsi que d’études et d’analyses fouillées. Chaque Frère a donc tout le loisir d’approfondir l’une ou l’autre composante ou facette d’Hermès Trismégiste, selon ses centres d’intérêt.