Quelques réflexions sur l’éthique
Ces réflexions du T∴R∴ Frère L. R. , ancien Grand Maître adjoint, président de la Commission juridique, juge aux Prudhommes et arbitre national de Hockey, portent à la fois sur l’exposé de la philosophie de l’éthique et sur sa mise en pratique dans le monde profane et en Franc-maçonnerie. L’éthique dépend de notre culture, de notre histoire et de nos expériences. Des changements spectaculaires se sont produits dans l’acceptation des attitudes morales et la plupart font encore l’objet de controverses. Qu’en est-il ?
Définir l’éthique par la science de la morale ou l’art de diriger sa conduite ? La morale désigne plutôt l’ensemble des prescriptions admises dans une société ou une civilisation donnée, et l’éthique l’étude de la réflexion portant sur l’appréciation de ce qui est bon ou mauvais dans la conduite humaine.
La morale concerne la définition de l’action, tandis que l’éthique analyse ce qui est bon ou mauvais dans l’action. L’éthique étudie les fins pratiques de l’homme, soit les conditions individuelles et collectives qui constituent les normes de la « vie bonne ». Elle est la conscience des règles et des valeurs guidant la pratique d’un groupe déterminé : éthique des affaires, du droit, du journalisme, etc.
Rien dans l’étymologie ou dans l’histoire de l’emploi des mots impose de les distinguer : l’un vient du grec, l’autre du latin, et les deux renvoient à l’idée de moeurs ; on peut discerner une nuance selon que l’on met l’accent sur ce qui s’impose comme obligatoire – la morale – ou sur ce qui est estimé bon – l’éthique.
Partie de la philosophie, à côté de la physique qui traite de la nature et de la logique qui traite des règles de la pensée, l’éthique concerne la conduite de la vie humaine orientée vers la recherche du bien ; c’est une sagesse pratique qui ne vise pas juste le savoir de ce qui est, ni de ce qui est vrai, mais surtout de ce qui est bon. L’éthique s’adresse à notre savoir, la morale s’adresse à notre vouloir.
L’éthique ne doit pas être confondue avec :
Le droit ou le légal. La loi est issue du pouvoir d’un état souverain démocratique qui rend obligatoire un comportement sous peine de sanctions. Toute loi cherche à être morale et juste, mais elle est toujours affinée par la jurisprudence dans ses applications non prévues et rénovée pour tenir compte de l’évolution des moeurs. Le légalisme, où « tout ce qui n’est pas défendu est permis », nie la morale et l’éthique.
La déontologie qui précise les règles de pratique professionnelle décrétées par ses membres. Elles peuvent être imposées lorsque l’état délègue une partie de ses pouvoirs à un « ordre professionnel ». La déontologie est au service d’une corporation, alors que l’éthique est au service du bien général.
La conscience professionnelle qui est la pratique volontaire de la morale dans l’exercice de son métier.
L’éthique se différencie de la morale par :
Le libre choix individuel qui est une prise de décision spontanée et libre, conforme à la conception du bien et du mal sans référence à une morale. L’éthique moderne échappe au discrédit des morales ; c’est une exigence intérieure.
Le coté scientifique. L’éthique a un contenu plus scientifique que la morale. Elle n’est plus fondée sur une Révélation, comme en religion, ou la Raison, comme en philosophie, mais elle s’appuie sur l’étude de toutes les sciences humaines.
L’éthique peut-elle commander le droit ?
Un ordre juridique, défini par l’ensemble des lois en vigueur dans une société, peut-il entrer en conflit avec des convictions éthiques reposant sur un ordre censé être supérieur à celui de la cité ? L’éthique peut-elle commander le droit ou penser que la spécificité du droit impose d’en concevoir les normes hors de toute référence à l’éthique ?
Si l’éthique est une représentation du sens de l’existence humaine fondée sur la référence à un bien absolu, il est osé d’affirmer que l’éthique commande le droit. En subordonnant le droit à une éthique particulière, en faire l’instrument d’un pouvoir imposant un idéal de vie, c’est mettre en danger la coexistence et la tolérance mutuelle entre ceux qui se réclament de convictions éthiques différentes dans la société. Puisque la science de la législation consiste à mettre dans les lois les vertus morales, réduire le droit à l’éthique permettrait d’éviter les heurts entre des «fondamentalismes » exclusifs quant aux fins ultimes de l’homme et aux voies de son salut.
Dans ces conditions, peut-on séparer les deux domaines ? Le droit chargé d’assurer la coexistence pacifique des membres de la société, est une « technique sociale » basée sur la contrainte, alors que l’éthique, soucieuse du bonheur de l’individu, exige la pureté des intentions dans la seule sphère privée.
Ainsi, toute conviction éthique serait tolérée pourvu qu’elle demeure une affaire privée et ne trouble pas l’ordre social dont le droit est garant. Mais cela conduit à une simple identification entre justice et légalité et fait tout reposer sur la rigueur des textes qui seuls disent ce qui est juste. Le juge doit disposer de règles fixées et techniquement interprétables pour que tout citoyen puisse calculer les conséquences légales d’un comportement. Le juge n’a pas à substituer ses convictions éthiques à la loi, même si les lacunes du droit et la nécessité d’adapter la règle au cas jugé peuvent imposer de corriger l’injustice de l’application mécanique de la loi au nom d’une éthique d’équité. Mais la conscience peut-elle accepter sans réticence cette distinction entre le domaine des faits – le droit – et celui des valeurs – l’éthique ?
Beaucoup voient en l’état moderne démocratique la forme d’organisation qui satisfait le mieux – ou le moins mal – aux exigences d’une subordination du droit à la morale. Le droit serait-il devenu par là une sorte d’instance suprême, capable de se substituer à l’action politique ? On peut alors craindre que les juges forment désormais le « véritable clergé » de l’état libéral. « les Etats n’ont pas de principes mais seulement des intérêts », disait le cardinal Richelieu.
Conclusion
En matière d’éthique, le problème n’est pas de savoir si la fin justifie les moyens, mais de savoir quelles fins justifient quels moyens. Beaucoup croient que « traiter les autres comme l’on veut être traité », est le dénominateur commun de tous les codes moraux et des religions. Mais cette manière de voir les choses comporte également des risques, car l’éthique de mon voisin n’est pas forcément la mienne.