D’une Saint-Jean à l’autre
Les Maçons se rendent généralement à ces fêtes solsticiales le coeur léger : les Rituels sont connus, pas de surprise possible. Et puis, ça sent déjà les vacances, d’été ou de Noël. Pourtant, ces Rituels sont loin d’être anodins. Nous allons tenter ici d’entrebâiller des… portes. Il appartient à chacun d’en pousser quelques-unes davantage, ou d’en chercher d’autres.
Par le F∴ J.-M. R., Loges Ataraxie, Or∴ de Sion, et R. G., Or∴ de Lausanne
Nos Loges bleues – ou Ateliers symboliques –, sont dites aussi johanniques ou de saint Jean, l’Evangéliste, il s’entend, dont le Prologue en évidence sur la plupart de nos autels fait la part belle à la Lumière et résout peut-être le mystère de la Création. Rien que ça ! Avec la science, faut-il ajouter, mais c’est une autre histoire. Jean, l’Aigle de Patmos, est parfois physiquement présent à l’entrée de nos Temples, reconnaissable à ses attributs, comme le livre ou la plume. Le Baptiste – l’initiateur : baptein, « être plongé dans » – se manifeste aussi, notamment lors de la Saint-Jean d’été.
Les deux saints, nous allons le voir, sont des gardiens de portes. D’ailleurs, en pénétrant dans nos Temples, nous en franchissons deux: la première, tout en angles droits, matérielle, celle du Baptiste et des Hommes, l’autre, au battant invisible, mais marquée par les deux colonnes – les colonnes symbolisent souvent des passages, des seuils –, celle de l’Evangéliste, ou des dieux, tout en cercles. En somme, on passe déjà de l’équerre au compas! Les deux saints renvoient au symbolisme romain de Janus (de janua, « porte »), le dieu aux deux visages.
La porte des Hommes donne accès aux « petits mystères », une totale régénération psychique capable de produire un Homme accompli, autrement dit rassemblé, et non plus dispersé dans le tumulte de l’égo et de ses fâcheuses émanations. La porte des dieux, en relation avec le solstice d’hiver, ouvre aux « grands mystères » ; ils mènent à l’état supra-humain, ou spirituel, et replacent l’individu au sein de l’Être total. Être pour les philosophes modernes, Soi pour les psychanalystes, le sujet par rapport à l’objet, ce que le signifié est au signifiant, le contenu au contenant, la nature naturée (Dieu, substance) à la nature naturante (les manifestations de la précédente, l’existence). L’« Estre », ou Vérité, Perfection… ou Dieu : « Je suis celui qui est ».
Replacer l’individu au sein de l’Être total
Il est célébré en décembre, promesse de nouvelle Lumière. L’Evangéliste, donc, ouvre la porte de la Lumière, le Baptiste « témoigne de la Lumière qui est ». Solstice, littéralement « arrêt du soleil », n’échappe pas à ces origines : tiré lui aussi de stare, statum, «être debout, être immobile »… et éternel, ajouterais-je. Je recommande à chacun d’aller explorer cette racine indo-européenne sta.
Retourner au centre
Il est bien dit, dans un Rituel de Saint-Jean d’été, que « l’Homme, dans le cours de sa vie, s’arrête un instant et, tel Janus, contemple le chemin parcouru pour faire le point et se plonger dans un examen de conscience. » Il est donc bien possible que ce point d’orgue, ou culminant, comme celui de la course apparente du soleil à la Saint- Jean, représente l’apogée de la vie d’un Homme, la fin de la dispersion et le début du rassemblement, du chemin de retour en direction de l’axis mundi que pourrait bien figurer le fil à plomb au centre de nos Temples.
« Les Frères Apprentis ont témoigné de la Lumière en dégrossissant la pierre brute », lit-on aussi. Tant mieux, car le franchissement d’une porte exige une certaine sveltesse. Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux est le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent (Matthieu 7,13- 14). Ou encore: Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu (Luc 18,25). De quelles richesses s’agit-il ? Sans doute des contingences profanes évoquées par certains Rituels de la Saint-Jean d’été. Quant au royaume de Dieu, rien ne nous interdit d’y voir ce qui se dissimule derrière la porte de la Saint-Jean d’hiver. Pourquoi pas la réalisation du Grand OEuvre ?
Replonger dans « ces étranges Ténèbres qui nous ont menés en ces lieux », ce que nous nous apprêtons à faire en juin, c’est faire l’effort de retourner au centre, au point de départ. Et si nous nous laissons porter par l’indolence, nous aurons effectué un tour pour rien. Il s’agit d’échapper à ces cycles, de s’en affranchir, par l’extinction du « mauvais » feu des passions et des préjugés. C’est le concept philosophique des plus anciennes religions du monde.
Une opération spagyrique
En hiver, la lumière est « contenue en un endroit clos » : nous pensons aussitôt à la fusion au sein de l’athanor, l’ouverture de la matière (solve) suivie du rassemblement (coagula : rassembler ce qui est épars), une opération spagyrique, une distillation. En effet, après une phase, disons solaire, de réchauffement, de la Saint-Jean d’hiver à celle d’été, nous entrons dans une phase lunaire de refroidissement au cours de laquelle les matières indésirables sont éliminées, phase au terme de laquelle l’eau-de-vie, ou spiritueux, vient à la lumière.
Eau-de-vie, ou nectar, qui évoque le miel. La ruche et ses abeilles forment d’ailleurs un autre symbole maçonnique (voir quelques anciens tabliers, ou les armoiries de la Chaux-de-Fonds : les abeilles se dispersent et reviennent à la ruche chargées de matières premières. C’est dans la ruche (la logeathanor) que se fait la transformation. Bref ! Les Saint-Jean, àleur manière, et comme la plupart de nos Rituels, appellent chacun à l’introspection, puis à l’élévation.