Aimer les autres comme soi-même
Une question récurrente
Que peut vouloir dire le titre ci-contre ? Remarquons ses deux parties. La première dit : Aimer les autres, la seconde : comme soi-même. En d’autres termes, pour aimer autrui il faut d’abord s’aimer soi-même. Mais que veut dire s’aimer soi-même ? Et nous aimons-nous vraiment nous-même ?
G. d. F. – Les Frères Inconnus de Memphis, Lausanne (Revue maçonnique suisse: octobre 2008)
A la question : «pouvez-vous affirmer que vous vous aimez ?» beaucoup d’interrogés, une majorité peut-être, répondraient qu’ils font avec ce qu’ils sont, ce qui, vous en conviendrez, n’est guère positif. Ils s’aimeraient mieux s’ils pouvaient être différents sur tel ou tel plan : physique, intellectuel, financier, etc.
On admet pouvoir s’aimer tel que l’on est pour autant que certaines modifications ou améliorations soient effectuées. En fait, peu de personnes s’aiment telles qu’elles sont. On peut presque dire que trop ne s’aiment pas réellement et qu’en réalité déclarer publiquement que l’on s’aime soi-même est souvent une coquetterie verbale. Il est en effet difficile de confesser «non, je ne m’aime pas». D’une part cela est inconvenant et de l’autre on pourrait laisser deviner un comportement négatif voire répressif. D’un côté l’on cache son insatisfaction envers soi-même et d’un autre l’on cache son désir d’être différent de l’image que l’on se fait de ce soi-même.
Preuves du mal-être que beaucoup ressentent à cet égard : le succès des opérations de chirurgie esthétique – qui tentent de corriger ce qui nous déplaît -, des produits soi-disant rajeunissants, ainsi que des programmes d’amaigrissement ou de remodelage. La plupart de ceux et celles qui déclarent s’aimer eux-mêmes suivent en réalité fréquemment ce que l’industrie de la beauté leur propose pour paraître différents de ce qu’ils sont ou tenter de rester ce qu’ils sont le plus longtemps possible, quand bien même leur état actuel ne correspondrait pas à leur idéal.
Le mal-être fait la fortune des psychologues, psychiatres et fabriquants de préparations pharmaceutiques ne cessant de proposer des médicaments sensés aider les gens (dans ce cas on parlera de malades), enfants compris, à s’accepter tels qu’ils sont. S’il faut suivre des traitements favorisant l’auto-acceptation, alors comment s’aimer soi-même puisque les substances en question ont pour but d’altérer notre vision afin d’accepter plus facilement ce que nous imaginons être et, enfin, d’accepter la différence – le manque qui nous sépare – de ce que nous aimerions être ?
Dans la plupart des milieux sociaux, tous âges confondus ou presque, l’alcool et les drogues deviennent de plus en plus courants. À quoi servent- ils ? Ils possèdent entre autres propriétés celle de changer notre manière de voir le monde et soi-même. Dans leur ensemble les drogues permettent d’accéder à une sorte de paradis artificiel comme il a déjà été clairement exprimé, chanté, poétisé par moult chantre de la liberté style «nouvel âge».
Si de tels produits désinhibent effectivement il est intéressant de constater que, censés affranchir, ils provoquent l’effet inverse en rendant la plupart du temps le consommateur esclave du plaisir consistant à ne plus être lui-même. Et comme tous les plaisirs, celui-là en particulier s’estompe peu à peu et force l’intéressé à y recourir de façon croissante. En est-il donc qui se déplaisent et peut-être se détestent au point de tomber dans ce piège grossier consistant à perdre la conscience d’eux-mêmes ? Pour en terminer avec cette brève description de l’auto-rejet signalons qu’une nouveauté fait actuellement un «malheur» sur l’internet, et le terme n’est pas choisi au hasard. Il s’agit du programme vidéo Second life, métavers (univers virtuel) sorti en 2003 qui permet à son utilisateur de vivre une seconde vie. La majeure partie de ce monde virtuel est créée par ses participants. Ce n’est pas un jeu mais une simulation de la vie, deuxième du nom, et qui serait autre. Aucun objectif n’est proposé, ni aucune quête, mission, défi, à part contrôler son avatar.
Vous avez dit avatar ?
Un avatar est la représentation virtuelle du participant. Celui-ci le définit, le dessine, le construit, il va lui conférer tous les éléments esthétiques et physiques qu’il estime esssentiels pour être conforme à ce qu’il aurait voulu être dans la vie réelle : genre, taille, poids, muscles, poitrine, organes sexuels, capacités intellectuelles, pouvoir de séduction, travail et autres. Il dispose d’un ensemble d’objets et d’accessoires auquel il aura libre accès : voiture, maison, piscine, avion, vêtements, etc. Tout est déterminé par l’utilisateur, qui se recrée lui-même à l’image d’un dieu virtuel. La seconde vie est vécue très différemment selon ceux qui la sollicitent : rencontres, échanges sociaux pour les uns; développement d’un rôle à part entière pour les autres. La poursuite de fantasmes est également incluse, y compris la pédophilie. En général, l’absence de buts à atteindre ou d’histoire à suivre fait que le programme renvoie uniquement à ce que l’on y apporte soi-même… comme dans la vraie vie en quelque sorte.
Evidemment, les amateurs créent des avatars correspondant de très près à l’image qu’ils aimeraient avoir au quotidien. Des émissions télévisées ont permis d’établir des comparaisons entre des avatars beaux, sveltes, jeunes, dynamiques, séduisants, sexy, et la réalité vraie de leurs créateurs qui le plus souvent sont aux antipodes de leurs personnages fictifs. De fait, plus de cinq millions d’internautes ont déjà instauré leur avatar, et leur vie virtuelle se déroule de manière aussi médiocre, créativement parlant, que celle qu’ils vivent tous les jours, la seule différence étant que ces représentations imaginaires possèdent les qualités, avantages et attributs qui semblent manquer cruellement à leurs auteurs.
Trois constats dès lors s’imposent. Premièrement, on assiste à un abandon de tout effort pour tenter d’accepter sa vie réelle. Deuxièmement, les manifestations virtuelles ne présentent que des améliorations physiques, dans un cadre d’existence idéale. Aucune trace d’une quelconque volonté de développement spirituel. Troisièmement, sous forme de question : comment vais-je pouvoir aimer les autres comme moi-même puisque la réalité virtuelle m’éloigne complètement de ma vraie réalité ? Au mieux je pourrais les aimer comme moi-même, toutefois uniquement sur le plan virtuel puisque je m’évite, me fuis, et même me déteste car j’ai cru devoir créer un double qui concrétise la vision idéale de ma propre personne. Dans cette optique le titre de ce travail changerait de sens et deviendrait, aussi triste que cela est : fuir les autres comme on se fuit soi-même, détester les autres comme… Et ainsi de suite.
Une contradiction fondamentale
Peu de gens détestent foncièrement leurs semblables. Malgré tout, une quantité de comportements quotidiens confirment un rejet de l’autre, exemples : irrespects, tromperies, mensonges, conduites inciviles au volant, vols, dégradations de biens publics, fusillades dans les écoles, défis à l’autorité, transgressions des règles sociales et j’en passe. Le corollaire à ce genre de phénomènes est une admiration sans borne pour des personnages tels que chanteurs, vedettes de cinéma, inconnus gagnants de concours à la télévision, et aussi pour des individus n’ayant jamais rien fait de leur vie ni dans leur vie à part être nés riches. On n’aime pas ces gens pour eux-mêmes, on raffole seulement de ce qu’ils représentent. Surtout, ils nous montrent ce que l’on ne pourra jamais obtenir, notamment la célébrité.
À propos, qu’est la célébrité ? Ne plus avoir à s’aimer soi-même puisque les autres nous aiment et nous admirent à notre place, d’où les drames une fois le succès disparu, les célébrités tombent dans la déprime car personne ne les aiment plus.
Comment alors puis-je aimer autrui étant donné que moi-même je me déteste ? En fait, les situations ci-dessus, qui existent bel et bien dans notre réalité quotidienne, ne peuvent être prises en considération que sur un plan horizontal. Les démarches évoquées ne sont que des réactions égocentrées nous incitant à essayer de nous modifier extérieurement, voire à nous recréer afin de s’accepter non tel que l’on est mais que l’on aimerait être. Puits sans fond, voie sans issue, illusion des illusions.
L’étincelle divine présente en chacun de nous
Toutes ces tentatives sont finalement des manifestations de l’égo, basées qu’elles sont sur un mal-être profond, d’ailleurs souvent insuffisamment justifié, et provenant soit d’un dérèglement organique en réaction à une enfance malheureuse, soit à de mauvaises influences dues au milieu humain ou social. Comment pourrait-il en être autrement ? L’égo est formé et entraîné pour nous donner l’illusion que non seulement il nous protège mais encore nous fournit des stratégies, toutes illusoires, afin de nous épargner les déceptions. Il est en outre difficile d’imaginer que le Créateur, même s’il a tout créé y compris les illusions, puisse volontairement détourner ses créatures de sa vérité. Où serait dans ce cas le libre arbitre ? Il devient par conséquent aisé de comprendre que plongé dans notre propre égocentrisme nous ne puissions d’une part aimer nos semblables et de l’autre les aimer comme nous-même puisque dans le fond, nous l’avons dit, nous ne nous aimons pas.
Il est de toute façon impossible à l’homme de s’aimer lui-même, celui-ci n’existant pas, n’étant qu’une image illusoire et fugace fabriquée par son ego qui lui fait croire qu’il (cet ego) est lui-même. Il s’agit en quelque sorte d’une illusion qui tente de se persuader ne pas en être une. Tout cela découle d’une méprise qui apparaît clairement si nous appliquons à la phrase précédente la réalité de la tradition ésotérique. Contrairement à ce que pense la majorité, il n’est pas question de s’aimer soi-même puisque ce soi-même n’est pas, mais plutôt d’aimer la parcelle d’âme qui nous anime. La part divine en nous.
Ayant ainsi été créé à l’image du Créateur, c’est ce dernier qu’il nous est demandé d’aimer, par le biais de la parcelle d’âme présente en chacun, et comme tout est vivant sur la terre il nous est clairement demandé d’aimer tout ce qui y vit et en particulier nos semblables. Nous démontrons ainsi avoir saisi le fonctionnement de l’univers et rejoignons ce fameux Tout dont nous faisons partie sans toujours en être conscients.