Ces médias dont on parle tant
Selon une étude récente, la moitié des Américains préféreraient abandonner le café, l’alcool, le chocolat plutôt que de se priver d’internet et de leur mobile pendant une semaine. Un tiers serait même prêt à renoncer à toute vie sexuelle.
R. J. – Tolérance et Fraternité, Genève
Tout commence par une rigolade en 2004, à l’Université de Harvard, aux Etats-Unis. Il s’y trouve un étudiant, Mark Zuckerberg, né le 14 mai 1984. À part l’anglais, il connaît le latin et le chinois. Mais ce n’est pas un littéraire. Il poursuit des études en psychologie et en science appliquée. Son jeu favori : le monopoly. Son sport de prédilection : l’escrime. Et voici que, par jeu, il met ses copains en ligne, pour qu’on puisse dire qui sont les favoris. Huit ans plus tard, la société qu’il a fondée c’est Facebook. Mark a trouvé une formule moderne pour combler un besoin préhistorique : l’humanité veut rencontrer ses semblables, et communiquer. Communiquer est le maître mot. Facebook entre en bourse en 2012 et sa valeur y avoisinera cent milliards de dollars. Le truc consiste à faire payer les annonceurs. Cela rappelle bien sûr l’épopée de Bill Gates et de Microsoft. De 2008 à 2012 les revenus de Facebook dépassent ceux de Microsoft, AOL, Google et Yahoo !
Facebook aura bientôt un milliard d’utilisateurs. Les timides s’y défoulent. Les jeunes et moins jeunes, les actifs, estiment que ce système est un moyen efficace d’être en contact, par ordinateur personnel, smartphone, couché dans son lit, dans sa baignoire, en attendant un bus ou prétendant travailler. Vous pouvez retrouver de vieux amis, en faire de nouveaux, partager des photos ou discuter sur le dernier film vu à la TV. Pour utiliser une comparaison américaine, Mark Zuckerberg est aux médias ce qu’autrefois Rockfeller fut à l’industrie pétrolière.
Quelques exemples éloquents
Le Petit Larousse dit : «On nomme media tout procédé de transmission de la pensée, tout support des technologies de l’information et de la communication». Communiquer, nous y revoilà. «Communiquer, c’est témoigner son estime», a dit quelqu’un. En passant, nous autres maçons helvétiques pourrions regretter notre frilosité dans cette communication envers le monde profane. Nos effectifs stagnent, tandis qu’en France voisine, par exemple, le nombre des dix principales obédiences est passé de 38 120 membres en 1970 à 162 845 en décembre 2010.
Au vrai, la manipulation des esprits par les moyens que l’on nomme aujourd’hui les médias, est vieille comme le monde. Chacun a vu le film-péplum «Les Dix Commandements», ou lu le livre biblique de L’Exode. Moïse fut l’un des plus grands manipulateurs des médias, treize siècles avant l’ère chrétienne. Rien ne manque dans le décor théâtral du Mont Sinaï : coups de tonnerre, éclairs et épaisse nuée sur la montagne, avec de lugubres sons de trompette.
Plus près de nous, Martin Luther, pour faire passer le message de la Réformation, sut traduire la Bible en langue courante et utiliser pour sa large diffusion l’imprimerie de son concitoyen Gutenberg, déclenchant trois siècles de sanglantes guerres religieuses en Europe. Depuis Gutenberg, du reste, les menaces qui planent sur le livre sont aussi anciennes que les livres eux-mêmes. En ce temps-là déjà, l’Eglise annonçait sérieusement la fin de l’objet-livre. C’est dire si le livre est un objet dangereux ! Pour que tant de brillants esprits en prédisent sans cesse la mort imminente, il doit être sacrément pernicieux, cet objet, non ?
En 1940, en Californie, deux frères nommés McDonald ouvrent un petit restaurant de hamburgers. Ils rencontrent un ouvrier, Ray Kroc, avec l’idée géniale d’appliquer à la restauration de masse les principes du travail à la chaîne autrefois pratiqués par le constructeur de voiture Henry Ford. Utilisation massive des médias d’alors : radio, télévision et les moyens qui se développent. Aujourd’hui, ce sont quarante-huit millions de consommateurs qui franchissent chaque jour la porte surmontée de l’arche symbolique dorée d’un MacDonald, dans l’un des trente-quatre mille restaurants situés dans cent cinquante pays. Plus récemment encore, une petite secrétaire écossaise devenue l’une des femmes les plus riches du monde, J.-K. Rowling, née en 1965, en créant son héros Harry Potter utilise pleinement tous les médias à sa disposition : film, bien sûr, mais encore e-books et audio-books.
Les puces ont rétréci la planète
De tout temps, le souci des puissants a été de limiter au maximum l’accès des masses à l’information. Soit par la contrainte, soit par l’opium intellectuel. Dans la Rome antique c’était «du pain et des jeux». À l’heure actuelle cette censure n’est plus possible, avec les conséquences que l’on sait tels le Printemps arabe, les protestataires, etc. Le temps est loin où le bon peuple entendait les nouvelles qu’on voulait bien lui distiller par la voix du garde-champêtre et au son du tambour, sur la place publique. Les puces ont rétréci la planète. Ordinateurs et téléphones portables ont fait de l’homme un nomade qui ne se déplace pas. À cette formidable réduction de l’espace s’ajoute une contradiction du temps. Toutes les informations du monde disponibles tout de suite. Pour le meilleur ou pour le pire.
Avec le langage par signes, encore pratiqué par le singe, la parole fut le premier des médias, ou moyens de communication, connu de l’homme primitif. Bien plus tard, lorsque les trois mauvais compagnons ont assassiné Hiram, Salomon changea la Parole pour être certain que les trois criminels ne pourraient entrer en Chambre du Milieu. Cependant, il oublia que la nouvelle Parole devait être communiquée à tous les Maîtres et que, soit ils étaient tous connus, et donc il n’y avait pas de problèmes, soit ils n’étaient pas tous connus, et dans ce cas les trois assassins pouvaient obtenir la nouvelle Parole. Dès lors, il n’y a plus la Parole primitive, mais seulement la Parole substituée. La recherche de la Parole perdue est, en fait, la fin dernière de la maçonnerie. Elle n’est autre que le primitif mot sacré que nul ne peut plus prononcer depuis qu’Hiram, en ayant refusé de la remettre aux mauvais Compagnons, en a emporté le secret dans la tombe. Selon Oswald Wirth, cette Parole est la clé du secret maçonnique, autrement dit la comprèhension de ce qui reste inintelligible aux profanes et aux initiés imparfaits. Le temple demeure inachevé. Faut-il se débrancher pour autant ?