Histoire de la Franc-maçonnerie moderne
Tout en demeurant indissociable de ses origines plus lointaines, l’histoire de la Franc-maçonnerie telle que nous la connaissons aujourd’hui commence à l’aube du 18e siècle, plus précisément le 24 juin 1717, à Londres. Ce jour-là, jour de la Saint Jean-Baptiste, patron des Francs-maçons, quatre Loges de Londres décident de s’unir sous la direction d’un Grand Maître et se constituent en Grande Loge, sous le titre de « Grande Loge de Londres ». La jeune Grande Loge acquiert rapidement de la considération, au point que six ans plus tard, en 1723, date de la ratification de ses premières Constitutions, elle ne compte pas moins de 45 Loges sous sa juridiction. Dès 1730, on en trouve 106 à Londres et plus de 40 en province. Vers la fin du siècle, en 1787, on dénombrait 529 Loges, sans compter, bien sûr, les Loges d’Irlande et d’Ecosse où la Franc-maçonnerie était déjà présente bien avant 1717.
A partir de 1751, se produisit un schisme qui allait diviser les Francs-maçons anglais en « Anciens » et en « Modernes ». Les Anciens, qui n’avaient pas voulu adhérer à la Constitution de 1723, se référaient pour la plupart aux « landmarks » (règles, obligations) de la Loge d’York, laquelle prétendait remonter au 10e siècle. Ils créèrent donc une deuxième Grande Loge, celle des Anciens, composée en majorité d’Irlandais, pour s’opposer aux Maçons Modernes regroupés autour de la Grande Loge de Londres qui avait pris en 1738 le titre de Grande Loge d’Angleterre.
Une autre opposition se manifesta encore avec la constitution en France de degrés maçonniques, dits grades chevaleresques ou hauts grades. Cette opposition aboutit en Angleterre à la création, entre autres, de l’Ordre de Royal Arch. La naissance de ces « hauts grades » et leur diversité introduisit bientôt de nouveaux rites, dont l’application ne pouvait que contribuer à renforcer encore les divisions au sein de cette Franc-maçonnerie naissante.
La scission entre Anciens et Modernes dura jusqu’en 1813, date à laquelle l’acte de fusion des deux Grandes Loges devint officiel et la nouvelle Grande Loge se donna le titre de Grande Loge Unie des Anciens Francs-maçons d’Angleterre (aujourd’hui, Grande Loge Unie d’Angleterre). Il fut alors décidé qu’il n’y aurait que trois grades dans « l’ancienne et pure maçonnerie » (apprenti, compagnon, maître). L’Ordre de Royal Arch fut reconnu et les tenues de Chapitres pour les grades chevaleresques autorisées, mais sans qu’elles influent d’une quelconque façon sur les tenues des Loges, dites bleues, des trois premiers grades de la Franc-maçonnerie traditionnelle.
Enfin, une année plus tard, en 1814, les trois Grandes Loges d’Angleterre, d’Irlande et d’Ecosse signèrent un acte d’alliance pour la pratique des trois premiers grades.
L’expansion
Dès sa naissance, la franc-maçonnerie spéculative avait trouvé dans l’ensemble de l’Europe et en Suisse, pays qui nous concerne plus particulièrement, un terrain d’expansion tout aussi favorable qu’en Angleterre. Et, une vingtaine d’années plus tard, elle se répandit comme une traînée de poudre partout dans le monde où les puissances européennes d’alors avaient des implantations militaires ou commerciales.
Après avoir subi ses maladies de jeunesse, la Franc-maçonnerie moderne a réussi à se structurer un peu partout dans le monde sous forme d’obédiences nationales diverses, indépendantes les unes des autres et regroupant chacune plusieurs Loges, elles aussi indépendantes les unes des autres. Cette diversité et cet aspect mosaïque des Loges sont caractéristiques de l’esprit maçonnique qui refuse toute ingérence dogmatique et lutte depuis toujours en faveur de la liberté de pensée.
Répartie dans une soixantaine de pays (d’une manière générale, les dictatures, qu’elles soient de droite ou de gauche, condamnent la Franc-maçonnerie dont les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, par trop démocratiques, sont jugés subversifs), la Franc-maçonnerie compte actuellement, toutes obédiences confondues, plus de six millions de membres.
La Constitution de 1723
De même que toute association a ses règles et ses statuts, la Franc-maçonnerie s’est dotée depuis ses origines les plus lointaines des règlements appelés « Charges », « Devoirs » ou « Landmarks » (ces derniers n’étant transmissibles que par tradition orale) pour préserver ses adeptes de toute déviation par rapport à l’antique filiation traditionnelle dont elle procède.
Les règlements et constitutions des Loges sont d’ordre administratif et règlent la conduite morale du Franc-maçon en Loge, conduite qui rejaillit bien sûr sur sa vie profane. En revanche, le Livre de la Loi sacrée (généralement la Bible) qui figure avec l’équerre et le compas sur l’autel du Vénérable, est d’ordre initiatique et symbolise la lumière vers laquelle tend la quête spirituelle du Franc-maçon.
Les premiers règlements ou constitutions auxquels se réfère aujourd’hui la Franc-maçonnerie moderne sont les Constitutions dites d’Anderson, rédigées en 1721 par le théologien James Anderson et le physicien Théophile Désaguliers, tous deux cofondateurs de la Grande Loge de Londres en 1717. Elles furent ratifiées le 17 janvier 1723 par le duc de Wharton, alors Grand Maître de la Grande Loge de Londres.
S’il paraît évident qu’à la lecture certains passages de ces Constitutions peuvent aujourd’hui prêter à sourire par leur côté vieillot, reflet d’une époque ou régnaient encore en Europe des relents d’absolutisme et d’Inquisition, il faut reconnaître que leur teneur reste très « progressiste » pour l’époque et traduit assez bien les idées fondamentales de la Franc-maçonnerie. Il faut en les lisant s’attacher à l’esprit et non à la lettre. C’est d’ailleurs pour cette raison que ces Constitutions font aujourd’hui encore référence dans les Loges du monde entier, bien que chaque obédience réactualise régulièrement ses propres règlements et constitutions.
A titre de comparaison et pour illustrer ce qui précède, nous faisons suivre le texte original des Constitutions de 1723 par celui des Principes maçonniques généraux de la Constitution de la Grande Loge Suisse Alpina, édition de 1999.
Les obligations d’un Franc-maçon,
extraites des anciennes archives des Loges,
au-delà des mers, et celles d’Angleterre, d’Ecosse
et d’Irlande, à l’usage de Loges de Londres ,
pour être lues
en faisant de nouveaux Frères ou quand le Maître l’ordonnera.
Concernant Dieu et la religion
Du Magistrat civil, suprême et subordonné
Des Loges
Des Maîtres, Surveillants, Compagnons et Apprentis
De la Direction du métier pendant le travail
De la Conduite, à savoir :
1. Dans la Loge quand elle est constituée.
2. Après la fermeture de la Loge et avant le départ des Frères.
3. Quand les Frères se rencontrent sans présence étrangère mais hors d’une Loge constituée.
4. En présence d’étrangers non maçons.
5. Chez vous et dans votre entourage.
6. Envers un Frère étranger.
Concernant Dieu et la Religion
Un Maçon est obligé de par sa tenure d’obéir à la loi morale et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. Mais quoique dans les temps anciens les Maçons fussent tenus dans chaque pays d’être de la religion, quelle qu’elle fût, de ce pays ou de cette nation, néanmoins il est maintenant considéré plus expédient de seulement les astreindre à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord, laissant à chacun ses propres opinions ; c’est-à-dire d’être hommes de bien et loyaux ou hommes d’honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou confessions qui aident à les distinguer ; par suite de quoi, la Maçonnerie devient le centre d’union et le moyen de nouer une véritable amitié sincère entre des personnes qui n’auraient pu que rester perpétuellement étrangères. (Traduction de Maurice Paillard)
Du magistrat civil suprême et subordonné
Un Maçon est un paisible sujet à l’égard des pouvoirs civils, en quelque lieu qu’il réside ou travaille, et ne doit jamais être mêlé aux complots et conspirations contre la paix et le bien-être de la nation, ni manquer à ses devoirs envers les magistrats inférieurs ; car la Maçonnerie a toujours pâti de la guerre, de l’effusion de sang et du désordre ; aussi les anciens rois et princes ont toujours été fort disposés à encourager les Frères, en raison de leur caractère pacifique et de leur loyauté par lesquels ils répondaient en fait aux chicanes de leurs adversaires et défendaient l’honneur de la Fraternité qui fut toujours florissante dans les périodes de paix.
Aussi, si un Frère devenait rebelle envers l’Etat, il ne devrait pas être soutenu dans sa rébellion, quelle que soit la pitié que puisse inspirer son infortune ; et s’il n’est convaincu d’aucun autre crime, bien que la loyale Confrérie ait le devoir et l’obligation de désavouer sa rébellion, pour ne provoquer aucune inquiétude ni suspicion politique de la part du gouvernement au pouvoir, il ne peut pas être chassé de la Loge et ses relations avec elle demeurent indissolubles.
Des Loges
Une Loge est un lieu où les Maçons s’assemblent pour travailler : d’où le nom de Loge qui est donné à l’assemblée ou à la société de Maçons régulièrement organisée, et l’obligation pour chaque Frère d’appartenir à l’une d’elles et de se soumettre à ses règlements particuliers ainsi qu’aux règlement généraux. La Loge est soit particulière, soit générale ou Grande Loge.
Dans les temps anciens, aucun Maître ou Compagnon ne pouvait s’en absenter, spécialement lorsqu’il y avait été convoqué, sans encourir une sévère censure, à moins que le Maître ou les Surveillants n’aient constaté qu’il en avait été empêché par une impérieuse nécessité.
Les personnes admises comme membres d’une Loge doivent être des hommes bons et loyaux, nés libres, ayant l’âge de la maturité d’esprit et de la prudence, ni serfs, ni femmes, ni hommes immoraux ou scandaleux, mais de bonne réputation.
Des Maîtres, Surveillants, Compagnons et Apprentis
Toute promotion parmi les Maîtres Maçons est fondée uniquement sur la valeur réelle et sur le mérite personnel ; afin que les seigneurs puissent être bien servis, que les Frères ne soient pas exposés à l’humiliation et que l’Art royal ne soit point décrié : pour cela aucun Maître ou Surveillant n’est choisi à l’ancienneté, mais bien pour son mérite. Il est impossible de dépeindre ces choses par écrit, chaque Frère doit rester à sa propre place et les étudier selon les méthodes particulières de cette Confrérie. Tout ce que les candidats peuvent savoir c’est qu’aucun Maître n’a le droit de prendre un Apprenti s’il n’a pas un travail suffisant à lui fournir et s’il n’est pas un jeune homme parfait ne souffrant d’aucune mutilation ou tare physique qui puisse l’empêcher d’apprendre l’Art et de servir le seigneur de son Maître et de devenir un Frère, puis un Compagnon en temps voulu après avoir durant le nombre d’années fixé par la coutume du pays ; et s’il n’est issu de parents honnêtes ; ceci afin qu’après avoir acquis les qualités requises il puisse parvenir à l’honneur d’être le Surveillant, puis le Maître de la Loge, le Grand Surveillant et enfin, selon son Mérite, le Grand Maître de toutes les Loges.
Nul Frère ne peut être Surveillant avant d’avoir passé le degré de Compagnon ; ni Maître avant d’avoir occupé les fonctions de Surveillant ; ni Grand Surveillant avant d’avoir été Maître d’une Loge, ni Grand Maître s’il n’a pas été Compagnon avant son élection. Celui-ci doit être, en outre, de noble naissance ou gentilhomme de bonnes manières ou quelque savant éminent ou quelque architecte distingué ou quelque autre homme de l’Art d’une honnête ascendance et jouissant d’une grande estime personnelle dans l’opinion des Loges. Et afin de pouvoir s’acquitter le plus utilement, le plus aisément et le plus honorablement de son office, le Grand Maître détient le pouvoir de choisir son propre Député Grand Maître qui doit être alors ou avoir été précédemment le Maître d’une Loge particulière et qui a le privilège d’agir comme le ferait le Grand Maître lui-même, son Commettant, sauf quand le dit Commettant est présent ou qu’il manifeste son autorité par une lettre.
Ces administrateurs et gouverneurs, supérieurs et subalternes de la Loge ancienne, doivent être obéis dans leurs fonctions respectives par tous les Frères, conformément aux Anciennes Obligations et Règlements, en toute humilité, révérence, amour et diligence.
De la direction du métier pendant le travail
Tous les Maçons travailleront honnêtement pendant les jours ouvrables afin de profiter honorablement des jours de fête ; et l’horaire prescrit par la loi du pays ou fixé par la coutume sera respecté.
Le Compagnon Maçon le plus expert sera choisi ou délégué en qualité de Maître ou Surintendant des travaux du seigneur ; ceux qui travaillent sous ses ordres l’appelleront Maître. Les ouvriers doivent éviter tout langage déplacé, et ne point se donner entre eux de sobriquets désobligeants, mais s’appeler Frère ou Compagnon ; et se conduire avec courtoisie à l’intérieur de la Loge.
Le Maître, confiant en son habileté, entreprendra les travaux du seigneur aussi raisonnablement que possible et tirera parti des matériaux comme s’ils étaient à lui, ne donnant à aucun Frère ou Apprenti plus que le salaire qu’il mérite vraiment.
Les Maîtres et les Maçons recevant chacun leur juste salaire seront fidèles au seigneur et achèveront leur travail consciencieusement, qu’il soit à la tâche ou à la journée ; et ils n’effectueront pas à la tâche l’ouvrage qu’on a l’habitude de faire à temps.
Nul ne se montrera envieux de la prospérité d’un Frère ni ne le supplantera, ni ne l’écartera de son travail s’il est capable de le mener à bien ; car personne ne peut achever le travail d’autrui, à l’avantage du seigneur, sans être parfaitement au courant des projets et conceptions de celui qui l’a commencé.
Quand un Compagnon Maçon est désigné comme Surveillant des travaux sous la conduite du Maître, il sera équitable tant à l’égard du Maître que des Compagnons, surveillera avec soin le travail en l’absence du Maître dans l’intérêt du seigneur ; et ses Frères lui obéiront.
Tous les Maçons employés recevront leur salaire uniment, sans murmure ni révolte, et ne quitteront pas le Maître avant l’achèvement du travail.
On instruira un Frère plus jeune dans le travail pour que les matériaux ne soient point gâchés par manque d’expérience et pour accroître et consolider l’amour fraternel.
On n’utilisera dans le travail que les outils approuvés par la Grande Loge.
Aucun manœuvre ne sera employé aux travaux propres à la Maçonnerie ; et les Francs-maçons ne travailleront pas avec ceux qui ne sont pas francs, sauf nécessité impérieuse ; et ils n’instruiront ni les manœuvres ni les maçons non acceptés, comme ils instruiraient un Frère ou un Compagnon.
De la conduite, savoir :
Dans la Loge quand elle est constituée
Vous ne devez pas tenir de réunions privées, ni de conversations à part sans autorisation du Maître, ni parler de choses inopportunes ou inconvenantes ; ni interrompre le Maître, ou les Surveillants ni aucun Frère parlant au Maître : ne vous conduisez pas non plus de manière ridicule ou bouffonne quand la Loge traite de choses sérieuses et solennelles ; et sous aucun prétexte n’usez d’un langage malséant ; mais manifestez à votre Maître, à vos Surveillants et à vos Compagnons la déférence qui leur est due et entourez-les de respect.
Si quelque plainte est déposée, le Frère reconnu s’inclinera devant le jugement et la décision de la Loge, qui est le seul juge compétent pour tous ces différents (sous réserve d’appel devant la Grande Loge), et c’est à elle qu’il doit être déféré, à moins que le travail d’un seigneur ne risque d’en souffrir, dans lequel cas, il serait possible de recourir à une procédure particulière ; mais les affaires maçonniques ne doivent jamais être portées en justice, à moins d’absolue nécessité dûment constatée en Loge.
Après fermeture de la Loge et avant le départ des Frères
Vous pouvez jouir d’innocents plaisirs, vous traitant réciproquement selon vos moyens, mais en évitant tout excès et en n’incitant pas un Frère à manger ou à boire plus qu’il n’en a envie, en ne le retenant pas lorsque ses affaires l’appellent, en ne disant et en ne faisant rien d’offensant ou qui puisse interdire une conversation libre et aisée ; car cela détruirait notre harmonie, et ruinerait nos louables desseins. C’est pourquoi aucune brouille ni querelle privée ne doit passer le seuil de la Loge, et moins encore quelque querelle à propos de la religion, des nations ou de la politique car comme Maçons nous sommes seulement de la religion mentionnée ci-dessus ; nous sommes aussi de toutes nations, idiomes, races et langages et nous sommes résolument contre toute politique comme n’ayant jamais contribué et ne pouvant jamais contribuer au bien être de la Loge. Cette obligation a toujours été strictement prescrite et respectée ; surtout depuis la Réforme en Grande-Bretagne, ou la séparation ou la sécession de ces nations de la communion de Rome.
Quand les Frères se rencontrent sans présence étrangère, mais hors d’une Loge constituée
Vous devez vous saluer réciproquement de manière courtoise, comme on vous l’enseignera, vous appelant mutuellement Frère, échangeant librement les instructions que vous jugerez utiles, sans être vus ni entendus, sans prendre de pas l’un sur l’autre, ni manquer aux marques de respect qui seraient dues à un Frère, s’il n’était pas Maçon : car quoique les Maçons en tant que Frères soient tous sur un pied d’égalité, la Maçonnerie ne prive pas un homme des honneurs auxquels il avait droit auparavant ; bien au contraire, elle ajoute à ces honneurs, spécialement lorsqu’il a bien mérité de la Fraternité qui se plaît à honorer ceux qui le méritent et à proscrire les mauvaises manières.
En présence d’étrangers non maçons
Vous serez circonspects dans vos propos et dans votre comportement, pour que l’étranger le plus perspicace ne puisse découvrir ni deviner ce qu’il ne doit pas connaître, et vous aurez parfois à détourner la conversation et à la conduire prudemment pour l’honneur de la véritable Fraternité.
Chez vous et dans votre entourage
Vous devez agir comme il convient à un homme sage et de bonnes mœurs ; en particulier n’entretenez pas votre famille, vos amis et voisins des affaires de la Loge, etc., mais soyez particulièrement soucieux de votre propre honneur, et de celui de l’ancienne Fraternité, ceci pour des raisons qui n’ont pas à être énoncées ici. Ménagez aussi votre santé en ne restant pas trop tard ensemble ou trop longtemps dehors, après les heures de réunion de la Loge ; et en évitant les excès de chair ou de boisson, afin que vos familles ne souffrent ni désaffection ni dommage, et que vous-même ne perdiez votre capacité de travail.
Envers un Frère étranger
Vous devez l’éprouver consciencieusement de la manière que la prudence vous inspirera, afin de ne pas vous en laisser imposer par un imposteur ignorant, que vous devez repousser avec mépris et dérision, en vous gardant de lui dévoiler la moindre connaissance.
Mais si vous le reconnaissez comme un Frère authentique et sincère, vous devez lui prodiguer le respect qu’il mérite ; et s’il est dans le besoin, vous devez le secourir si vous le pouvez, ou lui indiquer comment il peut être secouru : vous devez l’employer pendant quelques jours ou le recommander pour qu’on l’emploie.
Vous n’êtes pas obligé de faire plus que vos moyens ne vous le permettent mais seulement dans des circonstances identiques, de donner la préférence à un Frère pauvre, qui est un homme bon et honnête, avant toute autre personne dans le besoin.
Enfin, toutes ces Obligations doivent être observées par vous, de même que celles qui vous seront communiquées d’autre manière ; cultivez l’amour fraternel, fondement et clé de voûte, ciment et gloire de cette ancienne Fraternité, repoussez toute dispute et querelle, toute calomnie et médisance, ne permettez pas qu’un Frère honnête soit calomnié, mais défendez sa réputation, et fournissez-lui tous les services que vous pourrez, pour autant que cela soit compatible avec votre honneur et votre sûreté, et pas au-delà. Et si l’un d’eux vous fait tort, vous devez recourir à votre propre Loge ou à la sienne, ensuite vous pouvez en appeler à la Grande loge en assemblée trimestrielle, et ensuite à la grande loge annuelle, selon l’ancienne et louable coutume de nos ancêtres dans chaque nation ; n’ayez jamais recours à un procès en justice avec des profanes ou vous inciter à mettre un terme rapide à toutes procédures, ceci afin que vous puissiez vous occuper des affaires de la Maçonnerie avec plus d’alacrité et de succès ; mais en ce qui concerne les Frères ou Compagnons en procès, le Maître et les Frères doivent offrir bénévolement leur médiation, à laquelle les Frères en opposition doivent se soumettre avec gratitude ; et si cet arbitrage s’avère impraticable, ils doivent alors poursuive leur procès ou procédure légale, sans aigreur ni rancune (contrairement à l’ordinaire) en ne disant et en ne faisant rien qui puisse altérer l’amour fraternel, et les bonnes relations doivent être renouées et poursuivies ; afin que tous puissent constater l’influence bienfaisante de la Maçonnerie, ainsi que tous les vrais Maçons l’ont fait depuis le commencement du monde et le feront jusqu’à la fin des temps.
Cette Constitution fut par la suite remaniée deux fois. La première se fit lors de la réédition de 1738, quand la Grande Loge de Londres, devenue Grande Loge d’Angleterre, se trouvait en bute à l’opposition des « Anciens » Maçons. Cette opposition ne s’organisera vraiment qu’en 1751, le 17 juillet, lorsque des Francs-maçons irlandais, refusés par la Grande Loge d’Angleterre, créèrent la Grande Loge des Anciens. Devant ces oppositions montantes, Anderson s’attacha à mieux préciser son texte, surtout en ce qui concerne l’article premier.
Article premier, remanié en 1738 :
Un Maçon est obligé, de par sa tenure, d’observer la Loi morale, en tant que vrai Noachite ; et s’il comprend bien le métier, il ne sera jamais athée stupide ni libertin irréligieux ni n’agira à l’encontre de sa conscience. Dans les temps anciens, les Maçons chrétiens étaient tenus de se conformer aux coutumes chrétiennes de chaque pays où ils voyageaient ou travaillaient. Mais la Maçonnerie existant dans toutes les nations, même de religions diverses, ils sont maintenant seulement tenus d’adhérer à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord (laissant à chaque Frère ses propres opinions) c’est-à-dire d’être hommes de bien et loyaux, hommes d’honneur et de probité, quels que soient les noms, religions ou confessions qui aident à les distinguer. Car tous s’accordent sur les trois grands articles de Noé, assez pour préserver le ciment de la Loge. Ainsi la Maçonnerie est leur Centre d’union, et l’heureux moyen de concilier des personnes qui autrement n’auraient pu que rester perpétuellement étrangères.
Entre 1723 et cette nouvelle rédaction de 1738, d’autres modifications étaient intervenues dans l’évolution de la Maçonnerie, notamment l’apparition du système à trois degrés. Auparavant, il n’était question que des deux degrés d’Apprenti entré et de Compagnon de métier. Il n’y avait de Maître que celui de la Loge (l’actuel Vénérable). Le degré de Maître, séparé de la fonction de Maître de la Loge, apparut en 1725. Par la suite, la légende de la mort d’Hiram, propre à ce troisième degré, prendra le pas dans les rituels sur celle de Noé qui disparaîtra progressivement. C’est d’ailleurs cette allusion à Noé et aux Noachites, que l’on retrouve dans la nouvelle édition de 1738 et qui ressemble assez bien à une concession faite aux Anciens par Anderson.
L’allusion à Noé est en effet très ancienne et on la rencontre déjà dans le manuscrit Regius daté de 1390, au passage relatif à la construction de la Tour de Babel. Noé et les Noachites ont également survécu, bien que sous influence prussienne, dans la légende du 21e degré, Noachite ou Chevalier Prussien, du Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA).
Le troisième remaniement des Constitutions d’Anderson intervint en 1813, à la fin de la querelle des Anciens Maçons et des Modernes, qui se concrétisa par la fusion des deux Grandes Loges antagonistes sous l’appellation de Grande Loge Unie d’Angleterre. L’article premier de cette nouvelle Constitution fait une large concession aux Anciens en prenant une tournure nettement déiste, ce qui n’a pas été du goût de tous les Maçons à l’époque et qui reste d’ailleurs toujours sujet à controverses. C’est pourquoi, quand on parle de Constitution en Maçonnerie, on pense généralement 1723.
Article premier, remanié en 1813 :
Un Maçon est obligé, de par sa tenure, d’obéir à la loi morale et s’il comprend bien l’Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. De tous les hommes, il doit le mieux comprendre que Dieu voit autrement que l’homme, car l’homme voit l’apparence extérieure, alors que Dieu voit le cœur. Un Maçon est par conséquent particulièrement astreint à ne jamais agir à l’encontre des commandements de sa conscience. Quelle que soit la religion de l’homme ou sa manière d’adorer, il n’est pas exclu de l’Ordre, pourvu qu’il croie au glorieux Architecte du ciel et de la terre et qu’il pratique les devoirs sacrés de la morale. Les Maçons s’unissent aux hommes vertueux de toutes les croyances dans le lien solide et agréable de l’amour fraternel, on leur apprend à voir les erreurs de l’humanité avec compassion et à s’efforcer, par la pureté de leur propre conduite, de démontrer la haute supériorité de la foi particulière qu’ils professent
Pour revenir à l’esprit du texte de 1723 et mettre en évidence son caractère éminemment « progressiste » pour l’époque, nous vous invitons à le comparer avec les Principes généraux de l’actuelle Constitution (édition de 1999) de la Grande Loge Suisse Alpina.
Le manuscrit Regius
Les anciennes confréries de bâtisseurs du moyen âge, qui réunissaient les « francs-mestiers » du bâtiment, étaient constituées d’hommes libres, c’est-à-dire bénéficiant de franchises fiscales et exemptions de corvées accordées par le pouvoir royal, d’où le terme de francs-maçons qui signifie en réalité « maçons libres ». Ce terme de maçon libre ou « freemason » est attesté en Angleterre dès 1376. On le retrouve également dans les manuscrits médiévaux appelés « Old Charges » ou « Anciens Devoirs », tels que le Regius et le Cooke.
Le Regius se présente sous la forme d’un long poème, rédigé en vieil anglais, probablement vers 1390, et mentionné pour la première fois en 1670, dans un inventaire de la bibliothèque John Theyer qui fut vendue à Robert Scott en 1678. Par la suite, le manuscrit devint la propriété de la Bibliothèque royale, d’où son nom de Regius, jusqu’en 1757, quand le roi George II d’Angleterre en fit don au British Museum.
Le manuscrit Cooke se présente comme une version parallèle du Regius écrite en prose. Il serait daté du début du 15e siècle, approximativement entre 1410 et 1425. Les textes de ces manuscrits traitent de l’art de la géométrie, science à la fois divine et terrestre, dont l’application par métier se nomme « franc-maçonnerie ». Ils donnent également des règles de conduite et des devoirs à respecter par les gens de métier, les « francs-maçons », envers la confrérie, la société humaine, la religion et l’Etat.
La première partie du Regius traite de l’art de la géométrie et de l’origine de son métier, la Franc-maçonnerie, dont il attribue la fondation au mathématicien grec Euclide qui vivait à Alexandrie, en Egypte, au 3e siècle avant notre ère. En voici un extrait relatant justement cette fondation par Euclide:
On thys maner, throz good wytte of gemetry,
Bygan furst the craft of masonry :
The clerk Euclyde on thys wyse hyt fonde,
Thys craft of gemetry yn Egypte londe.
Yn Egypte he tawzhte hyt ful wyde,
Yn dyvers londe on every syde ;
Mony erys afterwarde, y understonde,
Zer that the craft com ynto thys londe.
Ainsi, du noble art de géométrie,
Naquit le métier de maçonnerie:
L’a fondé de cette façon le clerc Euclide,
Cet art de géométrie au pays d’Egypte.
Il l’enseigna dans chaque contrée de l’Egypte
Et dans nombre de pays, loin des pyramides;
Des années durant, d’après ce que j’ai compris,
Avant que ce métier ne parvienne au pays*. * l’Angleterre
Le manuscrit se poursuit par le récit, toujours en vers, de l’introduction de la Franc-maçonnerie en Angleterre sous le règne du roi Athelstane, puis par une énumération des Devoirs du Franc-maçon en quinze articles et quinze points, qui reflètent déjà l’idéal de perfection morale de la Franc-maçonnerie moderne. Il passe ensuite au récit mythique des Quatre Couronnés (Quatuor Coronati) et à celui de la construction de la Tour de Babel ; il continue par la présentation des sept arts libéraux (grammaire, dialectique, rhétorique, musique, astronomie, arithmétique et géométrie) qui constituaient à l’époque les bases de la connaissance, puis se prolonge par des recommandations sur la messe et la manière de se comporter à l’église et se termine enfin par une instruction sur les bonnes manières.
Les légendes maçonniques
La Tour de Babel
Le manuscrit Regius (1390) relate ainsi l’édification et la destruction de la Tour de Babel :
Ecoutez ce que j’ai lu,
Que beaucoup d’années après, à grand effroi
Le déluge de Noé eut déferlé,
La Tour de Babel fut commencée,
Le plus gros ouvrage de chaux et de pierre,
Que jamais homme ait pu voir ;
Si long et si large on l’entreprit,
Que sa hauteur faisait sept miles d’ombre,
Le roi Nabuchodonosor le fit construire
Aussi puissant pour la défense des hommes,
Que si un tel déluge survînt,
Il ne pourrait submerger l’ouvrage ;
Parce qu’ils avaient un orgueil si fier, avec grande vantardise
Tout ce travail fut ainsi perdu ;
Un ange les frappa en diversifiant leurs langues,
Si bien qu’ils ne se comprenaient plus jamais l’un l’autre.
(Traduction de Mme E.M. de Carlo)
Ce passage du Regius fait allusion à une lointaine tradition mythique qui ferait remonter la Maçonnerie à Noé, dont les descendants, oublieux de la promesse faite par Dieu au patriarche, pècheront par orgueil. Cette ancienne légende, qui semble avoir précédé celle de la mort d’Hiram dans l’ancienne tradition maçonnique, aurait été reprise vers le milieu du 18e siècle dans le grade de Noachite, 21e degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, dont voici la légende :
« Les descendants de Noé, malgré l’arc-en-ciel qui était le signe de réconciliation que Dieu avait donné aux hommes et par lequel il les assurait qu’il ne se vengerait plus d’eux, résolurent de construire une tour assez élevée pour se mettre à l’abri de la vengeance divine. Dix ans après qu’ils eurent jeté les bases de cet édifice, Dieu aperçut l’orgueil des hommes et descendit sur terre pour confondre leur projet en jetant la confusion dans les langues des ouvriers. C’est pour cette raison qu’on appelle cette Tour, Babel, qui signifie confusion mais dont le sens originel est Porte du Ciel et, en akkadien, Porte des dieux. Quelque temps plus tard, le roi Nemrod y fonda une ville qui fut appelée Babylone, c’est-à-dire enceinte de la confusion. » (Récit tiré du « Mutus Liber Latomorum », Le Livre Muet des Francs-maçons, édité en 1993 par J.C. Bailly, Paris.)
Le mot sacré de ce grade est assez significatif, puisqu’il se compose des trois initiales S.C.J. qui correspondent aux noms des trois fils de Noé, Sem, Cham et Japhet, considérés comme les ancêtres mythiques des races humaines actuelles.
Les Quatre Couronnés
La légende des quatre martyrs couronnés, ou Quatuor Coronati, repose sur une confusion, ce qui toutefois n’enlève rien à la qualité évocatrice de cette légende.
« Sous l’empereur Romain Dioclétien, cinq maçons tailleurs de pierre, qui avaient refusé d’exécuter la statue d’une divinité païenne, sont condamnés à mort. A peu de temps près, quatre soldats ayant refusé d’encenser l’autel d’Esculape, sont également condamnés à la peine capitale. Les neufs condamnés seront exécutés le même jour et inhumés dans la même sépulture. En 310, le pape Melchiade donne aux quatre soldats le titre de Quatuor Coronati. Ils seront plus tard confondus avec les tailleurs de pierre, leurs compagnons de supplice, et deviendront les protecteurs du métier de la construction. » (Récit repris de « La Franc-maçonnerie », Paul Naudon, éditions PUF, coll. Que sais-je, Paris 1984.)
Quant au Regius (1390), voici ce qu’il en dit :
« … ces quatre saints martyrs,
Qui dans ce métier furent tenus en grand honneur,
Ils étaient aussi bons maçons qu’on puisse trouver sur terre,
Sculpteurs et imagiers, ils étaient aussi,
Car ils étaient des ouvriers d’élite,
L’empereur les tenait en grande estime ;
Il désira qu’ils fissent une statue
Qu’on vénérerait en son honneur ;
En son temps, il possédait de tels monuments,
Pour détourner le peuple de la loi du Christ.
Mais eux demeuraient fermes dans la loi du Christ,
Et dans leur métier sans compromis ;
Ils aimaient bien Dieu et tout son enseignement,
Et s’étaient voués à son service pour toujours.
En ce temps-là, ils furent des hommes de vérité,
Et vécurent droitement dans la loi de Dieu ;
Ils n’entendaient point fabriquer des idoles,
Quelque bénéfice qu’ils puissent en retirer,
Ni prendre cette idole pour leur Dieu,
Ils refusèrent de le faire, malgré sa colère ;
Car ils ne voulaient pas renier leur vraie foi,
Et croire à sa fausse loi,
L’empereur les fit arrêter sans délai,
Et les mit dans un profond cachot ;
Plus cruellement il les y punissait,
Plus ils se réjouissaient dans la grâce de Dieu,
Alors, quand il vit qu’il ne pouvait plus rien,
Il les laissa alors aller à la mort ;
Celui qui voudra, trouvera dans le livre
De la légende des saints,
Les noms des quatre couronnés.
Leur fête est bien connue,
Le huitième jour après la Toussaint. »
(Traduction de Mme E.M. de Carlo.)
Remarque
On trouvera sur le site http://web.club-internet.fr/chdioux une version complète du Regius, en ancien anglais avec, en parallèle, une traduction française très proche de l’original anglais, due à Mme E.M. de Carlo.
La légende de la mort d’Hiram
Cette légende étant directement liée au rite de passage à la maîtrise ou 3e degré de la Franc-maçonnerie, nous nous bornerons, et cela bien qu’elle ait été maintes fois publiée dans son intégralité, à n’en présenter que quelques données essentielles, pour éviter une banalisation de ce rite de passage pouvant nuire à sa force évocatrice.
« Maître Hiram, architecte du Temple de Salomon, avait des milliers d’ouvriers sous ses ordres. Pour éviter toute confusion et pouvoir les distinguer entre eux selon leurs capacités et leur mérite, il les divisa en trois classes ou degrés : apprentis, compagnons et maîtres. Il donna à chacun d’eux les mots, signes et attouchements correspondant à leur degré, de manière que l’on puisse les reconnaître et qu’ils puissent eux-mêmes se reconnaître entre eux et faire valoir leur droit au salaire dû à leur rang. Trois Compagnons, désireux de connaître les signes et mots secrets des Maîtres pour accéder à un salaire supérieur, résolurent de l’obtenir d’Hiram par la menace, et au besoin par la force. Hiram refusa et mourut sous les coups successifs des trois renégats. Il fut retrouvé gisant sous un tertre sur lequel avait germé un acacia. »
L’acacia, qui reste toujours vert, est perçu comme le symbole de l’immortalité qui, dans le cas de la légende d’Hiram, peut s’interpréter de différentes manières, suivant les convictions religieuses ou philosophiques de chacun.